jeudi 8 novembre 2018

Voir double

Certains de nos jours estiment depuis Nietzsche que le double est le raisonnement qui mène vers l’illusion. Cette conception se targue d'avoir mis en lumière le principe de l'erreur, ce qui n'est pas rien et qui indique à rebours que l'on a trouvé a contrario le vrai. Le double est ce que le langage et la raison rajoutent au réel, qui lui est simple, alors que cela n'existe pas. L'idée est qu'on peut rajouter au réel quelque chose qui existe sans être réel et qui doit donc disparaître.
(Sans approfondir ici ce thème, on tient là l'explication à la légitimation de la violence politique et philosophique, du totalitarisme et des dérives comme Hegel ou Heidegger, puisque le réel n'est que ce qui doit rester au sein de ce qui existe et qui est constitué aussi d'une part non négligeable de contingent, d'accidentel, de périssable, qui de ce fait doit être éradiqué, ce à quoi appellent Hegel avant Heidegger).
Dès lors, le vrai est le simple, le simple est l'immanent, et rien de plus. Le vrai n'existe que pour l'homme, pas dans l'absolu. Surtout, il connote l'ineffable et relève de l'intuition inexplicable. Pour le comprendre, le langage s'avère limité, pour preuve sa tendance à glisser vers le double. Mais comment obtenir le simple si l'on doit se méfier de la raison? On voit qu'il ne peut venir du raisonnement, qui est accessible à tous.
Le vrai doit plutôt venir de l'intuition, qui se comprend parce qu'elle ne se dit pas. Dans cette mentalité, la compréhension est innée, elle émane des aristocrates de l'esprit, ceux qui sont bons et forts, ceux dont le jugement est sain - par opposition au vulgaire, qui, à en croire Nietzsche, recourt à la raison pour mieux ratiociner. Où l'on voit que le nietzschéisme est un innéisme implicite, dont le slogan est : "Deviens ce que tu es". N'est-ce pas un aveu limpide? On trouve ce genre de raisonnement chez un Rosset, quand il déclare qu'il y a ceux qui sont en bonne santé et ceux qui sont en mauvaise santé. C'est un donné, irréfragable. Partant, à l'en croire, on ne peut guérir que des bien-portants, puisque les malades le sont de par leur nature viciée.
La tâche de la politique est si limpide qu'elle n'a plus à être explicitée, et c'est pourquoi ce genre de pensée est si dangereux : il faut expurger tout ce qui est double et se focaliser sur le singulier, qui est le nécessaire et l'immanent. Un Rosset prône même la dépolitisation : il se lave les mains de ce que sa philosophie appelle, puisque l'affronter reviendrait à faire son Heidegger, c'est-à-dire à assumer que la pensée est nécessairement violente.
Mais l'objection principale contre ce genre de philosophie n'est pas son aspect profondément destructeur, aussi important soit cette pensée (car on peut se demander si le germe n'est pas présent dans toute la philosophie, à des doses variables, à partir du moment où la philosophie estime que le faux n'est pas réel, autrement dit qu'il existe au sein du réel quelque chose qui ne l'est pas). L'objection connexe, qui découle de cette approche dangereuse car éliminativiste de la vérité, consiste à se demander si le double ne constitue pas le propre du raisonnement. 
Non pas au sens où les nietzschéens l'entendent, soit comme illusion, mais au contraire comme ce qui permet de penser, ce qui implique que le réel fonctionne de manière duelle, et non simple. Voilà qui expliquerait pourquoi un Rosset réussit l'exploit de faire reposer toute son explication du double sur la non-définition du réel, ce qui revient à invalider son raisonnement. Parce que cette conception est aux antipodes de la vérité.

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