mercredi 31 octobre 2012

Les structures

Fondamentalement, le structuralisme a connu une effervescence prodigieuse en promouvant les structures comme les substrats innovants, quasi révolutionnaires, enfin découverts, qui permettraient de transformer notre interprétation du réel jusqu'à accéder à sa compréhension. C'était l'époque où l'on espérait trouver un horizon progressiste du monde, suite à l'échec du marxisme. On demeurait dans la voie du néo-positivisme, bien que l'Université prétendît être sortie du positivisme, tout en mettant en avant les sciences humaines et diverses méthodes d'obédience, comme le structuralisme - précisément. 
On tend à oublier que l'historien de la philosophie Deleuze, avant de jouer au Grand Philosophe comme d'aucuns miment le Gentil Animateur, avec costumes violets, ongles gigantesques, canes précieuses et alcoolisme créateur, a commencé son projet de création conceptuelle gauchiste, postspinoziste et nietzschéen en essayant de trouver des structures un peu partout, notamment chez Proust. Puis on a oublié le structuralisme. Il continue avec parcimonie à être loué comme Grand Philosophe dans la mesure où il n'a jamais avancé la moindre idée nouvelle et qu'il a réussi l'exploit de faire de Nietzsche un gauchiste postmoderne, ou de rapprocher les monades de Leibniz de la complétude du désir. A cet instant, à la fin de sa vie, avant son suicide, Deleuze déclara que s'il contractait un accident de voiture fatal, son grand secret s'envolerait avec lui.
Selon lui, il détenait la définition de la philosophie. Le grand livre à ce sujet sortit. Il connut un succès retentissant, dans l'univers snob des postmodernes. Il contentait l'avancée fatale : la philosophie consistait à produire des concepts, comme l'art produit des affects et la sciences des percepts. Une nouvelle fois, les faux philosophes, professeurs de philosophie entendant passer pour créateurs après avoir pris la grosse tête universitaire, remplaçaient l'innovation par le vide abscons. 
Qu'est-ce que le concept? Le lecteur ne le saura jamais. L'idée découle de Spinoza. On peut critiquer la proposition en opposant au concept fini l'idée, qui mène vers l'infini. On comprend que Deleuze ait essayé de subvertir Leibniz pour en faire un allié du spinozisme postmoderne mâtiné de nietzschéisme gauchiste.
Si le structuralisme finit en postmodernisme, c'est qu'il était une mode superficielle, remplacée par cette autre. Quelle est la différence théorique entre le structuralisme, notamment promue par l'ethnologue Lévi-Strauss, et l'atomisme? La parenté est frappante, ce qui montrerait que loin d'avoir inventé quoi que ce soit, le structuralisme a recyclé l'atomisme, en lui donnant qui plus est une parenté synonymique plus vague et imprécise. Les structures ont l'avantage sur les atomes de ne désigner ni réalité physique, ce que le vocabulaire de la physique contemporaine a renforcé et reprécisé, ni réalité tout court : elles désignent un terme, les structures, qui signifie : l'ensemble formel de relations, en philosophie.
La structure découle du vocabulaire du bâtiment, sa forme, puis peu à peu devient théorique tout en conservant son sens. Dire du réel, qui est indéfini, qu'il est composé de structures est imprécis et poursuit l'indéfinition qui pose problème : la structure est un terme qui est dépourvu de signification propre et qui exprime un dérivé référentiel. Il ne signifie qu'en référence à une autre réalité de type factuel. Si cette réalité est précisée, par un élément factuel, soit un référent attesté, ou la description précise d'une réalité encore non reconnue, elle introduit de la nouveauté. En ce sens, elle devient une référence.
Justement, quand une position n'arrive pas à innover, elle subvertit la référence en la privant de sens et en empêchant qu'elle contienne du sens. Le dérivé référentiel pur n'est arrimé à aucune réalité et constitue la possibilité de l'imposture sémantique et théorique. C'est cette voie dans laquelle s'engouffre le structuralisme, avec plus encore de lâcheté définitoire que l'atomisme, car l'atomisme essayait au moins de définir un état minimal de réalité physique, même s'il échouait à la définir et sombrait dans des contradictions entre l'infini et l'indéfini.
L'atomisme essaye de renvoyer à une réalité physique - ainsi, il entend conférer au philosophique une dimension physique complète, qui ne soit pas de la réduction. Au-delà de l'imposture caractérisée du structuralisme, l'atomisme est plus sincère, car il cherche vraiment à clore le débat philosophique en produisant une théorie physique du réel, comme si le réel pouvait se résumer au physique. L'atomisme montre une conception particulière du langage et au-delà du réel : quand elle n'est pas sincère, cette démarche aboutit au structuralisme, qui consiste à profiter de cette conception nominaliste (au sens médiéval de réalisme concret) pour abuser du langage irréaliste.
L'atomisme montre que le "réalisme" ici en question considère que le réel est constitué de faits (c'est d'ailleurs la définition qu'en propose le premier Wittgenstein dans le Tractatus Logico-Philosophicus, même si ce qu'on appelle le second Wittgenstein ne soit pas en contradiction avec le premier, simplement se montre à mon avis plus sceptique, cherchant plus à opérer un travail à la limite, quand dans la première mouture il essaye d'énoncer du vrai factuel). Du coup, le travail de subversion consiste à s'appuyer sur le postulat du réel factuel pour utiliser le langage interprétatif comme un langage vide de sens, qui ne peut rien contenir de notable et de palpable.
Je trouve pour ma part une grand justesse à la distinction médiévale entre nominalisme et réalisme. Le réalisme recoupe l'idéalisme, tandis que le nominalisme tendrait vers la tradition métaphysique. L'idéalisme réputé réaliste rappelle que, contrairement à la réputation que l'on prête à l'idéalisme d'éloignement du réel, malgré son brillant spéculatif, l'idéalisme est ce qui rapproche du réel, non le plus concret, mais le plus pérenne. ainsi, le réel n'est pas le concret, mais le pérenne, qui intègre des formes de réel qui sont moins immédiates, mais indispensables à sa pérennité.
Dans le fond, que dit le réalisme du réel, mieux encore dans son appellation que l'idéalisme, encore que l'idéalisme contienne l'idéal comme porte-étendard du réel, comme l'expression de la quintessence du réel? C'est que le réel n'est pas constitué au fond de faits, que les faits sont l'écume du réel. Comme le langage consiste à dire le réel, il n'est pourtant pas factuel, mais interprétatif. L'interprétation subvertie, comme dans le cas du structuralisme, donne lieu à de l'illusion, soit au fait (littéral) de ne rien dire.
Pouvoir dire l'illusion, c'est reconnaître que le fait n'est pas le réel : que l'interprétatif existe, qu'on cherche à le définir, ce qui est la tentative maintes fois recommencées de la pensée, pas seulement de la philosophie. L'interprétatif dément que le réel soit factuel et que l'interprétatif se résume à de l'illusion : sans quoi il n'y aurait pas tant de formes d'interprétations innovantes, qui dessinent le progrès de la connaissance, au-delà de sa dimension physique (dès lors, pas seulement adossée à l'atomisme).
L'interprétatif constitue la grande caractéristique du langage, qui exprime ce qu'est le réel. Si le langage est interprétatif, c'est parce que le réel est évolutif, englobant et totalisant. Du coup, le factualisme n'est pas une vision adéquate du réel, au sens où il se condamne à ne dire que la partie réduite du réel, dont la caractéristique est de réduire constamment et de rabougrir, ce qui fait que le factuel est la partie du réel condamnée par sa stagnation à déprécier, dégénérer et disparaître. L'interprétatif implique que le réel soit en évolution, que la connaissance soit possible, mais en évolution.
Plus que le factualisme, qui est discrédité, c'est l'irrationalisme rationaliste qui mérite d'être décrite, décrypté. Le rationalisme irrationaliste désigne la faculté d'isoler un domaine circonscrit de rationalisme entouré d'irrationalisme. Le rationalisme peut certes être atteint; mais à condition qu'il soit entouré de non-être, soit de ce qui n'est pas de l'être et qui n'est rien de positif. A partir de ce constat ténébreux, le non-être ne se trouvant jamais défini autrement que par l'exclusion et le déni, il est deux réactions : soit considérer qu'à l'intérieur de l'être rationaliste, fini, on peut parvenir au factualisme, puisque le fini est stable; soit tenir que l'être étant entouré de non-être, le principal caractère du non-être est d'apporter du changement inexplicable dans l'être.
C'est la théorie du chaos constructif. Le rationalisme est possible, mais interprétatif. Cependant, cet interprétatif n'est pas une interprétation infinie, mais finie, un changement constant, mais limité. Le factuel peut se trouver surplombé d'interprétatif en ce sens, tout comme l'irrationalisme se montre mâtiné de rationalisme : à ce moment, le rationalisme considère que le changement amène l'interprétatif comme essai de compréhension supérieur au factualisme et rendant le factualisme insuffisant dans la quête de connaissance.
Mais l'interprétatif fini est le vrai opposé de l'interprétatif infini et véritable. Le fini renvoie à la catégorie cartésienne de l'indéfini, selon laquelle le changement existe et tend à changer constamment l'être fini. Le changement fini permet l'interprétation et le rationalisme, mais il s'agit de subversion de l'interprétation et du rationalisme. Au lieu de tendre vers la croissance, il encourage la stabilité. C'est l'option aristotélicienne contre l'atomisme strict des Abdéritains, dont Démocrite. Dans notre époque moderne, le spinozisme consiste à opter pour la surenchère de l'aristotélisme en se focalisant sur le désir complet dans un univers incréé. La stabilité dans l'instabilité.
Nieztcshe ira un cran au-delà de Spinoza, pour pallier à la faillite du processus immanentiste, en essayant de fonder un domaine stable, celui de l'artiste créateur qui en fondant ses propres valeurs parviendrait à expurger son réel de l'instabilité, quitte à ce que ce réel soit l'apanage de quelques initiés supérieurs. Nietzsche ne parvient à cet idéal postromantique et étrange qu'en promouvant à l'inconséquence, puisque cet idéal parviendrait à s'intégrer dans le réel, en changeant certaines conditions générales tout en conservant l'essentiel.
L'élite ainsi peut se fonder, au milieu du troupeau. L'immanentisme est résolu au beau milieu de sa faillite, ce qui est une curieuse manière de résoudre le problème et qui mènera son auteur tout droit à la folie. Plus tard, les logiciens essayeront à leur tout de réformer la métaphysique moderne, qui est déjà une réforme de la métaphysique classique. Quelle que soit leur identité exacte, ils échoueront toujours, parce que leur projet oscille précisément entre le factualisme et l'interprétatif fini. Dans cette veine, Wittgenstein avait nuancé le factualisme interprétatif en décrétant que l'homme utilise le langage, mais ne le comprend pas.
Il prêche l'irrationalisme en affirmant que la connaissance peut pénétrer à l'intérieur du langage, mais ne peut le comprendre de l'extérieur, comme s'il existait en dehors du réel fini une extériorité dont la particularité serait d'être non identifiable. Du coup, l'interprétatif se trouve récupéré, alors que le propre du réel est d'être interprété, ce qui implique que le réel est malléable, mais aussi hétérogène : car s'il n'était hétérogène, il n'évoluerait pas et ne serait pas malléable.

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