vendredi 7 octobre 2011

Le vrai Glass-Steagall

Suite à une tribune parue dans Le Monde, le quotidien de référence de la gauche libérale, Michel Rocard propose de la manière la plus aboutie l'adoption de la mesure Glass-Steagall de Roosevelt pour sortir de la crise mondiale qui ne fait que commencer et qui emportera tout sur son passage si on la laisse se développer (avec les incompétents au pouvoir en Occident, marionnettes d'intérêts financiers, c'est ce qui risque d'arriver). Rocard est capable du meilleur comme du pire. Le meilleur : proposer ce genre de solutions progressistes pour contrer les velléités oligarchiques; le pire : se contredire ostensiblement dans son socialisme progressiste et faire inutilement du pied à ces intérêts oligarchiques.
Tels sont les socialistes d'aujourd'hui : des militants désarticulés entre deux forces antagonistes : d'un côté, le socialisme; de l'autre, le libéralisme. Rocard fait montre de cette dérive en mettant de manière courageuse et progressiste sur la table la mesure Glass-Steagall qui avait été adoptée sous Roosevelt pour contrer la Grande Crise (déjà). Mais le Glass-Steagall qu'il propose est au mieux une mesure désossée de sa faculté d'influence régulatrice, puisque elle ne se trouve pas adossée à un programme de reconstruction qui fasse du capitalisme assaini un projet de développement républicain, comme peut l'être le Bretton Woods. Historiquement, Roosevelt n'a pas sorti sa mesure Glass-Steagall comme un remède factuel et un objet donné qui suffirait à contrer la crise libérale. C'était un processus général de développement républicain, qui commençait par le Glass-Steagall et qui débouchait sur le Bretton Woods : réguler le capitalisme pour éradiquer le libéralisme et adosser la valeur monétaire à une politique de création physique au service de tous.
D'une manière générale, si le dernier article de Rocard se révèle plus courageux que les propositions de Glass Steagall light généralement dispensée par certains milieux du libéralisme progressiste en Occident, il oublie de mentionner les militants qui se battent depuis plus de dix ans afin d'imposer une régulation efficace de la finance folle : les larouchistes, en France sont représentés par Cheminade. Si l'on peut ne pas être en accord avec toutes leurs thèses (à condition aussi de ne pas marcher dans les combines grossières de la propagande médiatique aux ordres des intérêts libéraux), il convient de ne pas oublier d'où vient la réactivation et l'extension mondiale de cette mesure.  
C'est le meilleur moyen de saisir l'enjeu de cette mesure et sa dynamique, soit de réfuter les grossières contrefaçons qui agissent comme des écrans de fumée (dont la mesure Volcker promulguée par Obama et valable dans plusieurs années) et surtout d'en faire une lecture de processus, pas de faits. C'est avec le réductionnisme factualiste que l'on verse dans le travers consistant à promulguer un faux Glass-Steagall, un Glass-Steagall formel, qui permet de sauvegarder le principe du monétarisme, soit de ce que Rocard avait désigné sous l'expression de "finance folle" (avec ses fameux trous noirs). En gros, la supercherie consiste à n'établir pas explicitement et précisément la séparation entre banques de dépôt et banques de spéculation, se contentant de proposer une séparation interne aux institutions bancaires dans les mouvements, mesurette inefficace qui sauvegarde ce qu'en France on appelle le modèle de la banque universelle depuis la loi Delors de 1984. 
Jacques Cheminade a sorti un éditorial éclairant sur ce sujet :
http://www.cheminade2012.fr/Du-credit-pour-l-avenir
Le nouvel article du Monde du 23 septembre 2011 consacré à un historique tendancieux (tendance monétariste progressiste) du Glass-Steagall (s)aborde de manière complètement libérale et non libérée le problème de la crise qui se produit en reprenant les erreurs précédemment énoncées. Incidemment, le quotidien de référence français de la gauche ultralibérale (il y a encore peu représentée par le satire DSK) se met du côté de la fausse et apaisante régulation de la finance folle, qui permet de laisser croire que l'on régule la finance dérégulée tout en ne touchant pas aux principaux instruments de la dérégulation. On opère ainsi une opération hallucinatoire, sorte de magie blanche qui ne change rien du tout en promettant de changer tout.
Je vais montrer comment dans cet article (consultable à la suite) l'auteur prend implicitement et insidieusement partie pour le faux Glass-Steagall en présentant les problèmes comme s'ils étaient indiscutablement fondés sur des postulats et axiomes favorables au libéralisme, et pire encore à la dérégulation ultralibérale. L'auteur commence par expliquer que la réglementation du système bancaire américain et anglo-saxon s'appuie sur une opération qui est présentée comme ne pouvant qu'être interne ("séparant (...) les activités de détails des activités d'investissement").
Dans ce même paragraphe, l'auteur critique cette mesure en la validant. Elle la critique en insistant sur son caractère partiel et donc imparfait. Cette critique pourrait se montrer plus lucide : la séparation n'est pas seulement partielle. C'est une fausse séparation, qui retouche le superficiel pour mieux conforter l'essentiel. Du coup, on valide le principe de la séparation interne, alors que c'est précisément en empêchant cette séparation interne factice et en restructurant les activités en deux activités étrangères que l'on parviendra à réguler le système dérégulé.
Puis l'auteur essaye de nous faire croire qu'il existerait une différence entre la banque universelle de type français et la réforme régulatrice actuelle d'inspiration anglo-saxonne (de type Volcker) : le faux Glass-Steagall. Fausse différence ou différence superficielle et inopérante? En apportant des éléments historiques avec le Glass-Steagall lancé par Roosevelt, l'auteur amalgame le faux et le vrai Glass-Steagall - la vérité et sa manipulation. Pourtant, l'auteur reconnaît elle-même que Roosevelt a lancé son projet dans le cadre d'un New Deal (le Bretton Woods). Par ailleurs, Roosevelt a cloisonné la séparation externe entre banque de dépôt et banque d'affaires, alors que dans les projets sur le table aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, il s'agit d'une initiative de régulation interne hypocrite et inefficace, surtout qu'elle ne sera promulguée que d'ici quelques lointaines années.
Au passage, l'auteur qui n'en est pas à une contradiction près reconnaît implicitement l'existence de l'Empire britannique financier : la City de Londres (et ses paradis fiscaux annexes comme les îles Caïmans) devient selon elle le centre de la finance mondialisée après la dérégulation initiée sous Thatcher (1986). L'auteur rappelle même que c'est Delors qui en 1984 en France abroge l'équivalent de la séparation bancaire lancée par le CNR et reprise par de Gaulle. Aux Etats-Unis la mesure n'intervient qu'en 1999. Et l'auteur de conclure son récapitulatif historique : "Soixante ans après sa disparition historique, le service de banque universelle est de retour aux Etats-Unis".
Pourtant, l'auteur note elle-même que "le lobbying actif des banques a largement allégé le dispositif initial. Paul Volcker, l'ancien président de la Réserve fédérale, a échoué à restaurer l'esprit du Glass-Steagall Act. Les activités de détail et d'investissement ne sont pas nettement séparées. M. Volcker se réjouira néanmoins que "l'illusion selon laquelle le marché peut prendre soin de lui-même ait volé en éclats". Une revanche symbolique, en somme". Cette description de la réforme Volcker et de la loi Dodd indique qu'il s'agit d'un faux Glass-Steagall, qui plus est applicable seulement à partir de 2014 (!). Pourtant, l'urgence de la situation dramatique de crise systémique voudrait que les mesurettes repoussées aux calendes grecques (c'est le cas de le dire) soient remplacées par des mesures effectives immédiatement. En Grande-Bretagne, le rapport Vickers soutenu par Cameron est un faux Glass-Steagall, le pendant britannique de la mesure américaine. Peu importe que le contenu soit légèrement différent du contenu Dodd/Volcker. 
L'important est de retenir que là encore la mesure ne sera applicable qu'en 2019 (sic). Il s'agit d'une régulation assez illusoire, en fait. Pourquoi cette fausse régulation n'est-elle pas dénoncée par notre auteur en tant que fausse et inopérante, ne serait-ce que de par son caractère tardif et lâche? L'auteur au lieu de répondre à ces vraies questions feint d'aborder le sujet de la banque universelle française. Comme s'il existait une différence entre le fonctionnement de cette banque universelle et les mesures de régulation futures lancées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis!
Dans les trois cas, il s'agit de dérégulation, dérégulation assumée depuis la loi Delors par le modèle français, dérégulation maquillée en régulation improbable par les Anglo-saxons. L'explication théorique proposée relève du mensonge pur et simple, surtout après ce qui a été expliqué auparavant : "Après la chute de Lehman Brothers, les banques françaises avaient expliqué leur relative bonne tenue par la diversification de leurs sources de revenus (dépôts, crédits et spéculation), qui les protégeraient davantage d'une faillite". On a vu le résultat de ce mensonge réitéré aux Etats-Unis, où toutes les grandes banques sont en faillite implicite (Bank of America). Il serait intéressant de comparer cette théorie oiseuse avec le cas tout frais de la banque Dexia. L'auteur ne craint pas davantage de lancer un autre argument clairement foireux : "Le gouvernement français avait certes été contraint de recapitaliser certains établissements, mais ces derniers ont depuis remboursé, et l'Etat y a même gagné quelques intérêts." Il serait bon de préciser que les prêts ont été accordés quasiment à taux zéro et que les établissements financiers qui en ont bénéficié se sont enrichis sur leurs emprunts garantis par les Etats et ont poursuivi leurs méthodes spéculatives destructrices, pour eux-mêmes, mais surtout pour l'économie mondiale (pas seulement française).
L'auteur se lance ensuite dans l'examen des nombreuses arguties monétaristes en se gardant bien de les démentir : "Autre argument des partisans du statu quo, Northern Rock était une simple banque de détail, et Lehman Brothers n'avait pas de dépôts. Les deux ont pourtant fait faillite. Un cloisonnement des activités ne présenterait donc aucune garantie de solidité." Le mensonge omet de préciser que toutes les activités financière sont de stature mondialiste et qu'il est oiseux de s'en tenir à des cas non seulement nationaux, mais singuliers. C'est l'ensemble du système financier mondial qu'il faut réformer, pas tel pays, encore moins tel établissement particulier.
L'auteur recourt à des interrogations rhétoriques pour cacher qu'elle évite soigneusement de remettre en question les postulats faux du monétarisme : "Une réforme à la britannique aurait-elle permis de protéger les banques françaises contre leur exposition à la dette grecque ou italienne ? Sans doute pas." L'interrogation est d'autant plus mauvaise qu'elle aborde le problème mondial en des termes réducteurs (nationaux). Mais le pire est qu'elle y répond honnêtement à partir d'un mensonge : la réforme britannique en question (qui fait encore référence à l'existence déniée de l'Empire britannique et de sa mainmise sur l'économie mondiale) consiste précisément en la subversion du Glass-Steagall par le faux! Donc le faux Glass-Steagll ne permet pas de protéger contre les dérives inéluctables du monétarisme.
C'est ce qui s'appelle noyer le poisson, soit mal poser le problème pour s'empresser d'y répondre alors. Technique souvent employée par les bons élèves du système de propagande. En l'occurrence, l'auteur se contente de reprendre la propagande de la City de Londres (via l'honorable Marc Roche?) en faveur d'un monétarisme tempéré et progressiste, sorte de postkeynésianisme adapté aux besoins du jour. Le raisonnement de l'auteur est un irrationalisme rationaliste, démarche que préconisait les pontes de la LSE pour réformer l'économie en 2009 je crois. Autre affirmation qui n'est seulement juste que selon le prisme déformé et avantageux (opportuniste) du faux Glass-Steagall : "La fragilisation des établissements français depuis la crise de la dette souveraine ne provient pas d'une prise de risque inconsidérée sur les marchés, et une séparation des activités n'y aurait rien changé". 
La conclusion se révèle meilleure, qui ose enfin remettre en question le modèle de la banque universelle, sans montrer que cette remise en question touche par ricochet le modèle du faux Glass-Steagall présenté comme restauration du modèle authentique et historique. L'auteur en reste à cette interrogation tronquée et biaisée, empreinte d'un pessimisme noir : on ne peut rien faire pour empêcher le problème du monétarisme si l'on en reste au monétarisme. Et si l'on essaye d'en sortir, l'auteur se montre tellement formaté par son bagage académique de bon élève qu'elle n'ose pas évoquer explicitement la possibilité d'une sortie du libéralisme, d'un extérieur à ce monétarisme qui n'est pourtant pas la totalité moniste de l'économie, qui comporte des alternatives positives et efficientes (qu'il calomnie abondamment, comme le capitalisme non libéral et planifié que défend Cheminade en France).
Au lieu de nous expliquer que le bateau prend l'eau, l'auteur aurait pourtant pu nous rappeler que quand une porte est fermée, au moins une autre est ouverte. Par exemple, la solution de Cheminade en France. Cela tombe bien, notre candidat larouchiste est en campagne pour les présidentielles de 2012. L'auteur pourrait laver partiellement l'honneur de son quotidien Le Monde qui avait affirmé de manière gratuite en 1995 que Cheminade était financé par Saddam Hussein (affirmation totalement fantaisiste, qui mériterait d'être comparée avec l'accusation lancée par le fils de Kadhafi contre Sarkozy). Le vrai manque de cet article n'est pas tant dans la superficialité du Glass-Steagall proposé que dans l'absence de critique véritable : l'esprit critique implique surtout, outre une première partie négative, une suite positive et alternative.




http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/09/23/pourquoi-les-anglo-saxons-reforment-ils-leur-systeme-bancaire_1575786_3234.html




Pourquoi les Anglo-Saxons veulent-ils réformer leurs banques ?
LEMONDE.FR | 23.09.11 | 15h59   •  Mis à jour le 23.09.11 | 18h12


Pour le ministre britannique du commerce, Vince Cable, "il est impossible de laisser les contribuables à la merci d'établissements voyous qui peuvent faire exploser des armes financières de destruction massive".
Pour le ministre britannique du commerce, Vince Cable, "il est impossible de laisser les contribuables à la merci d'établissements voyous qui peuvent faire exploser des armes financières de destruction massive".REUTERS/CHRIS HELGREN
Guides historiques de la dérégulation financière, les Etats-Unis et le Royaume-Uni seraient-ils les nouveaux chantres de la règlementation bancaire ? Ce n'est pas le moindre des paradoxes de la crise financière : trois ans après la chute de Lehman Brothers, ces deux champions du libéralisme s'apprêtent à règlementer leur système bancaire en séparant partiellement les activités de détails (dépôts et crédit) des activités d'investissement (prise de position sur les marchés). Objectif :protéger les dépôts des épargnants des risques inhérents à la spéculation.

A travers l'Europe continentale, l'idée peine à faire son chemin. En France, pays pourtant volontiers réglementariste, le modèle dominant reste celui de la banque universelle, abritant sous un même toit les dépôts des petits épargnants (peu rentables) et les poussées de fièvres des marchés (lucratives mais risquées). Ni la crise des subprimes ni celle des dettes souveraines n'ont encore remis en cause ce dogme. Pourquoi deux pays anglo-saxons parmi les plus libéraux de la planète ont-ils été si prompts à envisager de réformer en profondeur leur système financier ? Eléments de réponse.
  • En 1933, déjà...
Franklin D. Roosevelt, président des Etats-Unis de 1933 à 1945.
Franklin D. Roosevelt, président des Etats-Unis de 1933 à 1945.AFP
Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis tentent de mettre un frein aux appétits de leurs banquiers. Ce fut le cas après chaque crise financière. Au lendemain de la crise de 1929, le président Franklin Roosevelt met en place une séparation stricte entre banque de détail et banque d'investissement dans le cadre du "New deal". Le fameux Glass-Steagall Act restera en vigueur outre-Atlantique pendant plus de soixante ans. Il s'agit, déjà, de protéger les économies des Américains contre les prises de risques excessives des financiers. La France adoptera un système comparable au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Dans les années 1980, l'heure est à la dérégulation tous azimuts. En 1984, La France met fin à la séparation des deux métiers de la banque et instaure le modèle de la banque universelle. En 1986, en Grande-Bretagne, le gouvernement deMargaret Thatcher initie la dérégulation spectaculaire de la City.
Le monde de la finance se porte bien, le spectre de la crise est loin : l'heure est au lobbying. Aux Etats-Unis, les banques s'attaquent au Glass-Steagall Act, qui les empêche de rivaliser avec leurs grandes concurrentes étrangères. De fait, les capitaux migrent en masse vers Londres et sa City, nouvelle capitale de la finance mondialisée. Sous l'assaut répété des lobbys, le Congrès finit par abroger en novembre 1999 la distinction entre les métiers de banque de dépôt et d'investissement en votant le Gramm-Leach-Bliley Act. Soixante ans après sa disparition, le service de banque universelle est de retour aux États-Unis.
  • 2010 : les Etats-Unis réagissent
Un militant proche de l'économiste américain Lyndon LaRouche, partisan d'une réorganisation complète du système financier international. En France, son représentant est Jacques Cheminade, président du parti Solidarité et Progrès.
Un militant proche de l'économiste américain Lyndon LaRouche, partisan d'une réorganisation complète du système financier international. En France, son représentant est Jacques Cheminade, président du parti Solidarité et Progrès.Reuters/CHARLES PLATIAU
La finance "made in USA" va vivre une période de bombances avant d'imploser... huit ans plus tard. En septembre 2008, la banque d'investissements Lehman Brothers fait faillite. La chute de Lehman entraîne avec elle les bourses mondiales et crée un mouvement de panique sur la planète finance, obligeant certains Etats àrenflouer leurs banques. Aux Etats-Unis, des petits épargnants font la queue devant les établissements pour retirer leurs économies. Le spectre de la panique bancaire ("bank run") est de retour.
L'administration Obama doit réagir : rassurer les épargants et punir les banques. En juillet 2010, le président américain signe le Dodd-Frank Wall Street Reform andConsumer Protection Act. Parmi les dispositions de cette réforme, la loi Volcker obligera à partir de 2014 les banques à choisir entre spéculer sur les marchés avec leurs fonds propres ("prop trading") et leur statut de banque de dépôt.
Mais le lobbying actif des banques a largement allégé le dispositif initial. Paul Volcker, l'ancien président de la Réserve fédérale, a échoué à restaurer l'esprit du Glass-Steagall Act. Les activités de détail et d'investissement ne sont pas nettement séparées. M. Volcker se réjouira néanmoins que "l'illusion selon laquelle le marché peut prendre soin de lui-même ait volé en éclats". Une revanche symbolique, en somme.
  • 2011 : le Royaume-Uni frappe fort
Le trader d'UBS, Kweku Adoboli, le 16 septembre 2011, à Londres.
Le trader d'UBS, Kweku Adoboli, le 16 septembre 2011, à Londres.AFP/ADRIAN DENNIS
Même cause, même effets au Royaume-Uni. Trois ans après avoir dû injecter 70 milliards d'euros pour éviter la faillite de la Royal Bank of Scotland (RBS) et de la Lloyds Banking Group, Londres a annoncé mi-septembre une réforme radicale de son système bancaire, la plus ambitieuse depuis l'ère Thatcher. Là encore, c'est le risque pesant sur les dépôts des épargnants qui pousse les autorités à sévir.
Le 12 septembre, la commission indépendante sur les banques présidée par Sir John Vickers rend son rapport. Il obtient aussitôt l'appui du premier ministre conservateur David Cameron. Sa disposition la plus spectaculaire fait l'effet d'une bombe : elle prévoit de séparer partiellement les activités de détail des activités d'investissement, à travers un système de filiales. Les dépôts des particuliers seront désormais protégés des risques spéculatifs et ne serviront plus à financer le "casino" des marchés. Plus important pour les finances publiques : en cas de faillite, les autorités ne devront sauver que la banque commerciale et non plus l'ensemble de l'établissement. Le lobby bancaire britannique a néanmoins obtenu que cette réforme, qui coûtera entre 5 et 8 milliards d'euros par an pour les quatre grandes banques britanniques, n'entre en application qu'en 2019.
Trois jours à peine après la présentation du rapport Vickers, l'actualité va donnerdes arguments supplémentaires au gouvernement britannique. Et si l'histoire se répète, l'actualité, elle, bégaye. Kweku Adoboli, émule appliqué de Jérôme Kerviel, fait perdre 2,3 milliards de dollars à la banque suisse UBS. Cette fraude géante justifie à elle seule la réforme aux yeux du gouvernement britannique : "Il est tout simplement impossible de laisser les contribuables à la merci d'établissements voyous qui peuvent faire exploser des armes financières de destruction massive", déclare le ministre du commerce, Vince Cable.
  • Et en France ?
Les établissements français estiment que le modèle de banque universelle est un rempart contre les soubresauts dans les milieux financiers.
Les établissements français estiment que le modèle de banque universelle est un rempart contre les soubresauts dans les milieux financiers.AFP/PHILIPPE HUGUEN
Le Royaume-Uni, où les services financiers représentent plus de 10 % de l'économie, est le premier pays à engager une réforme aussi radicale du secteur bancaire. L'évolution de ce projet de régulation est scruté de près partout dans le monde, notamment en Suisse.
Mais en France, comme en Allemagne, le modèle de banque universelle ne semble pas remis en cause. Il est même fréquemment cité comme un rempart contre les soubresauts des marchés. Après la chute de Lehman Brothers, les banques françaises avaient expliqué leur relative bonne tenue par la diversification de leurs sources de revenus (dépôts, crédits et spéculation), qui les protégeraient davantage d'une faillite. Le gouvernement français avait certes été contraint de recapitaliser certains établissements, mais ces derniers ont depuis remboursé, et l'Etat y a même gagné quelques intérêts. A l'exception de quelques fans d'Eric Cantona, personne n'a fait la queue au guichet pour retirer ses économies, des scènes qui se sont multipliées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne en 2008.
Autre argument des partisans du statu quo : Northern Rock était une simple banque de détail, et Lehman Brothers n'avait pas de dépôts. Les deux ont pourtant fait faillite. Un cloisonnement des activités ne présenterait donc aucune garantie de solidité. En outre, les dépôts sont garantis en France à hauteur de 75 000 euros par personne, un montant largement suffisant pour rassurer la majorité des épargnants en cas de risque de faillite.
Une réforme à la britannique aurait-elle permis de protéger les banques françaises contre leur exposition à la dette grecque ou italienne ? Sans doute pas. Les obligations d'Etat, considérées jusqu'il y a peu comme les placements les plus sûrs, sont un des fonds de commerce traditionnels des banques de détails. La fragilisation des établissements français depuis la crise de la dette souveraine ne provient pas d'une prise de risque inconsidérée sur les marchés, et une séparation des activités n'y aurait rien changé.
Reste que l'activité des banques est fondée sur un axiome : le juste rapport entre risque et profit. Une banque d'investissement ou universelle sera par nature très rentable, mais davantage exposée au risque ; une banque de détail, plus stable, dégagera moins de profit. Un théorème juste... du point de vue de la banque et de ses actionnaires. Pour l'épargnant, si le modèle de la banque universelle présente des risques infiniment supérieurs, les profits, eux, sont inexistants.
Soren Seelow

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