lundi 24 novembre 2014

Bonne nouvelle : la crise

La crise est une bonne nouvelle en ce qu'elle inaugure l'avènement d'une nouvelle ère. La question n'est pas de savoir si l'humanité va poursuivre son progrès - plutôt si la redistribution des rapports de force ne va pas évincer de la scène des décideurs les maîtres du jeu de l'époque moderne, les Occidentaux.
Qu'annonce la crise, qui n'est pas n'importe quelle crise, mais la crise qui attaque tous les stades de l'humanité que l'on peut résumer à une valeur fondamentale : le transcendantalisme? Cette crise sanctionne l'effondrement de toutes les valeurs, au point que l'on voit le nihilisme originaire se montrer toujours présent dans les valeurs qui lui ont été opposées depuis lors, ce nihilisme dont le propre est d'être caché et dénié. 
Si cette crise n'apparaissait pas, c'est alors que le danger surviendrait : cela signifierait que l'homme n'est pas capable de réaction. La crise est un système d'alarme qui prévient l'homme qu'il doit réagir, qu'il doit inventer - de nouvelles valeurs. Tant que cette invention se déroulait dans le cadre du transcendantalisme, l'invention avait un socle sur lequel rebondir, pour repartir plus vite. Cas du monothéisme, qui n'est pas apparu en quelques décennies et dans le seul foyer hébreu, comme on essaye de nous le dire trop souvent (comme il conviendrait de distinguer l'histoire des premiers chrétiens, dont leur fondateur Jésus, de l'histoire du christianisme tel qu'il s'est développé dans le bassin méditerranéen, pour devenir religion de l'Empire).
Ce socle s'est effondré. C'est pourquoi l'illusion de rien domine. Pas un rien qui serait la destruction de l'être, puis sa disparition, mais un rien qui implique que coexistent rien + être et que dans cette configuration, l'être soit soumis au hasard, à la nécessité et  l'absence de tout sens comme de toute morale. Le nihilisme ne laisse pas croire que l'être va disparaître, mais que ses parties vont disparaître, toutes et à jamais. Ce qu'il cherche à montrer, c'est que la crise est permanente, à qu'à la limite, l'état d'ordre est l'exception. Ou encore : l'ordre ordinaire est celui du désordre.
Le sens n'existe pas à l'état d'absolu. Ce qui existe, c'est des multitudes de sens relatifs et singuliers. La crise signifie moins la possibilité de disparition, que la nécessité d'opposer des alternatives de sens à celui qui est devenu obsolète. La crise murmure : nos valeurs sont dépassées. Ce fut le génie de Nietzsche que d'avoir compris que les valeurs s'effondraient. Il intervint pour réclamer le remplacement des valeurs classiques, morales et idéales, par ce qu'il nomme de nouvelles valeurs.
En guise de nouveauté, on verra l'alternative tant annoncée : Nietzsche annoncera sans jamais rien montrer - un beau parleur plus haut parleur que concepteur. Les quelques ébauches, elliptiques et confuses, qu'il a laissées de ce genre d'annonces avant l'effondrement prévisible rappellent que Nietzsche envisageait de remplacer le nihilisme réactif par le nihilisme divin. Toujours chez lui cette manie (littérale) de prôner le principe de contradiction, en lieu et place de l'innovation changeante. 
Nietzsche ne pouvait que finir fou puisqu'il prône la suppression du changement, autrement dit, dans un monde changeant et en proie au devenir, le fait que la supériorité soit celle de dominer le devenir au point que son acceptation atteigne à l’immobilisme de ses valeurs (ce qu’on retrouve dans l'idée confuse d’Éternel Retour). Nietzsche loin d’annoncer quoi que ce soit de nouveau se contente de remplacer ce qui est par des valeurs passées, qui n'ont jamais pu s'exprimer de manière dominante. 
Il escompte ainsi profiter de la chute du transcendantalisme, qu’il diagnostique mal (ou de manière partiale) en le prenant pour le seul christianisme (il est tellement obsessionnel qu'il est prêt à soutenir contre son ennemi irréductible toutes les formes de paganisme, en particulier la forme non identifiée du dionysiaque, comme un paganisme compatible avec le nihilisme divin selon lui). Le fait que Nietzsche ne puisse rien proposer de neuf vient du fait que le nihilisme n'est pas une alternative, mais le premier réflexe de conscience qui vient à l'esprit de l'homme pour proposer une vision du monde est le nihilisme - au point que l'on peut se demander si l'état de nature ne coïnciderait pas, plutôt que l’Éden bienheureux et insouciant, avec le nihilisme, qui, après tout, serait parfait si l’immortalité existait...
La crise est donc le refus immédiat du nihilisme, le fait que l'homme quand il se vautre dans ce qu'il prend pour son bonheur se trouve réveillé par ce qu’il prend pour une catastrophe, alors que la crise est plutôt ce qui empêche la catastrophe. La crise est la réaction antinihiliste par excellence. Il est aberrant de vouloir imposer le nihilisme à la crise dans ces conditions...
Reste à savoir comment la crise survient, par quelle source. Voilà la preuve que les phénomènes ne peuvent surgir selon le hasard, mais qu'ils ne peuvent que suivre un certain ordre (en précisant que cet ordre n'émane pas d'une personne, quelle qu'elle soit, physique, vivant dans le même monde que nous, ce qui n’exclut nullement que ce que nous nommons Dieu soit dénué de corps). 
Le réel fonctionne de telle manière que l'homme a pour rôle de profiter de la crise pour la surmonter et trouver de nouvelles valeurs. Si l'homme devait disparaître, ce ne serait pas suite à une crise, qui s'annonce, mais il subirait un événement imprévu et subit de destruction, dont il ne saurait se remettre, alors que la crise appelle une réaction obligée, comme si elle faisait partie des moyens de s'en sortir. Par exemple, une épidémie foudroyante ou une explosion atomique de très haut niveau. 
Mais, même avec ces élucubrations apocalyptiques, on peut se demander si l’homme ne dispose pas de considérables ressources pour trouver des solutions. Sa disparation serait moins à craindre que sa progressive mutation (interne) en une autre espèce. Loin d'annoncer la disparition, la crise signifie plutôt l’avènement de nouvelles valeurs, le progrès en ce sens, d'ordre religieux. La crise annonce qu'il faut réagir, tandis que la disparition ne prévient pas.
De ce fait, cette crise est d’autant plus importante qu'elle est annonciatrice de profondes mutations (la conquête spatiale entre autres). La crise n'est jamais matérielle, bien qu’elle se manifeste en premier par des désordres économiques. Elle rappelle qu'il manque des valeurs d'ordre religieuse. La crise annonce donc qu’une nouvelle forme de religieux va prendre la place, non du seul monothéisme, mais de l’ensemble du transcendantalisme.

Aucun commentaire: