vendredi 8 février 2013

Linéarité et enversion

La stratégie linéaire conduit à l'échec, parce qu'elle ne conserve de son schéma que sa seconde partie, visible, l'être.
Du coup, le linéarisme ne peut mener qu'à l'échec, puisque le souterrain, comme le nomme Dostojevski avec pertinence, se manifeste du fait de son déni et détruit la façade rayonnante et équilibrée de l'être.
N.B. : l'éloge de l'apparence ou de la superficie n'ont de valeur que dans un schéma implicite d'antagonisme entre l'être fini et le non-être - de nihilisme. Mais ce schéma d'antagonisme ne tient pas davantage, car il devrait s'il était juste aboutir à son autodestruction et il ne peut expliquer sa maintenue, voie sa pérennité, telles que pourtant les revendique l'apologète du superficiel qui prône cette position comme étant effective et viable.

a) La loi du plus fort considère que le caché se construit dans le prolongement du visible et que l'ensemble constitue un tout homogène, viable, linéaire - le total. Raison pour laquelle la loi du plus fort finit toujours par s'effondrer.
- Le propagandiste adhère au linéarisme et le sert, partant du principe, sinon qu'on peut connaître l'ensemble, du moins qu'on a intérêt à servir le domaine que l'on a identifié comme "le plus fort". Le propagandiste se montrerait plutôt spinoziste, au sens où le domaine du plus fort qu'il sert renvoie à la complétude du désir et se soucie peu de l'environnement restant. Alors que le complotiste se focalise sur le caché sans chercher à l'éclairer, le propagandiste renvoie à cette part qu'il n'est pas besoin de connaître, voire qu'il ne faut pas (trop) connaître, puisque si elle est visible, elle est inaccessible (le plus fort est l'étranger pour les faibles).
- Le complotiste estime que c'est le caché qui gouverne le visible, soit que le réel est formé selon une structure pyramidale à la tête de laquelle on trouve le caché. Le complotiste sert le plus fort, mais indirectement. Son but est de dénoncer bizarrement le caché, sans le démasquer. Il s'en tient à une position contradictoire. Pour lui, le problème n'est pas tant d'adhérer à la complétude du désir ou au linéarisme, soit au fait que c'est l'homme qui dirige de manière maléfique et dans l'ombre, que de toujours renvoyer à l'ailleurs ce caché souverain et dominant (ce caché fondamental rappelle la toute-puissance divine et vient, dans une période de perte des valeurs, remplacer la norme divine chancelante).

b) Le transcendantaliste, qu'il utilise les référents de l'ontologie ou pas, considère que l'être linéaire est la partie de l'Etre. L'Etre est constitué d'un linéaire inaccessible : si le linéaire de l'être utilise le même décodeur que l'homme (la raison), cette dernière peut seulement permettre de progresser dans la compréhension de l'Etre, sans jamais parvenir à le saisir dans son mystère d'infini. Les religions transcendantalistes, monothéismes comme polythéismes, sont fondées sur le principe de la révélation.
C'est à partir de certains mystiques chrétiens, mais aussi de traditions plotiniennes ou néo-platoniciennes, tous éloignés du dogme chrétien, que Kierkegaard forgera l'arationnel. Ce dernier permet de relier le rationnel au divin, sans tomber dans la proposition cartésienne d'un divin miraculeux, bizarrement irrationaliste et miraculeux.
Le point faible de la doctrine transcendantaliste consiste à ne pas pouvoir expliquer pourquoi ce qui est linéaire est inexplicable, soit à conserver en son sein un peu de ce nihilisme qu'il réfute pourtant et contre lequel il s'est forgé. Au final, le platonisme propose ainsi que l'ontologie se vérifie dans le dialogue, toujours à faire et de ce fait pose que la pratique justifie de la théorie. Platon n'en arriverait pas là s'il parvenait à définir l'Etre, non qu'il déboucherait sur le formatage théorique de l'action, qui impliquerait paradoxalement que le réel est donné; mais qu'il en viendrait plutôt à redéfinir l'Etre, en montrant que le linéarisme pose une limite théorique au transcendantalisme, l'empêche de définir son fondement et réintroduit le nihilisme, dont le point de départ était : faute de définir l'intégralité du réel, mieux vaut alors s'en tenir à une portion réduite, fût-elle congrue, et reconnaître que le réel n'est pas l'infini, mais le fini. Ce sera la doctrine aristotélicienne. Spinoza perfectionnera à sa manière cette doctrine devenue obsolète en remplaçant le fini par le complet (l'accroissement de puissance, qui replace la liberté, devant aboutir à la complétude).

c) La reconnaissance implicite de l'ailleurs plaide en faveur de l'hypothèse néanthéiste, selon laquelle la structure du réel n'est pas établie sur le mode linéaire, ni sur le mode transcendantaliste, mais sur l'hypothèse novatrice de l'enversion. L'ailleurs implique l'insuffisance théorique, qui trouve son acmé dans l'immanentisme, où le maître-mot est de viser la complétude, quitte à se désintéresser des environs. La désinvolture de Spinoza à l'égard de ce qui est extérieur au désir complet est éloquente : il nomme l'extérieur incréé, ce qui est un terme négatif, qui ne constitue aucun progrès sémantique par rapport au non-être. L'ailleurs se trouve dénié dans le spinozisme au motif que seuls importent l'ici et le maintenant : le complet, qui désigne le désir. Mais le nihilisme qui imprègne la métaphysique et l'hérésie immanentiste ne résolvent pas le problème de l'ailleurs, ils le repoussent plutôt. Le nihilisme pose le problème premier du non-être et c'est face à ce défi que le transcendantalisme en réponse a échoué. Mais le néanthéisme explique que la question de l'infini est mal posée, tant par le nihilisme, qui parle de non-être, que par le transcendantalisme, qui propose quant à lui l'alternative de Dieu/Être, signifiant par là qu'il existe quelque chose en lieu et place de rien, mais sans se montrer capable d'aller au-delà de cette assertion relavant de l'hypothèse fragile et indémontrée. Le malléable extensible explique que tout soit donné ici et maintenant tout en prenant en compte les questions concernant la conciliation impossible et inenvisageable pour la raison de l'étendue illimitée. Comment concilier l'étendue et l'infini? Si l'étendue ne peut être que finie, qu'est-ce que l'infini? Peut-on penser qu'à côté de la limite inhérente au fini il puisse perdurer quelque chose d'autre? On comprend l'hypothèse nihiliste initiale : cette explication de l'illimité pose problème et ne répond pas à la question. Tandis que l'extensible permet d'expliquer ce problème : le réel est le tout du fini, mais d'un fini qui est extensible et qui de ce fait pose autrement le problème de l'infini. L'infini est l'extensible signifie : le donné croît physiquement, ce qui revient à dire que l'étendue est extensible et que cette extensibilité résout le problème de l'infini. L'infini n'existe pas déjà en tant qu'étendue côtoyant le fini, jusqu'à rendre ce fini aussi absurde que l'infini l'englobant sans expliquer ce mystère surnaturel. L'infini signifie que le fini ne peut perdurer en tant que domaine stable et qu'il a besoin de s'étendre. Le fini stable finirait en réinstauration de la contradiction. Pour échapper à cette autodestruction programmée et prévisible, l'extensibilité donne une connotation positive au visage de l'infini. Au lieu de dire que ce qui n'est pas fini existe pourtant, mais ne peut se dénommer que de manière négative au moyen du préfixe -in, on explique la disjonction entre le fin et l'infini en remplaçant l'infini en homogénéité (négative et reconnaissant par là son manque d'ailleurs) par l'extensible en disjonction. Voilà qui identifie la structure du réel : en disjonction, non en prolongement, englobement et homogénéité.

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