vendredi 26 mars 2010

Tu peux ou tu peux pas?

"Bon, ben voilà, ça y est, c'est fait."
Marc-Edouard Nabe, L'Homme qui arrêta d'écrire.



Après lecture d'un énième article consacré à l'écrivain marginalisé et censuré,
http://www.alainzannini.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1814%3Ale-point-25-mars2010&catid=74%3Ainterviews-presse&Itemid=93
je m'aperçois que la cote médiatique de Nabe est (notamment et en particulier) assurée par un énergumène de la trempe de Giesbert. Récemment, Nabe a été présenté sur le plateau d'un autre animateur en vogue (Taddeï) d'une manière absolument distanciée et critique : "Vous écrivez depuis 1985 et même vos détracteurs, et ils sont nombreux dans le milieu littéraire, reconnaissent que vous êtes un grand écrivain. Ils ont eu le temps de s'y faire puisque vous publiez votre vingt-huitième livre qui s'intitule L'Homme qui arrêta d'écrire. Alors c'est un évènement à plusieurs titres. D'abord parce que cela faisait quatre ans que vous n'aviez pas publié de livre (...). Ensuite, c'est un événement parce qu'il prend les années 2000 à bras le corps et c'est sans doute le premier roman aujourd'hui qui véritablement s'attaque à notre époque dans ce qu'elle a de différent par rapport à toutes les époques qui l'avaient précédée. Et enfin parce qu'il dynamite les habitudes de l'édition française. Vous avez dit que c'était de l'antiédition.".
Il serait temps de s'occuper du cas Nabe. Pas pour en faire ce qu'il n'est pas. Ni un antisémite (terme impropre), ni un horrible néo-nazi. Un nase à lazzis? Un fasciste? Un extrémisme - de l'anarchisme et de l'individualisme? Un fils à papa? Notre Grand Écrivain du Moment est le fils de Marcel Zanini, instrumentiste de jazz et chansonnier à succès. Papa chantait : "Tu veux ou tu veux pas?", fiston entonne : "Tu peux ou tu peux pas?".
Entre la ritournelle sans prétention et la rengaine prétentiarde de l'héritier putatif, l'évidence aveugle. Longtemps, Nabe a été censuré, vilipendé, agressé, détesté, évité, évincé, martyrisé, haï. On lui a reproché les pires maux de son époque avec une injustice flagrante. En même temps, la lecture de ses livres se révèle des plus décevantes, puisque Nabe apparaît en gros comme un devancier plus ou moins prophétique du genre nauséabond de l'autofiction. Nabe s'est fait agresser sur un plateau médiatique par un faux écrivain de la trompe d'Angot? Trompettes de la renommée! Normal que l'élève en mondanités littéraires tue le maître!
L'engagement politique de Nabe est des plus puérils : facile de lutter contre le colonialisme et l'impérialisme de l'Occident quand on prend des positions exactement inverses. Soit un anti-impérialisme et un anticolonialisme qui sont littéralement de l'impérialisme et du colonialisme retournés. L'acmé emblématique de cette dérive impérialiste sous couvert de contestation de l'impérialisme exclusivement occidental se situe dans la position autour du 911. Nabe ne s'est pas montré capable de comprendre le 911, malgré de nombreuses parutions consacrées au sujet?
Normal selon ses positions d'impérialiste anti : selon lui, fidèle à son antioccidentalisme exclusif, la VO est juste, sauf que l'acte terroriste est un châtiment mérité. Du retournement de toutes les valeurs! Vive le Dionysos de l'anarchie! Le Nietzsche de la Synarchie? On va juste rappeler la vérité désormais véreuse à propos du 911 : la VO est fausse, bien qu'elle ne soit en aucun cas méritée. D'ailleurs, si elle est fausse, on voit mal en quoi elle pourrait être un châtiment de quelque sorte que ce soit. Passons. Le contresens historique de Nabe (se planter sur l'événement catalyseur de son siècle!) va de pair avec son contresens esthétique concernant l'autofiction : dans les deux cas il s'agit de promouvoir un individualisme exacerbé et un impérialisme connexe - au moment où les valeurs de l'immanentisme liées à l'impérialisme britannique s'effondrent.
C'est au mo-ment où le monde que nous connaissons s'effondre, au moment où sa version terminale et putride nous est infligée, pour le meilleur (le changement) et le pire (la corruption) que la promotion médiatique de Nabe déroule et roule. Ta bille. Ta bile. Ta bulle. De mémoire, rappelons des faits de fats falots : renvoyé par son éditeur Le Rocher, qui venait d'être racheté par des intérêts pharmaceutiques, Nabe se retrouva au banc de la société des Lettres. Loin de le démoraliser vraiment, cette fausse mauvaise nouvelle l'incita à créer son concept d'antiédition et à lancer après quelques années de silence ponctué de tracts politiques néo-dadaïstes et néo-surréalistes un vingt-huitième roman consacré dès le titre à sa propre histoire romancée et autofictionnée.
Nabe revient en forme médiatique et accède à la reconnaissance artistique (de la République des Lettres) alors qu'il l'insulte et qu'il entretient une réputation de sulfureux marginalisé. C'est au moment où les porte-paroles de l'oligarchie financière mondialisée tirent à boulets rouges contre Internet et ses dérives complotistes (comme si le complotisme était hiérarchiquement la plaie de son temps, alors que pleuvent les complots apocalyptiques en ère de déclin...) que Nabe choisit de sortir son dernier opus, un sac à puces ou un poil à gratter, consacré entre autres parles à dénoncer les illuminés complotistes, à accréditer la VO du 911 et à décrire un Paris mondain fin de règne, ou, devrait-on plutôt dire, fin d'Empire. Un Saint-Gertmain napoléonien.
Nabe advient enfin à la mode et à la reconnaissance auxquelles il a toute sa vie aspiré au moment où l'aspirateur impérialiste qui s'effondre a grand besoin de contestataires qui le soutiennent. Nabe qui prétend être exclu est seulement le paria des mondains. Sacré pari que ce Saint-Loup de Paris méprisant ce qu'il adule et adulant ce qu'il méprise.
Tu parles d'une méprise! Souvenez-vous : Nabe est contre tout. Du coup, quand on est contre tout, on est pour les valeurs contre lesquelles on s'affiche. On s'en fiche? On est pour ce qu'on est contre, quoi. Après être passé chez FOG, qui anime un magazine de critique culturelle et politique au nom changeant (en ce moment ça s'appelle Vous aurez le dernier mot et ça passe sur France 2), Nabe est à présent interviewé par l'hebdomadaire Le Point concernant une obscure affaire de polémique littéraire entre un cinéaste sioniste assez célèbre (Claude Lanzmann) et un romancier archétypique de la dérive lettreuse de la République des Lettres (Yannick Haenel).
Haenel est un protégé de l'éditeur Sollers, un ancien ami et éditeur de Nabe. Sollers est connu pour ses goûts familiaux bourgeois et anglophiles et pour son arrogance frisant le ridicule. Le pape du christianisme libertin est aussi nietzschéen, favorable tant à Balladur (tendance ultra-libérale oligarchique déclarée) qu'à Royal (socialisme postmitterrandien). Le Point est détenu par l'industriel malthusien et philanthrope Pinault. Le PDG actuel n'est autre que cette vieille connaissance de Giesbert (qui n'est pas qu'écrivain antichiraquien et sarkozeste de choc).
C'est dans les pages du Point que commet régulièrement BHL, un autre sioniste ennemi déclaré de Nabe, connu (tout comme Nabe?) pour sa mégalomanie dévorante le poussant à jouer le Grand Écrivain Détesté. Nabe serait-il antisioniste comme il est anti-impérialiste? Serait-il antisinistre? BHL se prend explicitement pour l'avatar de Mauriac avec son Bloc-Notes sirupeux et promotionnel (notamment pour les sorties archimédiatisées du copain Lanzmann). Récemment, Le Point s'est signalé par un numéro ouvertement malthusien et antiafricain, fidèle à la ligne des intérêts financiers de la City de Londres, qui prônent l'écologie ultra-libérale pour créer un nouveau marché du carbone et du climat (dans lequel serait impliqué Pinault, via notamment la promotion de l'Admirable Artiste Artus Bertrand).
Tout ce cirque ne doit pas nous faire oublier l'essentiel littéraire. Désolé de me montrer cruel, mais Nabe est un mineur qui aurait rêvé d'être le Majeur d'homme de son temps, un mangeur d'âmes qui s'épanouit quand on l'acclame, à condition qu'il fanfaronne et crée des scandales. Nabe est au mieux un Bloy, certainement pas un Céline. Les représentants intellectuels de l'oligarchie sortent de leur chapeau ce genre de marginalisés et de contestataires au moment où leur système s'écroule comme un château de cartes. Ils espèrent ainsi prouver leur haute définition démocratique et leur acceptation de la dissidence virulente et radicale. Ils escomptent surtout sauver le système par la production de parangons anti-système pro.
Malheureusement, ce n'est pas par ce genre de jokers proches de la figure du desperado qu'ils parviendront à sauver leur peau condamnée et damnée. Aucun espoir de ranimer la flamme d'un mort pour l'ultra-libéral. Aucun espoir de ranimer la flamme d'un mot pour l'ultra-anarchiste. Du coup, Nabe qui triomphe actuellement avec son retour à la grâce médiatique (plus qu'à l'écriture), sa renaissance de phénix avant-gardiste, son coup révolutionnaire de l'antiédition et son verbe flamboyant, est promis au même destin funeste que le système qu'il est réputé exécrer et qui l'encense frénétiquement, par ses entrées les plus extrémistes (l'ultra-libéralisme) et institutionnelles (l'élite ultra française).

2 commentaires:

lezed a dit…

Koffi Cadjehoun est au mieux un Sartre et certainement pas un connétable des lettres !

Koffi Cadjehoun a dit…

Koffi Cadjehoun est Koffi Cadjehoun - personne d'autre. Quant à la remarque, je la prends comme un compliment : mieux vaut un Sartre de l'Être à un connétable des lettres.