jeudi 27 mai 2010

Histoire de la liste noire

Ce sont les vaincus qui écrivent l'histoire.

Si l'avenir est à terme en Afrique, aux Africains, pas ceux d'aujourd'hui, ceux de demain, c'est que l'Afrique d'aujourd'hui s'est trouvée détruite par l'impérialisme oligarchique occidentaliste. Les Africains d'aujourd'hui sont en tant que victimes de l'impérialisme les principaux représentants de la mentalité impérialiste : raison pour laquelle on entend si souvent (et si lucidement) des protestations désespérées (quand on se montre favorable aux intérêts africains) contre le délabrement et la dégénérescence des mentalités africaines, qui se révèlent si individualistes, si esclavagistes, si impérialistes et si méprisantes (trop souvent en tout cas).
L'avenir donc est en Afrique. Le remède à l'impérialisme se trouve chez les victimes de l'impérialisme. Les victimes sont les vaincus, soit les plus effarants représentants de l'impérialisme subi, mais les vaincus sont les vainqueurs (à venir). Cette vérité profonde s'explique par le fait que l'Afrique berceau du polythéisme est la mieux armée pour faire face à la destruction de l'impérialisme et pour préparer le renouveau religieux qui seul peut sauver l'homme de l'immanentisme.
Quand on est victime, on est vaincu par la mentalité dominante : on est vaincu par l'impérialisme. Cette défaite de la victime crée en elle les ressources pour receler les fondements du changement, soit le socle de la nouveauté et de la croissance. Qu'est-ce qu'un vaincu sinon un perdant à l'intérieur d'une mentalité impérialiste finie et figée. Cette finitude et cette fixation de l'impérialisme porte en son sein la destruction de l'impérialisme lui-même.
Du coup, le moyen de sortir de cette spirale folle et vicieuse de la destruction finissant en autodestruction (que nous expérimentons en ce moment tel le retour du boomerang) est à chercher du côté de la victime qui en se trouvant détruite et opprimée par la mentalité de l'impérialisme a suscité les mentalités susceptibles d'engendrer le changement.
La différence se trouve chez les victimes, pas chez les vainqueurs si impressionnants qu'ils en sont perclus d'arrogance (et dépassés au faîte de leur puissance minable). La victime développe le moyen de sortir du cadre limité du vainqueur (de la mentalité impérialiste). Cette évidence est dévastatrice pour toute mentalité impérialiste qui non seulement révèle sa médiocrité qualitative (la bêtise de la domination injustifiable) mais encore est damnée dans le moment où elle est toujours déjà condamnée (en particulier à son zénith).
Pour parodier Deleuze, à la limite les vainqueurs sont des répétiteurs forcenés quand la différence se trouve du côté des vaincus. Quand on a compris que l'avenir de l'homme se situe quelque part parmi les Africains, quand on estime que l'avenir se situe dans l'espace, et que les spatialistes seront les Africains, reste à savoir quels fers de lance incarnent déjà ceux qu'une tradition raciste, esclavagiste, colonialiste range dans la catégorie des dépassés sans passé, de ceux qui n'ayant jamais su s'intégrer à l'histoire connaissent des histoires sans histoire.
Faut-il considérer en tant qu'Africains les Africains d'Afrique ou faut-il estimer que l'immigration africaine (de l'Afrique du Nord à l'Afrique dite noire) range dans la catégorie des Africains les anciens pays colonisateurs? Qu'il est saisissant de constater que l'histoire de l'immigration a rangé dans la catégorie des avant-gardistes ceux que la tradition d'un passé court (quatre cents ans) reléguait irrémédiablement dans la défaite et les oubliettes!
Et si ultime pied de nez, ironie fameuse de l'histoire, le futur de l'Occident passait par l'Afrique à entendre non comme le continent littéralement africain, mais comme la mutation de l'Occident en fine pointe atypique de l'Afrique? L'Afrique futur de l'homme : cette première provocation pour le colon, qui indique que ce sont les vaincus qui écrivent l'histoire, engendre du fait de l'immigration la mutation de l'Occident colonisateur en puissance colonisatrice et colonisée.
Le moyen (involontaire et facétieux) que l'Occident a trouvé de perpétuer son influence aura été (dans ce schéma) de se commuer en puissance avant-gardiste de l'Afrique atavique. Tandis que les racines deviennent le prolongement, le moyen pour le colonisateur d'échapper au dépassement inéluctable consiste à se commuer en colonisé. Le vainqueur épouse la cause du vaincu. Après tout, c'est ce qui s'est produit avec le christianisme, qui s'est érigé en priorité sur la dépouille de l'ennemi romain (l'impérialisme méditerranéen de l'époque).
Cette constatation (que les vaincus sont les vainqueurs de demain) implique que les colonisés soient les colonisateurs. Dans cette perspective, les immigrés africains qui ont essaimé en Occident, souvent pour des raisons de misère sociale et de nécessité professionnelle, n'ont pas trahi l'Afrique maternelle pour l'exploiteur cynique et sinistre. Ils ont au contraire incarné la perspective de l'avenir à l'insu de leur plein gré, mais aussi à l'insu des Occidentaux eux-mêmes, qui sont les derniers à s'imaginer que les parias de leur société représentent les fleurons de leur avenir.
Les immigrés africains constituent l'avenir de l'Occident : d'ordinaire les revendications les plus progressistes exigent que les immigrés africains soient traités de la même manière que les autochtones occidentaux. Désormais il faudra ajouter : l'Occident n'intègre pas les plus faibles de ses sociétés démocratiques et libérales. Cette vision est bornée au court terme. Sur le long terme, l'avenir de l'Occident est en Afrique au sens où l'avenir de l'Occident passe par son immigration africaine. Ce n'est pas vraiment l'avenir de l'Occident qui se trouve en Afrique. C'est l'avenir de l'Afrique qui se situe en Occident.
L'avenir de l'homme se situe chez les Africains. Et si cette prophétie désignait moins les Africains d'Afrique que les Africains d'Occident? Et si l'avenir de l'Afrique passait par les Africains d'Occident? Beau destin que ces immigrés faits rois de l'espace. Joli pied de nez à tous les racismes et les discriminations que ces déportés faits rois de l'espèce. Dernière question : et si c'était la richesse du monothéisme (dont la forme chrétienne occidentale) que de contenir en son sein et de délivrer avant sa mutation la vérité de son histoire : ce sont les vaincus qui l'écrivent?

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