mardi 13 janvier 2009

Chemins qui ne mènent nulle part



Peu importe la semaine exacte, il ne faut pas donner trop d'importance aux interventions nihilistes. Non qu'elles n'aient pas d'importance en tant que telles, mais que leur importance est source d'avanies. La semaine dernière donc, Clément Rosset est intervenu sur France Culture. Pour le coup, son complice Enthoven avait réuni un panel d'invités totalement acquis au génie du maître ès nihilisme.
On sent bien qu'il est impossible d'adresser une critique sans immédiatement contrecarrer les plans de ces ultradiplômés aussi mineurs que minables. Tous ont l'agrégation et tous prônent la désagrégation. Si l'on ne me croit pas, que l'on lise de bonne foi les productions d'Enthoven Jr., qui est à la philosophie ce que son père est à l'édition : un pion qui manipule autant qu'il est manipulé. Je ne sais pas si Enthoven Sr. goûte autant que son fils incestueux (voir l'épisode hallucinant Carla Bruni) Spinoza, mais tous deux ont trouvé le moyen de pratiquer leur élitisme mondialiste en conciliant le sionisme et le progressisme affiché.
Pourtant, quand on écoute Sr., et qu'on découvre qu'il est le grand ami et l'éditeur fidèle de BHL, on se doute que ce progressisme n'est que de façade et qu'en fait il cache la réaction la pire de toutes : l'oligarchie. Il serait d'ailleurs intéressant de constater quel penseur le père et le fils de cette dynastie littéraire (au sens de République des Lettres tant dénoncée par Beaumarchais) révèrent : le père goûte le philosophe BHL, nouveau et engagé; quand le fils s'est défié de l'engagement et a élu dans son coeur Clément Rosset.
Il est vrai qu'en apparence, on pourrait estimer que le penseur du désengagement et du desengano se situe aux antipodes de l'intellectuel qui révère Sartre, voire Voltaire (tout en estimant que Voltaire est antisémite et que le meilleur Voltaire se situe dans son incarnation néoconservatrice de Valtaire). Mais tous deux viennent de la même lame de fond : le nihilisme.
Tous deux révèrent Spinoza et Nietszche, sans doute plus explicitement Rosset que BHL. D'ailleurs, BHL a demandé que l'on juge sa vie sur ses actes : eh bien, il est vrai que son nihilisme se manifeste surtout dans ses actes et peu dans son oeuvre. Parler d'oeuvre pour qualifier la prose de BHL relève de l'ironie voltairienne : BHL n'a écrit au mieux que des fadaises, si bien qu'on peut estimer qu'il n'a rien écrit et que son nihilisme se manifeste dans ce néant de la pensée et ce néant des actes. BHL écrit beaucoup, se dépense beaucoup, mais c'est pour ne rien faire et ne rien produire.
Clément Rosset a produit une oeuvre autrement plus dense et profonde que BHL. On peut dire que Rosset a eu une idée, une idée si intéressante qu'il se paye le luxe de fort bien écrire et avec une clarté quasiment inégalée en philosophie. Autant dire que si BHL incarne à son insu le nihilisme, Rosset l'a théorisé le mieux - le plus conséquemment. Rosset a une idée : la tautologie.
Cette idée, c'est que A est A - et rien d'autre. A partir de ce rappel, on comprend que le théoricien du nihilisme est un maître en discrétion et en ombres. Rosset se cache autant que BHL se montre. C'est sans doute que les deux brassent du vent et n'ont rien à dire. BHL parle bien et quand il finit un discours, on se dit que décidément il a bien parlé - pour ne rien dire. D'ailleurs, jamais l'expression parler pour ne rien dire n'a eu un sens aussi caractéristique.
Rosset parle mal. Je veux dire qu'il ahane, qu'il butte sur chaque mot et que son phrasé est des plus heurtés. C'est normal : Rosset est face au néant - à son néant; quand BHL brasse du néant et ne s'en rend pas compte. A chaque fois que j'ai essayé d'entamer une réflexion sur Rosset, j'ai dû abandonner, parce que je me rendais compte que je n'avais finalement rien à dire ou si peu. C'est ce qu'avait d'ailleurs constaté un ma en lisant un court article que j'avais rédigé sur l'humour et Rosset.
En voici le lien :
http://clementrosset.blogspot.com/2006/10/tribune-lhumour-de-la-sagesse-par.html
Je l'ai également ajouté sur mon blog et je crois qu'il figure en premier article d'Au Tour du réel. Ce n'est pas que Rosset soit inintéressant, tant s'en faut. Ce n'est pas qu'il écrive mal : c'est un des meilleurs stylistes de la philosophie française. C'est que dans le fond, il fut l'homme d'une seule idée et que cette idée est facile à résumer : le reél n'est rien et le rien existe positivement.
Pas étonnant que l'enfant naturel de BHL, celui qui le déteste tant parce qu'il lui ressemble tant, Enthoven Jr. se soit entiché du nihilisme rossétien : en matière de nihilisme, Jr. était à bonne école! Jr. n'a fait que trahir Sr. intellectuellement pour rejoindre le nihilisme intellectualisé et cohérent. D'une certaine manière, le parcours intellectuel de Jr. est d'être passé d'un nihilisme inconscient à un nihilisme lucide.
L'échec de Jr. consiste à être resté prisonnier de sa toile, la toile du nihilisme. Jr. a quitté les berges du nihilisme actif pour passer au nihilisme réflexif. On comprend le lien à première vue surprenant entre BHL l'hyperactif et Rosset l'hyperpassif (si l'on peut dire). Ce lien est symbolisé par Jr. l'ancien gendre de BHL. Il suffit à montrer que le lien entre BHL et Rosset a un nom, occulté : le nihilisme. Et que ce nihilisme modrene a un nom, tout aussi occulté et que j'ai sorti de l'ombre par mon appellation contrôlée : immanentisme. Dans le jeu des catégories, si Spinoza est le père et le saint de l'immanentisme; si Nietzsche est le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré, Rosset est le petit-fils de Spinoza et le fils de Nieztsche : il est l'expression lucide et contemporaine de l'immanentisme tardif et dégénéré.
Dans ce grand jeu de dupes, Enthoven Jr. fait partie des passeurs de l'immanentisme tardif et dégénéré. De ce point de vue, Jr. a accompli un progrès foudroyant en passant de la reconnaissance de l'immanentisme dégénéré et inconscient à l'immanentisme dégénéré et lucide. Pas sûr cependant qu'il se sorte des rets du mondanisme germanopratin qui rappelle que le nihilisme privilégie les privilèges et les privilégiés : les oligarques, les élitistes, les parvenus, les arrogants so british, les doucereux, les douceâtres. Et pour finir : les ratés. Les tarés?

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