dimanche 6 juillet 2008

Digression néo-immanentiste

Enfin, je reviens à mes moutons et j'espère ne plus m'égarer dans des digressions détonantes et imprévues comme dans les précédents billets. Que ceux qui me reprochent de ne pas suivre un plan m'excuse de penser un tan soit peu : cela les changera des élucubrations stéréotypées et dépensées sans pensée dont les gratifient tous les académistes, soit tous ceux qui suivent des codes de pensée, alors que le principe de la pensée est de surgir sans prévenir. Quant aux esprits lucides, ils savent déjà et je me contenterai sur ce point comme sur d'autres de les renvoyer à la pertinence de Montaigne.
L'immanentisme montre son vrai visage entre le milieu du dix-neuvième et le début du vingtième. Je m'aperçois que sur ce point comme sur d'autres il serait temps d'analyser le rôle mondialisateur que jouèrent les deux terribles guerres mondiales, qui sont d'ailleurs bien plus globalisantes que la mondialisation actuelle. La mondialisation indique le processus de destruction intestine une fois l'unification achevée, alors que les guerres dites justement mondiales sont les évènements qui parachèvent le processus babellien de réunification, qui, suivant le mythe, annonce bien plus une catastrophe qu'un heureux évènement.
J'entends quelques brebis bêler d'impatience et je constate que l'immanentisme, qui existe bien, n'en déplaise aux béotiens, montre son vrai visage au moment où il ne peut plus exhaler sa force de propagande. Au reste, l'immanentisme a mis quelques siècles à dominer et n'a surgi que parce que le monothéisme était en situation de déclin prononcé. Mais l'immanentisme ne surgit pas que par rapport au déclin du monothéisme. C'est à un déclin plus vaste que l'homme a affaire, au déclin du système religieux qui l'a toujours mû, le transcendantalisme.
L'immanentisme se veut une réponse au transcendantalisme et s'est conçu fort rapidement, en quelques siècles du quinzième au dix-huitième approximativement, le temps que la Raison prenne confiance en ses facultés et ait l'outrecuidance de lutter allègrement. Ce premier aspect de la rapidité d'éclosion et de domination de la Raison a sans doute joué un rôle exacerbé dans la démesure caractéristique qui permet à la Raison d'estimer que son apogée rapide signifie aussi son règne éternel.
Pendant qu'elle se pâme et se pavane, la Raison ne s'aperçoit pas qu'elle est déjà sur la pente savonneuse du déclin et qu'elle est sur le point de s'effondrer. Déjà au dix-huitième l'immanentisme est en déclin, si bien que l'on peut aussi interpréter les deux siècles suivants comme des tentatives désespérées de trouver des leurres et des diversions pour continuer la supercherie et propager la bonne nouvelle : la Raison domine le monde.
D'une certaine manière la propagande qui sous-tend la Raison est assez infantile et repose sur le mécanisme du rêve : continuer à délirer pour faire perdurer le rêve. Pourtant, les nuages lourds et noirs s'amoncèlent et ne laissent que peu de doutes sur la réalité. Et par un beau jour ensoleillé, le 911 surgit comme un cauchemar pour ceux qui n'avaient pas voulu voir les mauvaises nouvelles précédentes, qui n'étaient que des mises en garde, alors que le 911 annonce clairement à tous les esprits un brin lucides que le système immanentiste est en train de s'effondrer et qu'aucune tentative ne pourra enrayer ce phénomène après tout classique.
Sauf que le système est désormais global ou unique, c'est-à-dire qu'il est immanentiste, d'inspiration et de structuration. Tous les éléments qui aujourd'hui apparaissent comme des éléments pourris ou en voie de décomposition sont issus du dix-neuvième siècle environ, de cette période qui suit l'apogée de l'immanentisme et qui précède le déclin explicite de l'immanentisme. Durant cette ère de transition, le vrai visage de l'immanentisme apparaît, c'est-à-dire que le système est nu et que la propagande idyllique ne fonctionne plus.
Le vrai visage de l'immanentisme, c'est le symptôme somme tout classique que je nommerais celui de la perversion caractérisée et que les Anciens désignaient sous le terme bien connu de démesure. Autrement dit, la démesure immanentiste revient typiquement à substituer la Raison à Dieu, avec des conséquences évidentes : la Raison renvoie à l'homme - pas à Dieu. Dès lors, l'homme s'institue arbitrairement en tant que maître de l'univers et ce geste peut un temps paraître pour un gage de réussite et non un ignoble et effrayant subterfuge.
Cependant, par la suite et rapidement, il apparaît que la Raison n'est pas maître du monde, pas plus en tout cas que la partie ne saurait devenir le tout - ou la grenouille le boeuf. La Raison est une usurpatrice et comme tous les usurpateurs elle finit par se détruire après avoir détruit. Demandez à Jean-Claude Romand ce qu'il en pense.
Précisons que l'immanentisme brille par son extrémisme viscéral : le principe de la propagande immanentiste consiste à affirmer que l'immanentisme est meilleur que le transcendantalisme parce qu'il se fonde sur les facultés humaines, en premier lieu la Raison, et que l'immanentisme a mis fin au transcendantalisme. Autrement dit, la modération serait supposée venir de l'acte le plus meurtrier de l'histoire humaine : avoir assassiné Dieu, ainsi que le résumait justement et terriblement Nieztsche!
L'extrémisme immanentiste se résume par son affirmation outrancière et outrageante de modération. L'exigence immanentiste de modération signifie en fait que c'est l'extrémisme le plus viscéral qui gouverne le principe immanentiste, extrémisme seul en mesure de décapiter ainsi le transcendantalisme et de lui succéder; extrémisme travesti en modération de bon aloi sous le prétexte fallacieux que seule la modération et les valeurs positives peuvent venir à bout d'un principe mauvais et dévalorisé comme le transcendantalisme.
On se rend compte qu'on nage en pleine propagande et que c'est l'immanentisme qui nous ressasse jusqu'à la nausée, jusqu'à ce que nos cerveaux impriment mécaniquement, que ses principes sont les bons, comme par hasard, et que les principes de ses adversaires sont les mauvais. Comme par hasard également.

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