Quand Rosset reprend l'une des idées-maîtresses de Nietzsche, selon laquelle les philosophes depuis Platon ont presque tous doublé le réel d'un fantasme, il est obligé lui aussi d'admettre que cette définition du réel ne permet pas de le rendre complet et il propose en conséquence, inconséquente si on peut dire, que le réel soit sans complément, selon la proposition de Mach (« Un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas »).
Selon cette définition, le réel est tissé d'être, mais il est sans complément, ce qui est absurde. D’un point de vue logique, il est deux alternatives à cette posture, qui serait anecdotique si elle était seulement le propre d'un philosophe mineur, mais elle s'avère être celle d’une partie importante de la philosophie, centrée autour de la métaphysique.
La philosophie a versé dans l’irrationalité pour éviter le piège de l'ontologie (plus largement, la position atavique du transcendantalisme). Elle n'a pas eu tout à fait tort : le problème que rencontre la philosophie, en tant qu'expression rationnelle de la pensée, c'est de compléter l'être fini - ou sensible. La réponse qui est formulée s'avère contestable, dans le sens où la proposition choisit le prolongement de type homogène.
La réponse apportée est donc : l’Être est ce qui complète l'être. Mais qu'est-ce que l’Être? Le bât blesse. Jamais Platon ne parviendra à définir le terme incontournable, bien qu'il ait réussi grâce à ce fondement à définir le non-être comme l'autre. C'est que cette option, si elle reste indéfinie, présente le mérite de rendre un ensemble cohérent et satisfaisant du point de vue des catégories du sens.
Désormais, on est confronté à deux propositions obsolètes. Si c'est seulement maintenant qu'on s'en rend compte, c'est parce qu'on commence, de manière balbutiante, à sortir de l'être. Jamais la métaphysique n'aurait pu exister de manière indépendante, si elle ne s'était pas opposée à l'ontologie, qu'elle prétend remplacer. Les deux au fond se meuvent dans l’être, y compris le non-être, comme son nom l'indique.
La critique que lance la métaphysique, inspirée du compromis, pour que le nihilisme puisse sortir de son autodestruction, est fondée contre l'ontologie, qui ne définit pas son fondement, mais à laquelle elle oppose le refus de toute résolution, en restant au négatif, nommé par exemple non-être. La vertu de ce nihilisme exprimé en compromis est de mettre en évidence le problème cardinal, bien entendu non observé par la toute-puissance qu’exprime la pensée de l'être, qui affecte la proposition de type transcendantaliste.
Autrement dit, le vice advient immédiatement après le début de remise en question, de manière connexe. Loin de résoudre le problème dénoncé, la métaphysique le conforte plutôt, en s'empressant de ne le pas résoudre. Ce qui est fascinant dans cette démarche, c'est autant le fait d'approcher du problème que de passer immédiatement à côté. En effet, il s'agit de ne surtout pas proposer d'autre réalité que l'être, tout en reconnaissant avec contradiction qu'il y a quelque chose à côté, mais en précisant que ce quelque chose n'est pas définissable, donc n'est pas vraiment quelque chose - Descartes ira encore plus loin en estimant que cette reconnaissance est dépourvue de réalité, opérant exclusivement dans le cadre du langage, ce qui s'avère un raisonnement pour le moins étrange.
C'est dire que Rosset passe tout contre le problème qu'il pose à la suite de Nietzsche, voire Spinoza : non seulement rien ne prouve que l'idéal sous forme d’Être (ou ses paronymes) existe, mais il est encore plus aberrant, et impraticable, d'en rester là et de s'en tenir à l'affirmation négative qu’énonce le non-être. Nietzsche a réfuté ce qu'il nomme le double, pour déterminer cet idéal aussi évanescent qu’homogène.
Comme souvent, il répond à sa question pertinente et lancinante de manière aberrante, teintée par la folie, en prétendant qu'il est envisageable de demeurer rivé à son désir d'artiste créateur de ses propres valeurs, une posture pour le moins déroutante, si l'on creuse derrière l'annonce, enthousiasmante à la première lecture. Nietzsche ne s’avise pas que sa proposition équivaut à de l'inconséquence - rien d'étonnant chez ce grand irrationaliste, qui rêva d'abolir le principe de non-contradiction, pour en revenir à ce qu’il identifie comme le magma informel et originel.
S'il l'option transcendantaliste n'est pas démontrée, donc pas démontrable, la conclusion à laquelle parvient le nihilisme ne peut fonctionner comme telle - en atteste la postérité de Gorgias et de son Traité. Dès lors, l'option du compromis, celle par excellence de la métaphysique, rencontre un succès important, puisqu'elle conjugue le réalisme et l'idéal de la connaissance. Pourtant, ce succès se heurte à l'impéritie de cette méthode, dont le réalisme porte mal le nom : il s’agit de décréter que le réel est fini et que l'idéal se limite au contour saisissable.
Pourquoi ne pas envisager l'hypothèse nihiliste? Il faudrait alors compléter le fini, sans quoi on se contente de violer le principe de non-contradiction et on se meut dans un monde absurde, dont le propre est d'échapper à toute démonstration, à tout sens, à toute pensée. Si l'on s'en tient à l'idée selon laquelle la connaissance est possible, sans quoi le geste de connaissance sombre dans la faillite irrémédiable, alors il faut sortir de l'impasse métaphysique qui asphyxie la pensée, tout comme de l’approximation transcendantaliste, praticable, mais brouillonne, qui nous fait patiner et nous laisse l'esprit embrouillé par la complication du style venant remplacer l'absence de vision claire de ce qu'est le réel.
Pour ce faire, il convient de situer le complément, non à l'extérieur de l'être fini (le sensible), mais à l'intérieur; et de changer la définition de l'homogénéité, sans quoi l’homogénéité interne serait impraticable; alors que la différence interne est envisageable, et permet de considérer l’incomplétude comme ce qui se complète à l'intérieur.
Du coup, ce qui rendait incohérent le schéma transcendantaliste devient limpide : l'être est complété par une structure qui n'est pas de l'être tout en lui étant connexe - le malléable. Ce complément n'existe pas sous la forme de l'être et ne saurait en conséquence se trouver saisi par notre entendement, assujetti à l'être. Le malléable s'exprime sous forme de potentialité, qui a donné naissance à l'être et qui lui permet de se maintenir, en lui permettant de s'étendre, de ne pas en rester à la forme donnée (mais de ne pas se réduire, car la réduction n'est pas compatible avec la permanence, bien qu’il faille prendre en compte la relativité de ce qu'on considère comme accroissement spatiale, dépendant de l'être).
Désormais, on est confronté à deux propositions obsolètes. Si c'est seulement maintenant qu'on s'en rend compte, c'est parce qu'on commence, de manière balbutiante, à sortir de l'être. Jamais la métaphysique n'aurait pu exister de manière indépendante, si elle ne s'était pas opposée à l'ontologie, qu'elle prétend remplacer. Les deux au fond se meuvent dans l’être, y compris le non-être, comme son nom l'indique.
La critique que lance la métaphysique, inspirée du compromis, pour que le nihilisme puisse sortir de son autodestruction, est fondée contre l'ontologie, qui ne définit pas son fondement, mais à laquelle elle oppose le refus de toute résolution, en restant au négatif, nommé par exemple non-être. La vertu de ce nihilisme exprimé en compromis est de mettre en évidence le problème cardinal, bien entendu non observé par la toute-puissance qu’exprime la pensée de l'être, qui affecte la proposition de type transcendantaliste.
Autrement dit, le vice advient immédiatement après le début de remise en question, de manière connexe. Loin de résoudre le problème dénoncé, la métaphysique le conforte plutôt, en s'empressant de ne le pas résoudre. Ce qui est fascinant dans cette démarche, c'est autant le fait d'approcher du problème que de passer immédiatement à côté. En effet, il s'agit de ne surtout pas proposer d'autre réalité que l'être, tout en reconnaissant avec contradiction qu'il y a quelque chose à côté, mais en précisant que ce quelque chose n'est pas définissable, donc n'est pas vraiment quelque chose - Descartes ira encore plus loin en estimant que cette reconnaissance est dépourvue de réalité, opérant exclusivement dans le cadre du langage, ce qui s'avère un raisonnement pour le moins étrange.
C'est dire que Rosset passe tout contre le problème qu'il pose à la suite de Nietzsche, voire Spinoza : non seulement rien ne prouve que l'idéal sous forme d’Être (ou ses paronymes) existe, mais il est encore plus aberrant, et impraticable, d'en rester là et de s'en tenir à l'affirmation négative qu’énonce le non-être. Nietzsche a réfuté ce qu'il nomme le double, pour déterminer cet idéal aussi évanescent qu’homogène.
Comme souvent, il répond à sa question pertinente et lancinante de manière aberrante, teintée par la folie, en prétendant qu'il est envisageable de demeurer rivé à son désir d'artiste créateur de ses propres valeurs, une posture pour le moins déroutante, si l'on creuse derrière l'annonce, enthousiasmante à la première lecture. Nietzsche ne s’avise pas que sa proposition équivaut à de l'inconséquence - rien d'étonnant chez ce grand irrationaliste, qui rêva d'abolir le principe de non-contradiction, pour en revenir à ce qu’il identifie comme le magma informel et originel.
S'il l'option transcendantaliste n'est pas démontrée, donc pas démontrable, la conclusion à laquelle parvient le nihilisme ne peut fonctionner comme telle - en atteste la postérité de Gorgias et de son Traité. Dès lors, l'option du compromis, celle par excellence de la métaphysique, rencontre un succès important, puisqu'elle conjugue le réalisme et l'idéal de la connaissance. Pourtant, ce succès se heurte à l'impéritie de cette méthode, dont le réalisme porte mal le nom : il s’agit de décréter que le réel est fini et que l'idéal se limite au contour saisissable.
Pourquoi ne pas envisager l'hypothèse nihiliste? Il faudrait alors compléter le fini, sans quoi on se contente de violer le principe de non-contradiction et on se meut dans un monde absurde, dont le propre est d'échapper à toute démonstration, à tout sens, à toute pensée. Si l'on s'en tient à l'idée selon laquelle la connaissance est possible, sans quoi le geste de connaissance sombre dans la faillite irrémédiable, alors il faut sortir de l'impasse métaphysique qui asphyxie la pensée, tout comme de l’approximation transcendantaliste, praticable, mais brouillonne, qui nous fait patiner et nous laisse l'esprit embrouillé par la complication du style venant remplacer l'absence de vision claire de ce qu'est le réel.
Pour ce faire, il convient de situer le complément, non à l'extérieur de l'être fini (le sensible), mais à l'intérieur; et de changer la définition de l'homogénéité, sans quoi l’homogénéité interne serait impraticable; alors que la différence interne est envisageable, et permet de considérer l’incomplétude comme ce qui se complète à l'intérieur.
Du coup, ce qui rendait incohérent le schéma transcendantaliste devient limpide : l'être est complété par une structure qui n'est pas de l'être tout en lui étant connexe - le malléable. Ce complément n'existe pas sous la forme de l'être et ne saurait en conséquence se trouver saisi par notre entendement, assujetti à l'être. Le malléable s'exprime sous forme de potentialité, qui a donné naissance à l'être et qui lui permet de se maintenir, en lui permettant de s'étendre, de ne pas en rester à la forme donnée (mais de ne pas se réduire, car la réduction n'est pas compatible avec la permanence, bien qu’il faille prendre en compte la relativité de ce qu'on considère comme accroissement spatiale, dépendant de l'être).
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