samedi 4 juin 2016

L'insuffisance

Quand Descartes définit Dieu comme ce qui est parfait, sa définition se trouve contredite par la présence conjointe du néant dans ses réflexions. L'argument selon lequel le néant n'aurait pas d'existence autre que dans le langage ne tient pas, car à ce compte, Dieu n'existerait lui aussi que dans le langage, sans que son existence soit validée par l'expérience... 
C'est une sérieuse objection à Descartes que de lui demander de montrer que les fondements de sa réflexion ont une existence effective et ne sont pas cantonnés au niveau de l'expression langagière du sujet. Le fait que Descartes universalise le sujet ne change pas cette objection, puisque le subjectivisme universalisé n'en demeure pas moins subjectiviste de part en part. L'erreur découle du fait de croire que ce qui existe dans le langage existe sous la même forme dans la réalité. Logique interne, logique externe... qui ne trouve pourtant pas de vérification dans la démarche scientifique, la seule qualifiée pourtant à décrire le réel selon Descartes. 
Ainsi, ce que Descartes nomme Dieu ne prend pas en compte l'ensemble du réel, mais l'ensemble de l'être. Descartes confond l'être et le réel, ce qui constitue l'erreur de la métaphysique, à peine modifiée entre ses deux phases. Dans la phase 1, Aristote reconnaît le non-être, mais il s'en désintéresse logiquement, à partir du moment où l’intelligence faisant partie de l'être ne peut que connaître l'être. Dans la phase 2, Descartes ne parvient pas à supprimer le non-être, qu'il nomme néant, ce qui implique, malgré l'affirmation que Dieu est infini, que Dieu soit l'être, et qu'il ne puisse être infini, s'il coexiste avec le néant.
C'est dire que Descartes n'est pas le successeur de Platon sur ce point crucial, contrairement à l'estimation de certains commentateurs qui croient se montrer avant-gardistes en rattachant Descartes à Platon, sans quoi il ne peinerait pas à définir l'infini et il définirait le néant dans le sillage de l'autre. Le fait qu'il croit que le néant est défaut ou manque, selon ses termes, le rattache bel et bien à la tradition de la métaphysique atavique, initiée par Aristote. À ce sujet, il n'existe pas d’Être, mais seulement de l'être, car l'idée d’Être implique la perfection. Or le néant est incompatible avec la perfection...
Ce que montre la coexistence impossible de Dieu avec le néant (ou du parfait avec le défaut), c'est qu'il n'est d'être qu'incomplet. L'erreur de Descartes, de définir Dieu comme le parfait associé au défaut, n'est possible que parce qu'elle porte au départ sur la croyance accordée à l'être (savoir qu'il est complet). Au-delà de la métaphysique, au-delà de la philosophie, cette croyance relève du transcendantalisme. Il s'agit de comprendre que le logiciel transcendantaliste ne pense pas le réel au-delà de l'être. 
La philosophie doit proposer l'alternative permettant de ne pas verser dans la contradiction selon laquelle la perfection va de pair avec le néant. Le terme de réel ne doit pas s'intégrer dans la perspective exclusive de l'être, sans quoi on manque l'élément qui dans le réel n'est pas de l'être. Quand Rosset, l'immanentiste terminal, qui prétend sortir de la philosophie, entend qu'il n'existe que du réel au sens littéral, il signifie toujours que le réel se réduit à l'être, et en l'occurrence le plus fini, celui du présent. 
Au risque de contredire les faux originaux, soit le réel est une partie de l'être, soit il connote autre chose que l'être. 

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