jeudi 17 janvier 2013

Complotscepticisme

A force de lire des études approfondies sur les événements du 911, je constate qu'à les suivre, on ne sait toujours pas précisément qui serait l'auteur du 911. Pas une personne ou deux. Mais quel groupe, quelle faction. La plupart des auteurs se réfugient derrière le mystère le plus opaque ou usent de périphrases anonymes et indéfinies. Pour les uns, ce serait le complexe militaro-industriel, plus ou moins secondé par les sionistes; pour les autres, ce serait Israël in fine; certains lorgnent du côté de militaires haut gradés américains appartenant à des sectes nazies; il y en a même pour expliquer que les attentats relèveraient de la guerre psychologique, d'une opération d'hologrammes sophistiqués, menée cette fois par le coeur dirigeant de la NASA.
Le problème avec toutes ces interprétations, c'est qu'elles peuvent se montrer très fouillées et pointues dans des domaines particuliers, sans jamais proposer d'interprétation générale. En gros, tous ces commentateurs nous martèlent que la VO est fausse certainement, mais qu'il est impossible de proposer une alternative. On peut se demander comment on peut savoir que la VO est fausse sans alternative. Cette manière de procéder relève du complotisme dans ce qu'il comporte de plus répandu. Le complotisme rigoureux, tout expliquer par des complots, est assez peu revendiqué, car son aspect délirant est facile à exhiber.
Mais cette manière de décréter que le positif n'existe pas et que ce qui est visible est faux tout en refusant la possibilité de remplacer le faux par du vrai, le visible faux par du visible vrai (dans une optique purement sensible, voire matérialiste), évoque irrésistiblement ce à quoi mène le scepticisme quand on lui donne une application vérifiable. Dans sa théorie, le scepticisme peut sembler avisé et modeste, en refusant que l'Etre puisse être connu. Pratiquement, il débouche sur le complotisme, comme une forme incohérente qui s'en tient au mystère.
Le mystère est un nihilisme intenable qui explique que le négatif est supérieur au positif. La suspension du jugement n'est pas une forme de compromis sage et avisée, mais un nihilisme qui trouve bon de refuser la théorie fondamentale pour s'en tenir à des bribes de savoirs superficiels. Les complotistes sont prêts à déployer des trésors d'ingéniosité et d'érudition pour approfondir tel ou tel aspect du complot qu'ils dénoncent, à condition qu'aucun puzzle d'ensemble ne se forme. Le complotiste considère que la vérité ne peut être atteinte, comme le sceptique.
Il y a dans ce raisonnement une contradiction : si la vérité ne peut être atteinte, comment sait-on qu'elle existe? On objectera que la logique permettrait de connaître en théorie ce qu'on ne peut vérifier en pratique. Mais cette disjonction épistémologique, outre qu'elle pose le problème du lien, notamment entre le corps et l'esprit; d'une manière plus générale entre toutes les parties du réel, pas seulement de l'homme; n'est pas possible parce qu'on ne voit pas comment ce qui est connaissable ne pourrait être connu, autrement dit comment le théorique serait incapable d'accéder au pratique, surtout si le pratique est inférieur au théorique.
Ce n'est pas parce qu'on considère que le réel n'est pas homothétique, à la suite de Cues notamment, que l'on tient certaines de ses parties comme inconciliables avec d'autres. De surcroît, on voit mal également pourquoi le supérieur ne pourrait connaître l'inférieur. Pour maintenir le mystère indéfini, il faut pourtant concevoir que les parties qui forment le réel sont inconciliables entre elles, que le supérieur ne peut connaître l'inférieur, et que le réel soit compris comme un tout doté de complétude. Trois dimensions de préjugés, qui empêchent de saisir le réel dans sa structure si malaisée à concevoir, précisément parce qu'il est à la fois lié et non-homothétique, mais disjonctif, selon l'enversion.
Contre le scepticisme, qui considère que le réel est scindé, schizoïde peut-être, il reste à se confronter à un complot pour se rendre compte de deux évidences :
1) contre les tenants du complotisme, qui nient les complots et préfèrent leur substituer l'inexplicable hasard propre à la loi du plus fort (pourquoi perdre son temps à expliquer ce qui ne relève pas du plus fort, soit du désir?), il reste à rappeler que les complots existent, singulièrement quand ils épousent les contours de la loi du plus fort et qu'ils se déroulent dans les allées du pouvoir en voie de destruction;
2) quand la vérité sur un complot est réhabilitée, quand la VO mensongère est enfin reconnue comme fausse par son coeur même, ce pouvoir en déclin et vacillant, elle se révèle aussi simple que déceptive. La déception provient de ce qu'elle prend subitement un visage réel, sensible, humain, et qu'elle perd son halo de mystère, son aura d'évanescence. C'est ce qui s'est produit avec le témoignage précis et clair, au scalpel, de Bob Graham, sénateur démocrate, figure de la vie politique américaine, huile du renseignement américain (président de la Commission sur le renseignement au Sénat au moment du 911), et de ce fait autorité américaine consacrée en matière de 911 (membre de la Commission parlementaire 2004 sur le 911).
Bob Graham déclare que la VO du 911 est fausse sur les points capitaux : le vrai responsable n'est pas ben Laden; la complicité des Saoudiens au niveau officiel est consignée dans des documents qui ont été classés secret défense par Washington. Ces Saoudiens se trouvent associés au réseau financier entre l'Arabie saoudite et la City de Londres (Graham cite la connexion entre l'Al-Rajji Bank et la BCCI, une banque impliquée dans les guerres de l'opium et récemment lourdement condamnée pour blanchiment de drogue).
Le visage de l'opération 911 sur le sol américain se lève : les commanditaires sont ce complexe anglo-saoudien ou britanno-saoudien, avec des appuis logistiques sur le sol américain (il est possible en sus que des éléments extérieurs aient participé, comme certains agents israéliens cités par le quotidien israélien de gauche Ha'aretz). La logistique d'une opération aussi tortueuse a nécessité le recours à plusieurs agences d'Etats, avec cette précision que les États en question sont des alliés stratégiques des États-Unis, pas des ennemis (loin de la nébuleuse terroriste al Quaeda, officiellement cataloguée comme l'ennemi aussi invisible qu'antagoniste).
Quoi qu'il en soit, le passage de la nébuleuse complotiste et sceptique (un complot insaisissable) à la réalisation effective du complot ôte tout le mystère à l'opération et lui donne un aspect rationnel. Alors qu'il était surnaturel que 19 pirates appuyés par le Vieux de la Montagne et une logistique improbable aient pu réussir une opération sur le sol américain, notamment contre le Pentagone, en déjouant la sécurité civile et militaire poussée des États-Unis, la version que délivre le stratège de premier plan Graham, initié aux secrets du 911 de première main, devient limpide, claire, précise - soudain lumineuse, au point que l'on se demande comment l'on n'y avait pas pensé auparavant.
On pourrait la résumer comme suit : les Saoudiens qui ne sont pas vraiment un Etat et se trouvent sous la coupe des réseaux financiers anglo-saxons, ont commandité les attentats en compagnie d'éléments particulièrement conservateurs de la City de Londres et de Wall Street. La préparation du complot a nécessité la collaboration active d'un réseau encore actif de conjurés sur le sol américain. L'hydre loufoque et montagnarde al Quaeda/Oussama, au demeurant jamais accusés juridiquement, est la diversion idéale pour que l'opinion publique occidentale regarde ailleurs, oublie de rappeler les évidences et d'accuser les vrais suspects.
Parfois, certains accusations grossières et confusionnelles viennent réactiver les pires déviances extrémistes en nommant au mieux des participants mineurs de l'intégralité du complot. Ce serait le cas si l'on accusait au final les Israéliens d'avoir fait le coup - ou les néo-conservateurs derrière la première administration W. Avec cette rationalisation du complot 911, qui reconnaît autant le complot qu'il dénonce le complotisme, on voit se dégager la pensée complotiste comme la pensée qui nie les complots sous couvert d'anticomplotisme :
1) La complotisme refuse que l'homme puisse tout contrôler de manière visible, alors qu'il le pourrait de manière cachée et secrète. Cette folie contradictoire se trouve renforcée par l'aspect à jamais indéfinissable, telle la différance derridienne, de ce pouvoir secret, d'autant plus tout-puissant qu'il est caché et indéfinissable. Le secret indéfini est le plus sûr moyen de perpétuer l'inconnaissable et l'arbitraire comme manière de penser. Autrement dit, le mystère s'adosse à la possibilité de ne rien dire de fondamental et de procéder par allusions, ellipses, comme si seule la surface importait et comme si le fondamental était inaccessible. D'où l'idée selon laquelle le plus important constitue aussi le plus illusoire - ou que le réel véritable serait le réel le plus insaisissable.
2) L'anticomplotisme ne tient pas la route d'un point de vue rationnel (pas davantage que le complotisme dont il est le reflet dénégateur). Il est incohérent. S'il triomphe sur le court terme, c'est parce qu'il exprime la loi du plus fort, le point de vue des oligarques, des puissants, des dominateurs. La plupart des gens établissent leurs opinions en fonction du rapport de forces, de manière mimétique, selon la loi du plus fort. Ils sont sous la coupe et le contrôle de la loi du plus fort, dont le propre est de n'être pas l'expression de personnes, mais de mécanismes et de passions, non pas de conscience, mais de mimétisme.
On le vérifie dans la spéculation, qui est l'apanage de cercles oligarchiques dans la mesure où ils recourent à des machineries puissantes pour opérer leurs complexes opérations de calcul. De même, quand des enquêtes sérieuses et poussées sont effectuées pour déterminer qui sont les responsables et les commanditaires d'un complot, qu'il soit d'Etat ou privé, on en arrive à la conclusion surprenante selon laquelle ceux qui se trouvent accusés sont incapables d'expliquer pourquoi ils ont agi de la sorte : ils se sentent dépassés par un acte qu'ils n'ont pu concourir à commettre que sous l'effet du mimétisme. Moralité : le mimétisme dépasse l'idée de responsabilité, qu'elle soit individuelle ou collective.

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