Le complotisme entend entériner le rapport de force qu'il dénonce, de telle manière qu'il agit en faveur de ses ennemis. C'est qu’il se meut dans un monde absurde, avec une particularité exceptionnelle, que peu remarquent : la dimension surnaturelle de ce caché, qui ne peut être telle que parce qu'il ne relève pas du monde usuel. Le caché est soumis à l’absurde, mais c'est un absurde qui n'oscille pas, comme le proclame Schopenhauer, entre la souffrance et l'ennui, mais qui procure un réel attrait, du fait de son pouvoir surnaturel.
La religiosité du complotisme est peut-être absurde, mais elle est extraordinaire par la supériorité qu’elle confère, cette invincibilité qui la place dans une catégorie inaccessible au commun des mortels. De ce fait, la religiosité promeut le mal, puisque la conception du divin telle qu'elle se trouve défendue par le complotisme est aussi nuisible et maléfique qu'elle se montre invisible.
Le religieux est paradoxal, puisqu'il ne se manifeste que par rapport à la toute-puissance de ceux qui peuvent se cacher. De nombreuses thèses fleurissent en ce sens, qui voisinent avec le complotisme : les Illuminatis ou les reptiliens sont des groupes extraterrestres et/ou bénéficiant de pouvoirs surnaturels, qui leur permettent de dominer les masses humaines, dont la crédulité s'explique par l'infériorité intellectuelle.
Le religieux est paradoxal, puisqu'il ne se manifeste que par rapport à la toute-puissance de ceux qui peuvent se cacher. De nombreuses thèses fleurissent en ce sens, qui voisinent avec le complotisme : les Illuminatis ou les reptiliens sont des groupes extraterrestres et/ou bénéficiant de pouvoirs surnaturels, qui leur permettent de dominer les masses humaines, dont la crédulité s'explique par l'infériorité intellectuelle.
Si le maléfique est tout-puissant, c'est qu'il fonctionne sur l'idée selon laquelle il existe un mode de réel supérieur au réel de type sensible et dont on ne peut expliquer la supériorité, sauf à considérer que ceux qui en font partie sont capables d'actions absolument perverses et sans l'once d'un remord. C'est ce qui les prémunit de la destruction : qu'ils la perpètrent sur les autres, pour s'en prémunir eux-mêmes.
La vision du monde selon le complotisme signifie que le caché supérieur persiste à la condition qu'il détruise le monde visible et ordinaire. S'ils parviennent à maintenir leur domination, une des caractéristique du complotisme consistant à nier le changement, c'est qu'ils peuvent poursuivre leurs actions prédatrices en toute impunité; et l'on comprend qu'ils les assument, puisque dans un monde absurde, la loi du plus fort est la seule qui soit conséquente et défendable.
D'où les explications assurées de la continuité de ce caché tout-puissant par de longues lignées familiales dont la minutieuse description s'explique : les maîtres cachés de ce monde se transmettent avec une facilité déconcertante le flambeau. En ce sens, l’identité du caché n'évolue pas et, si on enlève les élucubrations expliquant que l'humanité est dirigée par les extraterrestres, le changement n'affecte pas nos maîtres, signe de supériorité.
Reste le critère de la vérification de cette hypothèse : elle n'est pas possible, puisque le caché ainsi dépeint se montre de nature surnaturelle. C'est ce qui en fait la force auprès de son public. N'être pas démontrable permet de n'être pas réfutable. Le parfum sulfureux fait mouche. Cet atout capital peut s'adresser à un public conséquent pour peu que le potentiel concerné soit assez vaste.
Il convient seulement que l'état de l'éducation dispensée se révèle suffisamment inégalitaire pour qu'un certain nombre d'individus se montre incapable de former un raisonnement et de proposer un jugement critique à l'endroit des informations qu'ils reçoivent. De ce fait, toute information de valeur, nuancée, leur paraîtra repoussante et ennuyeuse; tandis que le simplisme complotiste (sous son appellation stricte) en devient attirant, car il donne l'impression de tout comprendre en peu de temps et sans effort (ou presque).
Quelle est cette existence du caché? Comme son coefficient frise la nullité, elle en dit surtout long sur la conception du caché telle que s'en font les complotistes - donc une représentation vulgaire et simpliste. Cette question du caché pose le problème de ce qui n'est pas perçu par l'observateur : est-ce caché - ou non observé encore, parce que la connaissance est insuffisante ou parce que c'est mal vu?
Croire que ce qui est caché est destiné à le rester pose alors le problème de la connaissance, soit que l'on puisse tout connaître, auquel cas le caché n'existe pas; soit qu'une certaine partie soit inconnaissable, ce qui limite la connaissance. Dans le premier cas, l'hypothèse d'un caché connaissable, mais par une élite, n'est pas possible, ou il faudrait alors que certains hommes n'appartiennent pas au commun des mortels, ce qui constitue une contradiction dans les termes. Dans le second, comment ce caché connu par peu pourrait se tenir entre les deux termes caché/visible, et défier les règles de la connaissance usuelle?
On le voit, la connaissance du caché constitue un grossier contresens, auquel personne ne peut avoir accès, sauf à disposer de facultés supra-humaines - ce qui aboutit à une nouvelle impasse : car ce qui est supérieur à l'homme n'est plus l'homme. Le complotisme entérine une impossibilité logique, celle de la connaissance. Il est d'autant plus simple qu'il est inexistant. Le caché accessible serait alors l'apanage exclusive du complotisme, puisque si le caché véritable existe, il n'est pas accessible - et si la connaissance n'a pas de limites, quoiqu'elle soit progressive, alors le caché relève de l'imposture paranoïaque.
Peut-on se montrer si sévère? Ne se peut-il pas plutôt que le complotisme soit la déformation et l'exagération d'un phénomène mal compris - comme le terme *néant signale une existence mal comprise, que Platon n'a pas bien interprétée? Le complotisme ne serait pas un phénomène qui se grefferait sur rien, mais la réaction fluctuante à un phénomène récurrent qu’il mésinterprète. Comment se fait-il que le complotisme se manifeste de plus en plus en période de crise?
C'est parce que la crise manifeste le changement des règles qui sont tenues pour encadrer le réel - son expérience commune, quoique malaisément définissable. Cet agrandissement physique crée un bouleversement, une perte de repères, qui engendre un manque de sens, un déficit de grille d'analyse. Le complotisme survient comme un moyen décalé et surinterprétatif, qui permet d'expliquer le déficit en sens, parce qu'il parvient à tout expliquer, en tant que réduction, et non agrandissement. C'est en ce sens qu’on peut avancer qu'il se montre simpliste.
Alors, que signale le complotisme? Non pas que le monde repose sur les limites du complot, autrement dit de la volonté humaine, ce qui serait réducteur en diable, mais que cette volonté de tout interpréter s'intensifie avec virulence en période de crise, et rencontre un succès auprès de nombreux désespérés, parce qu'elle pressent qu'il se pourrait que tout ne soit pas connaissable. Examinons cette proposition en nous gardant de l'irrationalisme, selon lequel la raison ne peut pas tout comprendre du plan homogène du réel, qu'elle peut par contre comprendre. L'irrationalisme comme son nom l’indique implique que la raison ne puisse pourtant saisir tout de ce plan d’homogénéité.
La différence que le complotisme saisit, tout en ne parvenant à s'y résoudre, c'est qu'il se pourrait que le réel ne soit pas homogène et qu'une différence incompréhensible pour la raison le parcoure - et le fracture. C'est cette différence que le complotisme confond en surinterprétation, en estimant que tout doit être explicable, pour éviter que se révèle que le plus important risque de ne pas l'être, en tout cas pour les moyens humains.
Prudent, le complotiste se rabat sur la volonté en sentant que la raison s'effrite et qu'il ne pourra tout colmater l'édifice du réel dont les bornes changent. C'est la raison pour laquelle il se rabat sur la volonté, dont le périmètre plus réduit permet de ne pas perdre ses repères, de les sauvegarder comme il peut. Le complotisme est une réaction de petit propriétaire effarouché et craintif, si l'on veut. Mais elle révèle en creux ce qu'elle ne peut voir et surtout ne veut voir.
A savoir qu'il se pourrait bien que le réel ne soit pas homogène et que le changement de bornes provienne de cette partie différentielle qui possède la particularité de susciter le changement, la crise et le complotisme. Ce dernier est le contre-signe selon lequel le réel qui nous entoure n'est pas tissé seulement d'être, quoiqu'en a estimé de manière écrasante la tradition de la pensée, de telle sorte qu'il est devenu inaudible d'oser avancer le contraire.
Mais alors, si l'être s'avère bien connaissable, le problème que pose cette représentation du réel, c'est : l'ensemble du réel est-il connaissable - ou cette fameuse partie différentielle résiste-t-elle, ce qui apporterait, quoique dans un sens fort différent, du crédit à ceux qui défendent cette thèse dans le sein du parti de l'être, comme les cartésiens? La connaissance ne peut toucher que l'être quand elle est de nature scientifique. C'est la limite de la science et c'est la particularité de la philosophie.
Contrairement à ce que Leibniz estimait, notamment dans ses Remarques sur les Principes de Descartes, le rôle de la philosophie, singulièrement remis en question depuis l’avènement de la philosophie expérimentale, ne se cantonne pas à chercher et trouver des fondements à la démarche scientifique, autrement dit à analyser les fondements de la connaissance et à essayer de les clarifier au maximum, mais à réussir à penser la différence qui ne relève pas de l'être. Telle est la spécificité de la philosophie, à laquelle elle ne peut prétendre que parce que la faculté qu'elle recèle n'est pas la raison, mais l'innovation.
La mission historique de la philosophie commence à partir du moment où la différence réelle devient perceptible et où la philosophie qui croyait qu'elle permettait la connaissance de l'être, qu'elle avait hypostasiée au point de l'appeler l’Être, se rend compte qu'elle-même s'est méprise sur son propre rôle, son sens, la faculté qui l’animait. La philosophie a un rôle, à condition de sortir de l'être, dont l’uniformité la sclérose à force de s'y complaire.
C'est à cette prise de conscience que mènerait le complotisme pour peu qu'il ne s'en tienne pas à ses conséquences, mais qu'il creuse plutôt son intuition initiale - ce ne serait alors plus du complotisme... Mais l'on voit que le complotisme n'est pas une idée folle de part en part, mais naît au contraire de prémisses fécondes. Malheureusement, le complotisme, au lieu de poser la question de la perspective différentielle du caché, l'exploite de manière paranoïaque et psychopathologique. Au lieu de se lancer dans la rénovation de la philosophie, qui en a le plus grand besoin, engluée dans les miasmes de la métaphysique moribonde et de l'immanentisme terminal, il fait dans le sensationnel à connotation surnaturelle.
Reste le critère de la vérification de cette hypothèse : elle n'est pas possible, puisque le caché ainsi dépeint se montre de nature surnaturelle. C'est ce qui en fait la force auprès de son public. N'être pas démontrable permet de n'être pas réfutable. Le parfum sulfureux fait mouche. Cet atout capital peut s'adresser à un public conséquent pour peu que le potentiel concerné soit assez vaste.
Il convient seulement que l'état de l'éducation dispensée se révèle suffisamment inégalitaire pour qu'un certain nombre d'individus se montre incapable de former un raisonnement et de proposer un jugement critique à l'endroit des informations qu'ils reçoivent. De ce fait, toute information de valeur, nuancée, leur paraîtra repoussante et ennuyeuse; tandis que le simplisme complotiste (sous son appellation stricte) en devient attirant, car il donne l'impression de tout comprendre en peu de temps et sans effort (ou presque).
Quelle est cette existence du caché? Comme son coefficient frise la nullité, elle en dit surtout long sur la conception du caché telle que s'en font les complotistes - donc une représentation vulgaire et simpliste. Cette question du caché pose le problème de ce qui n'est pas perçu par l'observateur : est-ce caché - ou non observé encore, parce que la connaissance est insuffisante ou parce que c'est mal vu?
Croire que ce qui est caché est destiné à le rester pose alors le problème de la connaissance, soit que l'on puisse tout connaître, auquel cas le caché n'existe pas; soit qu'une certaine partie soit inconnaissable, ce qui limite la connaissance. Dans le premier cas, l'hypothèse d'un caché connaissable, mais par une élite, n'est pas possible, ou il faudrait alors que certains hommes n'appartiennent pas au commun des mortels, ce qui constitue une contradiction dans les termes. Dans le second, comment ce caché connu par peu pourrait se tenir entre les deux termes caché/visible, et défier les règles de la connaissance usuelle?
On le voit, la connaissance du caché constitue un grossier contresens, auquel personne ne peut avoir accès, sauf à disposer de facultés supra-humaines - ce qui aboutit à une nouvelle impasse : car ce qui est supérieur à l'homme n'est plus l'homme. Le complotisme entérine une impossibilité logique, celle de la connaissance. Il est d'autant plus simple qu'il est inexistant. Le caché accessible serait alors l'apanage exclusive du complotisme, puisque si le caché véritable existe, il n'est pas accessible - et si la connaissance n'a pas de limites, quoiqu'elle soit progressive, alors le caché relève de l'imposture paranoïaque.
Peut-on se montrer si sévère? Ne se peut-il pas plutôt que le complotisme soit la déformation et l'exagération d'un phénomène mal compris - comme le terme *néant signale une existence mal comprise, que Platon n'a pas bien interprétée? Le complotisme ne serait pas un phénomène qui se grefferait sur rien, mais la réaction fluctuante à un phénomène récurrent qu’il mésinterprète. Comment se fait-il que le complotisme se manifeste de plus en plus en période de crise?
C'est parce que la crise manifeste le changement des règles qui sont tenues pour encadrer le réel - son expérience commune, quoique malaisément définissable. Cet agrandissement physique crée un bouleversement, une perte de repères, qui engendre un manque de sens, un déficit de grille d'analyse. Le complotisme survient comme un moyen décalé et surinterprétatif, qui permet d'expliquer le déficit en sens, parce qu'il parvient à tout expliquer, en tant que réduction, et non agrandissement. C'est en ce sens qu’on peut avancer qu'il se montre simpliste.
Alors, que signale le complotisme? Non pas que le monde repose sur les limites du complot, autrement dit de la volonté humaine, ce qui serait réducteur en diable, mais que cette volonté de tout interpréter s'intensifie avec virulence en période de crise, et rencontre un succès auprès de nombreux désespérés, parce qu'elle pressent qu'il se pourrait que tout ne soit pas connaissable. Examinons cette proposition en nous gardant de l'irrationalisme, selon lequel la raison ne peut pas tout comprendre du plan homogène du réel, qu'elle peut par contre comprendre. L'irrationalisme comme son nom l’indique implique que la raison ne puisse pourtant saisir tout de ce plan d’homogénéité.
La différence que le complotisme saisit, tout en ne parvenant à s'y résoudre, c'est qu'il se pourrait que le réel ne soit pas homogène et qu'une différence incompréhensible pour la raison le parcoure - et le fracture. C'est cette différence que le complotisme confond en surinterprétation, en estimant que tout doit être explicable, pour éviter que se révèle que le plus important risque de ne pas l'être, en tout cas pour les moyens humains.
Prudent, le complotiste se rabat sur la volonté en sentant que la raison s'effrite et qu'il ne pourra tout colmater l'édifice du réel dont les bornes changent. C'est la raison pour laquelle il se rabat sur la volonté, dont le périmètre plus réduit permet de ne pas perdre ses repères, de les sauvegarder comme il peut. Le complotisme est une réaction de petit propriétaire effarouché et craintif, si l'on veut. Mais elle révèle en creux ce qu'elle ne peut voir et surtout ne veut voir.
A savoir qu'il se pourrait bien que le réel ne soit pas homogène et que le changement de bornes provienne de cette partie différentielle qui possède la particularité de susciter le changement, la crise et le complotisme. Ce dernier est le contre-signe selon lequel le réel qui nous entoure n'est pas tissé seulement d'être, quoiqu'en a estimé de manière écrasante la tradition de la pensée, de telle sorte qu'il est devenu inaudible d'oser avancer le contraire.
Mais alors, si l'être s'avère bien connaissable, le problème que pose cette représentation du réel, c'est : l'ensemble du réel est-il connaissable - ou cette fameuse partie différentielle résiste-t-elle, ce qui apporterait, quoique dans un sens fort différent, du crédit à ceux qui défendent cette thèse dans le sein du parti de l'être, comme les cartésiens? La connaissance ne peut toucher que l'être quand elle est de nature scientifique. C'est la limite de la science et c'est la particularité de la philosophie.
Contrairement à ce que Leibniz estimait, notamment dans ses Remarques sur les Principes de Descartes, le rôle de la philosophie, singulièrement remis en question depuis l’avènement de la philosophie expérimentale, ne se cantonne pas à chercher et trouver des fondements à la démarche scientifique, autrement dit à analyser les fondements de la connaissance et à essayer de les clarifier au maximum, mais à réussir à penser la différence qui ne relève pas de l'être. Telle est la spécificité de la philosophie, à laquelle elle ne peut prétendre que parce que la faculté qu'elle recèle n'est pas la raison, mais l'innovation.
La mission historique de la philosophie commence à partir du moment où la différence réelle devient perceptible et où la philosophie qui croyait qu'elle permettait la connaissance de l'être, qu'elle avait hypostasiée au point de l'appeler l’Être, se rend compte qu'elle-même s'est méprise sur son propre rôle, son sens, la faculté qui l’animait. La philosophie a un rôle, à condition de sortir de l'être, dont l’uniformité la sclérose à force de s'y complaire.
C'est à cette prise de conscience que mènerait le complotisme pour peu qu'il ne s'en tienne pas à ses conséquences, mais qu'il creuse plutôt son intuition initiale - ce ne serait alors plus du complotisme... Mais l'on voit que le complotisme n'est pas une idée folle de part en part, mais naît au contraire de prémisses fécondes. Malheureusement, le complotisme, au lieu de poser la question de la perspective différentielle du caché, l'exploite de manière paranoïaque et psychopathologique. Au lieu de se lancer dans la rénovation de la philosophie, qui en a le plus grand besoin, engluée dans les miasmes de la métaphysique moribonde et de l'immanentisme terminal, il fait dans le sensationnel à connotation surnaturelle.
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