mardi 18 mai 2010

Le philosophe et le mathématicien

Signe de notre époque - et de sa dégénérescence, ce sont des magazines non philosophiques qui distillent les informations les plus intéressantes sur la philosophie (quelques bribes de pensée dans un océan de formatage académique). Au départ, Tangente entend promouvoir la vulgarisation des mathématiques - dans ce cas, étudier le lien entre philosophie et mathématiques. Mieux vaut penser à partir de recherches mathématiques qui emmènent vers la pensée (parcours classiques de Pythagore ou de Platon) qu'en se cantonnant à la sclérose plus normalienne que normalisée, tout à fait académique en tout cas, de l'histoire de la philosophie. Prenez Philosophie magazine : à force d'enquiller les numéros de questions people, la médiocrité se traduit par l'absence de pensée.
On remplace la pensée par l'histoire de la philosophie. C'est plus sûr, de convier des spécialistes et des experts dont le principal mérite est d'être des érudits, des scoliastes, des ultra-diplômés. Au final, si on apprend beaucoup sur les modes en fonction des thèmes balayés, jamais l'on ne commence à penser. Penser n'est pas savoir. Un bon penseur n'est pas un érudit. On dépense au lieu de penser?
Revenons à un article du mathématicien Colonna, spécialiste des fractales. Si l'on pourrait reprocher à Colonna de s'arrêter quand les questions commencent (dérangent), ce qui n'est jamais bon signe pour l'exercice de la pensée, philosophique ou non, Colonna a la mérite de faire ressurgir la grande opposition entre le transcendantalisme et le nihilisme. Selon les commentateurs plus vénérés que vénérables de l'histoire de la philosophie, cette question ne saurait être débattue à partir du moment où elle est polémique - et où elle n'intéresse pas les studieux travaux de ceux qui demeurent toujours à l'écart de la critique, par souci d'objectivité et par une remarquable démarche qui les fait considérer l'histoire de la philosophie, souvent d'un philosophe, de l'intérieur inexpugnable de cette philosophie singulière.
Comment critiquer le tout quand on commente depuis l'intérieur de ce tout, en partie écrasée par le savoir écrasant? Comment ne pas déformer le caractère dynamique d'une pensée sous l'étiquette roborative du savoir quand on postule que le penseur commenté est inattaquable et que sa pensée mérite juste d'être commentée, répétée, explicitée? L'exercice du commentaire philosophique s'apparente à de la propagande travestie en objectivité. Il est vrai que la répétition suppose la validation de ce qui est répété. Dès lors, comment ne pas voir que l'historien/commentateur de philosophie est un anti-philosophe, soit un savant qui ne pense pas et qui utilise la pensée à des fins de savoir mimétique et sclérosé (sclérosant aussi pour ses lecteurs). Pour un spécialiste d'Aristote, expert désigné en académisme, la philosophie d'Aristote se situe hors des questionnements, dans le droit fil de la pure répétition interne.
Pourtant, loin de cette répétition antipolémique et mièvre (roborative), un célèbre tableau de Raphaël traduit l'opposition métonymique entre Platon et Aristote. Platon est le représentant des transcendantalistes quand Aristote est un nihiliste modéré, spécialiste du compromis (je suis métaphysicien, mais pas platonicien), dont la valeur morale cardinale est la prudence. Aristote a compris que le nihilisme ne fonctionnerait jamais en cherchant à gagner contre le transcendantalisme. Le nihilisme ne peut s'épanouir qu'en faisant mine de tolérer le transcendantalisme. C'est un coucou, qui vit en parasite (de nos jours, les financiers sont des pirates de paradis fiscaux). Aristote biaise en faisant mine de trouver un compromis entre ce qu'au Moyen-Age on appellera la querelle opposant les réalistes (partisans du transcendantalisme) et les nominalistes (thuriféraires du nihilisme).
C'est ce que le chercheur Colonna explique dans son article La nature profonde des mathématiques (numéro HS 38 de décembre 2009) : "Deux réponses apparemment inconciliables peuvent être formulées : soit elles ne sont que le fruit de notre esprit (Aristote), soit elles existent indépendamment de nous (Platon)." Une petite critique à l'égard des chercheurs de notre temps : s'ils se révèlent plus intéressants pour la pensée que les historiens sclérosés de la philosophie, ils n'en demeurent pas moins souvent des experts et des historiens qui répètent à l'intérieur de leur monde sclérosé.
Est-ce la raison pour laquelle nos chercheurs en mathématiques ne parviennent pas à trancher la querelle entre Aristote et Platon et proposent des solutions qui sont un compromis théorique entre les deux positions envisagées comme historiques et indépassables? Plus chercheurs-mathématiciens qu'historiens de la philosophie, Colonna comme ses collègues du numéro brillent par les questions passionnantes qu'ils posent - et les réponses stéréotypées qu'ils proposent. Ainsi de ce multivers qui ne résout rien des questions cruciales et qui permet un habile compromis (à la Aristote) entre les différentes positions envisagées par Colonna.
Colonna lui-même avoue dans une note qu'il "oscille périodiquement" entre ces différentes positions, regroupées autour de la querelle entre Platon et Aristote. Et Colonna de poser la question qui révèle le problème à côté duquel il passe du fait qu'il n'est pas créateur : "Le mathématicien est-il un créateur (c'est-à-dire celui qui tire du néant) ou bien un explorateur?" Il est plus enrichissant d'étudier les non-dits d'un texte qui passe à côté de la création comme c'est le cas ici.
Il ne s'agit pas d'erreur. Il ne s'agit pas d'une carence en savoir. Il s'agit d'un problème simple : ne pas aborder le problème. Se réfugier dans le savoir pour fuir la création. Le savoir : ce qui est donné dans l'ordre de notre monde, avec le recours à l'histoire. La création : précisément ce qui échappe au savoir, au donné. Sans création, pas de réel. La création pose le vrai problème de notre temps, le problème majeur qu'avec une érudition impeccable et une rigueur sans faille Colonna n'envisage même pas : le néant.
Signe que pour créer, il ne suffit pas de savoir, quelle que soit l'étendue de ce savoir. La création diffère de la répétition en ce que si l'académisme est souvent une propédeutique, la création implique le recours à une démarche qui diffère de la répétition. La répétition ne permet que d'aboutir au savoir. L'excellence de la répétition engendre l'excellence académique, pas la création. Dans le système aristotélicien, la création est incompréhensible ou se résume à ce que Colonna appelle justement de l'exploration.
De l'agrégation entre des éléments de savoir donnés. Raison pour laquelle le concours de l'agrégation définit dès son étymologie (transparente) ce que constitue l'excellence académique. Au final, un académicien est excellent dans le sens fini et se révèle le plus souvent piètre créateur. Pour créer, il convient de dissocier le processus de création du processus de répétition. Justement, le problème central qui distingue création de répétition tourne autour de l'épineux néant.
C'est ce que note Colonna en donnant le sens étymologique de créateur : qui tire quelque chose de rien (du néant). L'expression ex nihilo qui est souvent accolée à la création (créer à partir de rien). Le philosophe Lucrèce, disciple d'Épicure et des atomistes, le remarque : "Ex nihilo nihil, in nihilum posse reverti" (Rien ne vient de rien, ni retourne à rien). La citation accordée à un disciple des atomistes indiquerait que cette conception serait l'apanage exclusif du parti nihiliste (et encore, de son versant le plus radical). Il est vrai que le transcendantalisme a rejeté le néant et l'a remplacé par l'Être.
Pour contrer le nihilisme, qui professe que le néant existe, le transcendantalisme a opposé l'Être, qui considère que le néant n'existe pas. Dans le transcendantalisme, le néant est à la rigueur l'exception qui confirme la règle. Il convient de nuancer en comprenant que les nihilistes authentiques biaisent avec le nihilisme explicite et qu'ils proposent un compromis entre le nihilisme d'un Gorgias et le transcendantalisme d'un Platon. C'est ce que font Aristote, Descartes, Kant ou Hegel : à l'image de Descartes, ils proposent un univers mécaniste et un deux ex machina miraculeux et inexplicable.
Les immanentistes à la suite de Spinoza tirent (indirectement) leur doctrine moniste de l'atomisme en lui conférant une tournure humaine : le monisme découle non plus de l'atome, mais du désir. Toute doctrine de la complétude débouche sur le nihilisme en dégageant par cette opération de réduction (toute complétude est réduction à un objet fini) le néant dénié. Spinoza dénie le néant derrière l'incréation. Sa substance une n'est une que dans l'ontologie d'un dualisme antagoniste où le réel moniste côtoie le néant dénié et pur.
L'immanentisme est radicalisation du nihilisme classique (autour du désir complet), à ceci près que la finitude nihiliste du réel (système aristotélicien) dégage de facto le néant. Un Lucrèce qui professe que rien ne vient de rien pourrait paraître réfuter le nihilisme. C'est un nihiliste exacerbé. Comme tout nihiliste qui se respecte, il ne reconnaît pas le néant explicitement, malgré son point de vue radical. Depuis Gorgias, les nihilistes ont compris qu'ils ne pouvaient pas l'emporter sur le terrain de la raison face au transcendantalisme. Gorgias a perdu face à Platon - et avec lui la tradition atomiste dont provient Lucrèce et qui à l'époque de Platon est incarnée par l'érudit (encore un) Démocrite.
Que veulent dire les nihilistes (par le truchement du courant atomiste représenté par Lucrèce) quand ils évoquent le rien? Sont-ils les seuls à reconnaître l'existence du néant? En fait ce que les nihilistes nomment le rien, les transcendantalistes le nomment l'Être. Quand un Nietzsche ose définir le platonisme comme le dualisme entre le sensible présent et l'Être ailleurs, sa mauvaise foi n'est pas tant dans la déformation grotesque de la doctrine transcendantaliste (qui professe que l'Être englobe le sensible) - que la partialité avec laquelle Nietzsche accuse le transcendantalisme de dualisme.
Car si le transcendantalisme est dualiste, il s'agit d'un dualisme englobant; tandis que la doctrine nihiliste, présente sous des formes légèrement divergentes, manifeste un dualisme antagoniste. Si le transcendantalisme et le nihilisme proposent deux formes de dualisme, le nihilisme présente une forme déniée. Le déni est caractéristique du nihilisme. Mais le déni n'empêche nullement la chose d'exister. Le dualisme antagoniste nihiliste est peut-être déniée; toujours est-il qu'il est bel et bien effectif.
Nous allons comparer le transcendantalisme et le nihilisme à l'aune de la formule de Lucrèce : "Rien ne vient de rien, ni ne retourne à rien."
1) Le transcendantalisme entend que rien n'existe pas car seul le quelque chose existe (conformément à l'assertion de Leibniz, selon lequel la question métaphysique est : pourquoi quelque chose plutôt que rien? Si le rien n'existe pas, alors l'être incomplet qu'est le sensible est compris dans l'Être parfait (de type platonicien).
2) Le nihilisme entend non pas que le rien n'existe pas, mais que rien n'existe pas à côté de quelque chose. D'où le dualisme de nature antagoniste entre le quelque chose et rien. Quand Lucrèce professe que "rien ne vient de rien", ce n'est pas pour s'opposer au rien, mais pour constater qu'il est un réel à côté du rien. Lucrèce reconnaît justement le rien, mais affirme (assez logiquement dans sa mentalité désaxée) que rien ne peut produire rien.
Le nihiliste propose que le principe de la création soit contenu dans les bornes d'un réel fini (de type aristotélicien - ou cartésien si l'on ôte l'intervention providentielle et contestable du deux ex machina) : ce réel fini implique la reconnaissance tacite du néant nihiliste, qui du coup est antagoniste du réel. La création nihiliste (expression absurde) consiste à assembler des éléments du réel, dans une démarche proche de la théorie atomiste selon laquelle le réel découle de l'agrégation hasardeuse des atomes, qui sont des petits éléments insécables et premiers.
La création est une action qui est limitée dès le départ et dont au fil du temps croît la limitation. Quand un Rosset crée, a fortiori dans l'immanentisme terminal, il répète des créations déjà préexistantes, en particulier par l'usage de la citation. Il se compare lui-même à un artiste dans un atelier, qui citerait les autres types de création. Que Colonna s'avise de son incompréhension de la création de type aristotélicien : c'est normal, ce qu'il nomme exploration est en fait de l'agrégation de plus en plus limitée, jusqu'à devenir exsangue.
Son choix du terme exploration pour désigner la conception nihiliste (spécifiquement aristotélicienne) est tout à fait pertinent si l'on se souvient que l'explorateur est celui qui part à la découvert de territoires inconnus finis. Les explorateurs ont (quasiment) disparu de la surface du globe, depuis que ledit globe est partout exploré. Mais dans la conception nihiliste, dont Lucrèce est un éminent porte-parole, dans la lignée d'Épicure, la création se fait par rapport au néant au sens où l'ordre se fait à partir du chaos (selon le slogan bien connu de certains milieux atlantistes contemporains avec la formule ordo ab chao).
C'est dans l'entrechoquement entre les deux formes fondamentales et incompatibles du réel que s'opère la création de l'ordre. Pour un nihiliste (au sens historique, soit la mentalité du déni, qui ne se donne jamais comme telle), le réel est éternel au sens où il coexiste avec le néant. Comme il serait délirant de réfuter l'existence du changement, on l'impute à cet entrechoquement entre le néant et le réel qui légitime la violence. C'est ainsi que le 911 fut une opération nihiliste au sens où les concepteurs de cet acte terroriste ignoble ont estimé qu'il convenait de régénérer le monde par cet acte terroriste (qui leur permettait de légitimer la crise actuelle).
Le nihiliste n'estime pas que le néant n'existe pas; tout au contraire il considère que le néant est incompatible avec le réel. C'est le sens de la formule de Lucrèce. Le changement se fonde sur l'antagonisme qui légitime du coup la violence. Le formule est d'ailleurs explicite : l'ordre à partir du chaos. Maintenant, quand Colonna le mathématicien spécialiste des fractales relie fort justement la création avec le néant, il est empêtré dans la problématique classique : le transcendantalisme ne reconnaît pas le néant; la reconnaissance du néant mène vers les abîmes inextricables du nihilisme - comme l'irrationalisme. Reste que dans cette problématique la plupart des nihilistes majeurs sont déniés - tenus pour des métaphysiciens indiscutables quoique contestataires.
Le terme même de métaphysique descend du nihiliste le plus illustre et le plus ignoré, tellement ignoré que son œuvre dite métaphysique fut longtemps perdue et redécouverte avec un nom qui ne veut rien dire. Aristote le méta-physicien. Platon n'était pas métaphysicien. C'était un philosophe et/ou un ontologue. C'est en revenant à l'ontologie et au critère de l'Être que l'on démasque le nihilisme, notamment celui d'un Aristote. Colonna ne parvient pas à sortir de la problématique classique et du bourbier logique qu'elle implique : il appert que le néant existe; mais si l'on reconnaît le néant, on se montre nihiliste car seuls les nihilistes abordent ce thème, de manière déniée de surcroît.
Pas facile de sortir des préjugés dans une problématique si empêtrée ou dans un nœud gordien. En réalité, il est facile de remettre de l'ordre, cette attitude relevant de l'acte antipervers par nature (le pervers fout littéralement le bordel au sens où il retourne le sens). L'antipervers est celui qui remet les pendules à l'heure. Remettre de l'ordre : le néant existe et se trouve effectivement exclu du mécanisme erroné de l'ontologie transcendantaliste. Sous prétexte de sauver l'homme du nihilisme, le transcendantalisme a commis l'erreur d'exclure l'eau et l'enfant du bain, le nihilisme et le néant.
Le néant mérite d'être intégré à la problématique transcendantaliste dont Leibniz à l'époque où l'immanentisme naît a énoncé la démarche irréfragable. Le néant mérite d'être intégré au quelque chose par opposition au rien. Le néant nihiliste est le néant positif, le néant qui se donne en tant que néant. Le néant existe de manière ontologique classique, soit en association avec le quelque chose. C'est l'innovation néanthéiste, que la crise immanentiste signale. La limite transcendantaliste, qui signe aussi son dépassement historique et qualitatif, est atteinte dès son départ, quand le transcendantalisme pour guérir du nihilisme refuse de prendre en compte la question du néant.
Par la suite, la crise ne fait que s'aggraver, jusqu'à l'avènement de la béance immanentiste, quand la science expérimentale moderne renverse le dogme transcendantaliste du sensible et libère l'espace de contestation du néant nihiliste. Face à cette situation, Colonna se montre incapable d'innover, de changer. Revenons à sa phrase passionnante en forme d'aveu : "Le mathématicien est-il un créateur (c'est-à-dire celui qui tire du néant) ou bien un explorateur?" La question n'obtiendra jamais de réponse puisqu'à cette question Colonna oscille entre la position platonicienne et la réaction aristotélicienne (inversion historique du débat entre le nihilisme et le religieux, le religieux étant la réponse à l'attitude spontanée du nihilisme atavique).
Par contre on peut expliciter à l'aune de l'opposition entre nihilisme et transcendantalisme ce qu'est l'explorateur : celui qui tire du réel (fidèle à la conception d'un Lucrèce) suite à un choc frontal avec le néant inconciliable. Colonna oublie de le faire parce qu'il considère que le néant est seulement en question pour des philosophes dissidents, minoritaires, marginaux, implicitement nihilistes (la question fondamentale du nihilisme n'est pas posée par Colonna, ni par aucun historien des idées, que ce soit en philosophie ou ailleurs).
Colonna est trop académiste pour sortir du débat donné (en place). La vraie question serait à poser à partir de l'étymologie - de créateur : pourquoi l'étymologie elle-même qui formule un sens occulté - celui des mots, celui à partir de la formation des mots, les mots qui expriment la formation du réel, et qui en disent souvent plus longs sur le réel que la pensée formatée à partir des normes données - évoque-t-elle la question du néant?
L'étymologie pose le problème que l'ontologie classique rejette (et dans son sillage rationaliste l'ensemble du courant transcendantaliste) : le néant. Il convient pour changer d'intégrer le néant à la présence transcendantaliste et de rejeter le néant nihiliste vers l'absence insignifiante. Le transcendantalisme n'a pas l'exclusivité de la présence. Se pourrait-il que dans son égarement le nihilisme détienne une part de la vérité (en posant sur la table la question fondamentale et déniée, rejetée, du néant)? Dans cette perspective, la phrase de Colonna se comprend d'une manière différente à ce que l'on comprend dans la mentalité façonnée par la culture classique : le créateur est bien celui qui tire du néant quand l'explorateur est celui qui ne comprend pas le néant - qui accorde au néant une signification biaisée et nihiliste.
Pour tirer la création du néant, cela suppose :
1) que la théorie nihiliste soit juste et se résume à l'ordo ab chao cité plus haut;
ou
2) que le néant soit une substance différent du sensible (comprise dans l'enversion néanthéiste), mais qui ressortit du quelque chose - conformément à la doctrine de Leibniz.
Si Kant est un avatar moderne d'Aristote selon Luc Ferry, un faux philosophe vrai historien de la philosophie politique, Leibniz est l'avatar moderne de Platon. Au juste, il n'est pas question de jouer au jeu faux et réducteur de la pure répétition historique linéaire, mais Leibniz a eu le mérite de replacer le débat en expliquant que le néant nihiliste n'existait pas. Si le néant est quelque chose, si le néant diffère de l'ordre sensible que nous connaissons, l'enversion permet de le comprendre.
Colonna passe à côté de l'innovation, non faute de poser les questions les plus passionnantes du moment, en évitant les manœuvres de diversion éculées des historiens de la philosophie, mais en s'en tenant à répéter sur un mode linéaire et mécaniste (à la Descartes). Quant à nous, nous distinguons la mentalité nihiliste, dont le centre considère que l'affrontement irréductible entre néant et réel aboutit au changement, selon une répétition monotone (la monotonie a été louée par Rosset dans le Réel).
L'avantage quasi hégélien du nihilisme sous sa mouture moderne (l'immanentisme) est de poser la question du néant. Précisons qu'en tant que nihilisme (moderne) il offre une réponse égarée : le néant n'existe pas. C'est d'ailleurs du fait de cette contradiction violant manifestement le principe de non contradiction (ce qui n'existe pas existe) que le néant en vient au déni caractéristique. On dénie quand on dit d'une chose qui existe qu'elle n'existe pas. Soit : quand on viole le principe de non contradiction.
C'est la catégorie de l'impossible qui s'exprime ici. L'impossible est le contradictoire prôné. Ce n'est pas vers cette direction qu'il convient de se tourner quand on affronte la question du néant. C'est vers l'idée d'un néant qui existe, d'un néant qui n'est pas nihiliste et qui est affronté en tant qu'existence. Le néanthéisme respecte le principe de contradiction et s'oppose au nihilsime. Raison pour laquelle il reconnaît que l'avantage décisif et historique de l'immanentisme est d'avoir permis de poser la question déniée du néant en faisant ressortir le déni (nihilisme paradoxal) tapi au cœur du transcendantalisme.
Raison aussi pour laquelle Colonna ne peut saisir la création à partir du néant. Il suit mimétiquement un débat académique dans lequel soit la création se produit à partir de l'Être; soit le néant est antagoniste du réel (et la création est problématique). Dans une optique néanthéiste correctrice de l'erreur nihiliste et du déni transcendantaliste, l'expression ex nihilo reprend son sens : on peut créer à partir du néant. A condition que le néant corresponde à quelque chose.

1 commentaire:

Jacques Perreault a dit…

Comment tu fais pour écrire autant?!

Malheureusement, beaucoup d,inepties...