lundi 10 février 2014

La démagogie du relativisme

L'affaire Dieudonné serait un épiphénomène français illustrant la montée de la haine et de l'extrémisme en France par temps de crise croissante, avec le phénomène inquiétant de la collusion entre les beaufs de la génération black-blanc-beur, de type 2.0, et le nationalisme de tendance branchée (alter), s'il ne signalait le symptôme d'une position qui elle est atavique : le relativisme.
Au départ, le relativisme peut même sembler intéressant en ce qu'il permet de lutter contre une certaine rigidité de fond, certains stéréotypes, le moralisme (au sens rigoureux), en rappelant que le propre du réel n'est pas d'être figé dans des positions strictes et rigoureuses dont on ne change pas (ce qui correspondrait au rêve de Parménide le métaphysicien selon Nietzsche), mais d'admettre au contraire le changement (les philosophes ont donné à cette conception des sens antithétiques, puisque l'on peut autant trouver l'apologie ontologique de l'autre dans l'Etre - que la singularité nominaliste et matérialiste).
Mais il est deux relativismes : 
- l'un, relativisme relatif, qui relativise l'être jusqu'à un certain point (sans doute ne l'a-t-on pas, ainsi entendu, assez relativisé), qui insinue que le réel ne serait pas seulement composé d'être, et que la catégorie du sérieux (l'être figé de l'ordre) n'est pas fondamentale (on comprend que les courants qui se trouvent composés de nihilisme contrecarre cette option, puisqu'ils estiment que le désordre précède l'ordre); 
- l'autre est le relativisme absolu, qui pose que tout se vaut, au sens où tout est relatif. Dans ce cas, si tout est relatif, alors le principe de réalité explose tout autant que le principe d’être. 
Comme il nous est pénible d’imaginer et de concevoir (au sens cartésien) que le réel ait un sens (bien qu’il en ait un), nous pouvons en examinant l’être nous aviser que l’être ne saurait exister sans un certain ordre (comme ce que Heidegger a nommé le Dasein et qui veut dire que l’être ne peut se manifester autrement que selon la règle de l’ici et du maintenant, du singulier également, ce qui implique que l’étendue soit régentée par la nécessité impérieuse que le quelque chose doit divisé en une infinité d’objets, et non ne forme une unité, qui existe sans doute, mais à un autre niveau que le nôtre).
Le fonctionnement de l’être pris en tant que tel établit le principe de non-contradiction (dont Aristote fait un usage orienté, métaphysique). Le relativisme reviendrait à revendiquer la possibilité de la contradiction, au sens physique où l’espace n’existe plus comme l’ici et du maintenant, mais comme la négation de l’espace temps, non au profit d’une totalité unitaire de type moniste, mais d'un possibilité d'être à la fois une chose et son contraire, donc de contrevenir au principe de non-contradiction. Dans ce schéma, l'espace et le temps n'existent pas, puisque la définition d'une chose, sa distinction disparaissent.
On se situe dans le raisonnement le plus confusionnel, chaotique, au sens où le principe de base du réel singulier peut être contrevenu, singulièrement dans l'ordre de l'être : une chose ne saurait être deux en même temps, surtout quand cette confusion ou cet amalgame entend réconcilier les contraires et faire comme si contradiction pouvait être surmontée ou rendue possible par le fait de tout relativiser.
Le relativisme absolu consiste à permettre que soit possible la réunification en une seule chose d'une chose et son contraire. Je peux être honnête et malhonnête devient possible, au sens où le sujet qui réunit ces deux actions contraires est un. Mais comment, dans la distinction née du principe de non-contradiction, ce qui est un peut être deux? Soit l'un est le total, qui définit le relatif absolu comme le fait que tout se vaut (tout et rien deviennent synonymes); soit nous nous situons dans la sphère de l'objet singulier, à l'intérieur de la totalité, et alors l'un est le deux relatifs, au sens où une chose est deux choses, un objet deux objets, en particulier quand ces deux objets ne sont pas des objets voisins, mais quand leur valeur (ou leur sens) sont contraires.
Il serait même plus juste d'affirmer que seul le contraire est ici possible comme négation du principe de non-contradiction, au sens où les nuances voisines (les paronymes) peuvent former une unité 'définition du tout,), quand seuls les contraires peuvent être tenus comme réalisant le prodige du deux en un, soit du relativisme. Pourquoi ici deux et non pas le multiple? Parce que le principe de contradiction se ramène à deux éléments contraires, quand la nuance est le propre de la singularité, qui s'épanouit dans l'être. La paronymie n'est pas le domaine du réel, ni de l'être, mais celui de cette étrange posture du relativisme, qui signale la contradiction et qui dans l'expression politique se nomme démagogie.
Une de ses manifestations est la dépolitisation au sens où le sens politique fait défaut et où la dépolitisation n'est pas une alternative au militantisme politique, mais lui est inférieure (dans le sens de l'excuse beauf de la différence cachant l'infériorité). La dépolitisation est l'expression politique du relativisme : seule la violence permet de sortir de l'engrenage de l'impossible dans lequel enferme la dépolitisation (impossibilité de toute action). C'est le spectre du fascisme au vingtième siècle, plus largement de toute oligarchie, qui lie la violence au corporatisme, puisque la politisation est impossible et que le travail est l'activité qui fédère quand on ne reconnaît pas le politique.
Ce qui peut sembler tentant, de pouvoir dire (dans un sens hypothétique) tout et son contraire (et non pas une chose et ses paronymes), relève en fait de l'illusion : tout dire, c'est ne rien dire; tout comme  : si tout se vaut, rien ne se vaut. Celui qui se trouve tenté par le discours relativiste, en premier lieu, c'est celui qui tient lui-même des discours contradictoires, par manque de formation intellectuelle. C'est donc celui qui n'a pas fait d'études, qui va se trouver attiré par tout discours d'extrême-droite (cas des classes peu favorisées qui sont d'autant plus attirées par l'extrême-droite qu'elles en sont les victimes objectives). Mais c'est aussi le cas de ceux qui pensent que ce relativisme profiterait à leur point de vue différent et incompris (voire marginal), alors qu'ils défendent le principe de contradiction et aucune originalité ou différence véritable.
Si le relativisme semble permettre d'avancer une chose et son contraire, de permettre la transgression de la perversion (par exemple je peux me montrer raciste et non raciste, ou encore, je peux respecter la loi et verser dans l'illégalité, soit enfin : être et ne pas être), cette position défavorise les faibles, tant d'un point de vue intellectuel (les incultes) que social (les défavorisés), et favorise les puissants d'un point de vue oligarchique (ceux qui tiennent les leviers sociaux, politiques et économiques, les rois souvent ensemble). Le relativisme détruit la connaissance et ne la remplace que par le modèle du chaos. Celui qui s'en réclame est celui dont les intérêts n'ont pas intérêt au chaos.
Le relativisme n'induit pas que la connaissance soit impossible, mais qu'elle se trouve réservée à une petite élite (projet que revendiquait le jeune Nietzsche). Si tout est relatif, cette prétention implique qu'il faille conserver malgré tout, de manière ambivalente et paradoxale, un point de rattachement et de valeur, qui permette d'indiquer que tout est relatif à partir de ce point seul. Si tout est relatif, tout l'est - jusqu'au point du constat, qui s'en trouve exclu. Le tout intégrerait l'exception qui confirme la règle, mais, plus pervers, l'exception se situe à l'extérieur du tout (de la règle). 
Le tout ne peut se penser sans extériorité, de même que l'être n'est total chez Descartes que dans la mesure où il induit du néant, de la manière la plus déniée qui soit (recalé au sein du dire). Pouvoir tout dire, c'est ne rien dire. Le fantasme de tout dire n'existe que chez celui qui n'a rien à dire. Et celui qui n'a rien à dire est attiré par celui qui ne dit rien d'autre que des prétentions contradictoires et exorbitantes (l'énorme faisant parade de sensationnel). Le relativisme ne s'adresse qu'à ce segment de public très particulier, qui estime que ne rien dire est possible au motif que ce serait tout dire.
Au final, nous avons un public qui se sent exclu parce qu'il est inculte, qu'il fonctionne sur l'émotif et que cette approche lui interdit de comprendre le fonctionnement de la société. Et ce public ne peut s'identifier, de manière fusionnelle et irrationnelle (ce qui implique que cette croyance ne puisse être délogée par le raisonnement et le dialogue), qu'avec des porte-paroles élitistes et démagogues. C'est la nécessité du paradoxe contenu dans le relativisme : le populisme qui prétend s'adresser au peuple ne fonctionne que dans l'élitisme, avec des représentants qui s'affranchissent des règles qu'ils édictent. La démagogie est une relation paradoxale et injuste, dans laquelle les décérébrés moutonniers sont obligés de se tenir au service de quelques représentants dont le propre est de dominer les règles qu'ils édictent.
Toujours pour la même raison : ils sont arbitraires et injustes parce qu'ils ont, non la possibilité, mais l'obligation, de violer le statut de non-contradiction, qui est la règle cardinale imposée aux majorités - au peuple (visé par le populisme, surtout quand il est démagogique). Dans les états de nature fasciste, le leader, souvent sur nommé le Guide, comme ce fut le cas avec Kadhafi, jouit du privilège exorbitant de pouvoir (presque) tout se permettre, au sens où il est le garant d'un ordre qui sans cette exception ne peut fonctionner. Voilà qui indique que cet ordre repose sur la violence dangereuse de la démagogie (dans le cas de la Libye, le clan Kadhafi n'a pu habiller son national-socialisme de panarabisme puis de panafricanisme qu'à la condition de pouvoir se reposer sur la manne pétrolière et gazière).
Mais il n'y a pas qu'en politique que ce genre d'ordre contradictoire existe. Le propre de la démagogie consiste à vendre un modèle qui n'est pas politique, et qui revendique, non son apolitisme, mais la dépolitisation de ses membres. Dans ce cadre, les membres dépolitisés ne peuvent qu'adorer des représentants aux pouvoirs exceptionnels (l'exception qui repose sur la fameuse contradiction). Et c'est ici qu'interviennent les démagogues types, comme Dieudonné : ce ne sont pas des politiciens, ce sont des dépoliticiens, au sens où il se situe à un niveau qui leur permet à la fois de tout relativiser tout en assumant pleinement le cadre de ce relativisme outrancier et provocateur : c'est le rôle du bouffon.
Rappelons une nouvelle que tout bouffon, Dieudonné comme les autres, se trouve au service du pouvoir effectif. Dans un système de démagogie, qui tient les rênes du pouvoir? Ce ne sont pas les représentants médiatiques et visibles, qui sont les bouffons, les amuseurs, les provocateurs (des agents stipendiés le plus souvent par des cercles du pouvoir). Ce ne sont pas davantage la clique des politiciens, qui sont au service des véritables tenants du pouvoir et qui se signalent le plus souvent par des positions parentes, ce qui explique leur discrédit dans l'opinion. Mais alors, ce sont ce qu'on appelle des oligarques, dont l'identité est d'être aussi cachée que d'ordre économique (ce qui donne un certain poids philosophique à l'analyse marxienne de la société humaine, à ceci près que cette société repose sur le réel).
On pourrait estimer, avec certaines palpitations, qu'en découvrant ces pouvoirs cachés, on a découvert le véritable pouvoir. Va-t-on tomber sur les tireurs de ficelles des bouffons et des politiciens? Va-t-on découvrir un groupe homogène, comme les illuminés croient dans les Illuminatis - ou sa variante (parfois complémentaire) du sionisme qui dirigerait le monde? Pas du tout, car le propre du pouvoir caché est d'être multiple et éclaté; et d'être inférieur au pouvoir visible. En découvrant les nombreux cercles oligarchiques, on ne découvre le véritable pouvoir que dans la mesure où ce pouvoir se révèle faible, labyrinthique et ingérable. C'est d'ailleurs la principale raison du pouvoir visible que de rendre possible l'exercice du pouvoir.
La démagogie consiste à faire croire que le pouvoir n'existe pas. L'exercice du pouvoir est antirelativiste au sens où il hiérarchise de manière politique les valeurs au sein du réel. Quand on dit que toutes les valeurs se valent, on est favorable à l'annulation du pouvoir et à la dépolitisation nécessaire du peuple au profit d'un pouvoir caché, éclaté et aux ramifications antagonistes. L'oligarchie a besoin de légitimer le pouvoir caché en faisant oublier que ce pouvoir est fiable (alors qu'il est faible). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les complotistes, autant que les bouffons, passent d'autant plus pour des contestataires du système en place qu'ils confortent le pouvoir, pourvu qu'il soit caché et éclaté.
La fonction du bouffon est d'apporter une crédibilité médiatique (de pure apparence) à la possibilité dans un système démagogique où tout est relatif de proposer des représentants au peuple : la possibilité qu'il existe des représentants démagogiques qui représentent le peuple dans ses aspirations les plus populistes (au sens de démagogique). De ce fait, le bouffons devient, dans cet échiquier oligarchique, plus important que le politicien, car le vrai pouvoir étant caché, le politicien n'est que le représentant de certains intérêts oligarchiques, tandis que le bouffon représente les aspirations démagogiques de courants populaires (et populistes). La fonction du politicien est de servir les valeurs oligarchiques (d'où la dépolitisation), tandis que le bouffon sert directement la dépolitisation en proposant son comique professionnel, stéréotypé et, quand on est lucide, roboratif (indigeste).
Le politicien est sérieux. Il sert des oligarques. Il n'a aucune représentativité populaire. Sa seule légitimité est la puissance indirecte dont il est paré. Le bouffon acquiert une importance capitale dans le dispositif relativiste, démagogique et oligarchique en ce qu'il permet de faire croire que le sérieux n'existe pas, en tout cas qu'il se trouve inféodé au relativisme (d'où la légitimité du comique professionnel et quasiment automatique). Le bouffon acquiert plus d'importance que le politicien dans le système politique oligarchique, en ce qu'il possède une représentativité, même restreinte et de facture dépolitisée (représentation démagogique en ce qu'elle est populaire et dépolitisée).
Le politicien est dépourvu de représentativité. Il peut toujours en appeler au sérieux et aux valeurs politiques traditionnelles, le peuple sait qu'il est menteur et corrompu. Il se trouve bientôt contraint de s'opposer au bouffon, dans une perversion des rapports politiciens. A l'échange et au dialogue en vue de la participation populaire aux décisions politiques se substitue le communautarisme, dont la nature est pas d'être religieuses, comme son sens premier l'y incline, mis idéologique, au sens libéral du terme. Cette opposition inévitable du bouffon au politicien pourrait sembler tourner à l'avantage du bouffon.
C'est une vision superficielle et restreinte du problème. Le bouffon n'a qu'un rôle cathartique du plus vilain effet : il soulage la frustration de ses fans (au sens de fanatiques d'autant plus fanatisés qu'ils sont dépolitisés, fanatiques démagogiques et relativistes). Les plus naïfs (et incultes, tant le relativisme découle de l'inculture, voire de la bêtise) peuvent estimer que le bouffon avantage les intérêts du peuple (au moins de ses thuriféraires). Mais le bouffon n'est qu'un pion dans le dispositif qui sert les intérêts oligarchiques et qui oblige, si l'on entend diviser pour régner, à fomenter l'affrontement perpétuel (quoique fantasmatique) entre les politiciens et les bouffons. Entre ceux qui représentent des intérêts oligarchiques et ceux qui représentent des intérêts démagogiques. 
Au final, les deux partis sont d'obédience démagogique et sont opposés l'un à l'autre (et les uns aux autres car au sein de chacun la multiplicité antagoniste pullule), en tant qu'ils sont les deux pendants du système relativiste : l'un représente le sérieux le plus grossier et simpliste, tandis que l'autre exprime le comique le plus décérébré, vulgaire et aberrant. Si l'on ne sort pas de cet affrontement de dupes, l'on ne peut trouver de solution à ce problème. Le problème s'avère d'autant plus difficile à résoudre que son propre est d'empêcher la résolution : laisser croire que le sentiment d'injustice ressenti par les différentes factions (qui tendent à devenir factieuses, vers la guerre civile) est légitime, mais ne peut être résolu. La colère erre, dévastatrice, et trouve un support dans cet humour, dont on mesure à quel point il est haineux et vain. Sa vanité, dans tous les sens du terme, consiste à ne permettre aucune résolution qu'un petit défoulement qui sur le moment soulage, puis sur le terme ne fait qu'accroître le problème initial (et la colère qui le porte).
Le seul moyen de sortir du relativisme consiste à restaurer l'humour comme antidote, presque hygiénique, à l'humour professionnel. Cet humour n'est ni l'humour oligarchique qui se situe dans les références passées, ni dans le comique professionnel, qui a concocté le rire de la vengeance et de la frustration. L'humour consiste à restaurer le lien avec le sérieux. Il ne peut exister de sérieux sans humour (comme c'est le cas du politicien oligarchique), ni d'humour sans sérieux (comme c'est le cas du comique et du bouffon, qui s'arrogent le droit de rire non seulement de tout, mais des choses qui sont contradictoires entre elles). Le sérieux qui ne comporte pas d'humour correspond à un réel qui serait contradictoire. La résolution du contradictoire passe par la levée du relativisme.

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