lundi 22 septembre 2014

Le fonctionnement du complotisme

Le réel peut-il fonctionner sur le fondement du caché? Mes précédents recherches sur la question du complotisme ont montré que la définition rigoureuse du complotisme porte sur le fait d'estimer que le caché  peut diriger le monde.
Cette définition, rigoureuse, s'est trouvée obscurcie par sa manipulation perverse en outil de propagande anticritique : on décrète alors que les complots n'existent pas, au motif qu'ils ressortissent du fantasme baptisé pour les besoins de la peine complotisme. On commet ainsi un bel amalgame.
Du coup, on ne sait plus si on doit être contre le complotisme - ou pour. Etre complotiste peut être peut-être délirant, tout comme être anti-complotiste l'est tout autant, surtout quand il s'agit de nier les complots de pouvoir (les complots d'Etat existent, malheureusement).
Dans les deux cas, on accrédite le rôle dominateur, voire tout-puissant du caché dans le réel, comme si le caché était possible.
On en arrive à l'équivalence : anti-complotisme (propagandiste) = complotisme fantasmatique.
Dès lors, l'opposé de ces deux expressions outrancières est le complotisme rigoureux, c'est-à-dire la lucide reconnaissance de l'existence des complots.
Que révèle le complotisme ainsi entendu? Les complots expriment le dérèglement du fonctionnement politique. Le politique consiste à relier le réel au social. Pour ce faire, le politique doit s'appuyer sur des individus visibles, porteurs d'idées explicites.
Quand les idées deviennent cachées, quand les manipulations prennent la place de l'action exprimée au grand jour, alors le lien ne s'opère plus et la destruction prend le relais.
Le caché = la faillite.
D'une manière générale, le caché relève de deux ordres :
- le caché qui peut devenir visible.
- le caché dont l'existence est destinée à rester caché.
Dans ce cas, le caché est hallucinatoire. L'argument est simple : s'il doit rester caché, comment ferait-on pour le mettre en lumière? Nous nous trouvons face à une aberration logique, qui ne peut fonctionner que par temps de crise, quand le désespoir qui saisit les opprimés en poussent beaucoup à expliquer par l'irrationnel, soit à fournir un type d'explication qui refuse d'expliquer autrement qu'en constatant que les choses sont telles qu'elles apparaissent.
C'est ici qu'entre en jeu la conception du complotisme fantasmatique, selon laquelle le caché est viable en tant que caché, avec la caractéristique qu'il se montre plus puissant que s'il était visible.
C'est l'inverse qui se montre pourtant rigoureusement vrai, et c'est sur ce point en particulier qu'il convient de dénoncer l'imposture typiquement fantasmatique du complotisme : le caché est inférieur au visible. Ce dernier tend vers l'unicité, quand le caché réhabilité en lieu et place la multiplicité initiale et superficielle.


L'infériorité du caché sur le visible comporte une autre caractéristique : sa déconscientisation ou décréativité.
Le pouvoir caché, s'il fonctionnait, charrierait le pessimisme. Le complotisme implique en effet que l'on ne puisse que les masses ne puissent que constater les dégâts, sans pouvoir se rebeller contre ces élites toutes-puissantes.
Que le pouvoir caché n'existe pas autrement que sous la forme d'une multiplicité éclatée et impersonnelle conduit à comprendre que le processus de décadence que signale le complotisme aboutit au fait de la dépossession réifiée ou de la réification impersonnelle.
Le complot surgit quand la crise couve. Le fonctionnement qui prévaut alors ne concerne plus que des parties, destinées à disparaître, parce qu'elles instaurent la répétition végétative et sclérosante en lieu et place de l'inventivité. C'est à ce titre que ce type de réel est inférieur et mérite d'être tenu pour pessimiste.
Le propre d'un complot mène, non à la reconnaissance du mystérieux pouvoir caché, mais à son impersonnalité, avec l'impossibilité pour toute explication d'en donner des auteurs, parce que l'examen de son déroulement laisse apparaître que ces comploteurs ne suffisent pas à expliquer la manifestation du complot, ni comme causes, ni comme fins, ni comme accompagnateurs.
Le complotisme s'use à proposer des pistes aussi multiples que toutes insuffisantes parce qu'il ne peut proposer en définitive une quelconque version sérieuse, non pas des participants au complot, ce qui est possible après un travail titanesque de recoupement, mais de commanditaires qui seraient suffisants. S'il obtient des commanditaires, ceux-ci seront toujours déceptifs et insuffisants, parce que le propre du complot est de développer l'incomplétude.
Raison pour laquelle les complots échouent toujours par rapport à leurs objectifs et ne peuvent enrayer le changement qu'ils honnissent. Raison aussi pour laquelle le complotisme échoue à expliquer les complots : précisément parce qu'il veut les expliquer a lie de reconnaître que toute explication, aussi pointue et lucide soit-elle, devra au final finir par reconnaître que l'explication d'un complot débouche sur la reconnaissance de son irresponsabilité, ce qui signifie que le déploiement d'un complot mène à son impersonnalité autant qu'en son manque de responsabilité.
Le mimétisme engendre un processus dans lequel les acteurs sont au service d'une mentalité qui leur est étrangère et qui n'appartient à personne d'autres. Elle n'est au service ni d'une inspiration divine, ni d'une ingérence diabolique. Faible, elle est destinée à échouer. C'est  d'ailleurs une des faiblesses du complotisme que de refuser la réalité historique : la toute-puissance qu'elle prête au caché ne s'applique pas au déroulement de l'histoire.
Quelle est la réalité de cette mentalité qui dessert les comploteurs? C'est une mentalité qui se dessert elle-même : si les complots échouent, c'est parce qu'ils servent l'échec, leur échec, mais aussi l'échec de la tentative d'empêcher le changement. En quoi le complot est de nature réactionnaire; et en quoi la réaction est vouée à l'échec.

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