vendredi 30 avril 2010

L'autre mode



Contrairement aux moqueries du philosophe immanentiste terminal Rosset, l'autre monde n'est pas la visée exclusive des altermondialistes et autres illusionnés de mouvements gauchistes fanatiques de l'alternatif et du sens de l'adjectif latin alter. Rosset fait référence à alter qui signifie l'autre. Pour un immanentiste, l'autre est le lieu de l'ailleurs, soit de l'illusion. Pour autant, rien n'indique que l'autre désigne l'inexistant.
Dans une interview au Point, un hebdomadaire ultra-libéral malthusien, Rosset (ami d'Enthoven Jr., figure médiatique de l'intelligentsia parisianiste germanopratine, dont le père conseille le Point, le petit monde de l'intellectualisme parisien de facture oligarchique et impérialiste recoupe la mentalité immanentiste) indique que "l’altermondialisme (...), confondant l’exigence et la radicalité, entend changer de monde, plus que changer le monde." Fort bien, sauf que si l'autre peut incarner la figure de l'introuvable, il ne prouve nullement que l'autre soit toujours l'illusion. Pourquoi quand bien même l'altermondialisme serait faux faudrait-il expliquer que la convocation de la figure de l'autre traduit l'illusionnisme? Pourquoi en termes assez amalgamants justement, amalgamer Platon et Bové?
L'immanentiste qui ici s'exprime explicite ce qu'est l'unicité du monde selon lui : un monde total dans la mesure où il est expurgé de son complément autre. Dans la dyade classique que développe Platon, pas de même sans autre. Eh bien, avec l'immanentiste radical qu'est Rosset, cette différence est abolie une bonne fois pour toutes : le monde devient unique avec l'exclusion de l'autre et l'omniprésence du même.
Ce n'est pas parce qu'on évacue le problème que le problème n'existe plus. Le problème du même et de l'autre tient dans l'incomplétude du même. Justement, la doctrine nihiliste se charge de résoudre le problème en décrétant que l'incomplet devient miraculeusement complet, voire ultra-complet, et que du coup cette complétude subite et inexpliquée décharge le même de son complet. L'autre n'a qu'à bien se tenir. Il devient le réceptacle exclusif de l'illusion, soit le bouc émissaire du tragique et du néant.
1) Un premier exemple vient à l'esprit quand on évoque la figure de l'illusion. C'est le recours à la drogue. Rien n'est plus illusoire que de se droguer. Rien n'est plus signifiant aussi. Car on se drogue moins pour échapper à ce monde que pour n'avoir plus à le supporter. Ce faisant, on montre ce qu'est l'illusion : c'est la figure de la destruction (dire que A est B). Loin de connoter un néant positif comme l'imagine le nihilisme (A serait A), l'illusion de la doctrine nihiliste est de croire que l'illusion existe vraiment. L'illusion existe peut-être vraiment, mais en tant que destruction, c'est-à-dire sous une autre forme que l'illusion tautologique.
Le recours illusoire (donc destructeur) à la drogue est typiquement nihiliste. Un nihiliste se drogue (en France, la drogue banalisée est l'alcool) pour oublier que le fondement de son réel repose sur le déni (déni de l'autre en terme transcendantaliste, de l'envers en terme néanthéiste) et sur l'erreur (la complétude du même n'en demeure pas moins incomplète).
L'usage de la drogue indique l'aspect purement négatif de l'ailleurs illusoire : le moyen de reconnaître que l'autre est illusoire, c'est qu'il n'a rien à proposer de positif. Aucune alternative, aucune innovation. C'est ainsi que l'effondrement spectaculaire en cours du libéralisme permet à certains nihilistes (comme de juste masqués) de passer pour progressistes en invoquant en guise de faux changements des alternatives impossibles (la marque du nihilisme). Cas du libertarisme et de l'invocation d'un Proudhon. Cas de l'anarchisme vantant l'individualisme exacerbé si proche des revendications de l'ultra-libéralisme en tant que prolongement linéaire du libéralisme dit classique.
Cas des nouveaux marxistes qui redécouvriraient Marx dans la mesure où leur lecture savante et experte se garde de préciser l'essentiel chez Marx : qu'il prétend dépasser le capitalisme à partir de la reprise des postulats libéraux de l'École britannique d'économie stipendiée par la Compagnie des Indes. Le cas de la drogue est répandu en Occident (et dans le restant du monde mondialiste) du fait que le monde que promeut et promet le libéralisme est un monde impossible et insupportable. Du coup, on se drogue pour sortir (fallacieusement) de ce monde.
C'est un phénomène qui touche particulièrement les jeunes, soit ceux qui aspirent le plus du fait de leur âge et de leur énergie au changement. Mais la drogue n'est pas une alternative : en se droguant, on s'illusionne, puisqu'on se détruit en lieu et place de saisir un ailleurs positif (existant). L'usage de la drogue renvoie au nihilisme du libéralisme. A noter que le suivi des circuits de la drogue laisse apparaître qu'en définitive le système libéral est si corrompu et hypocrite que ce sont les grands circuits bancaires dominant le marché libéral qui recyclent l'argent de la drogue et qui profitent le plus d'une manne qu'ils dénoncent officiellement comme illégale et dangereuse.
2) Les décroissants : cette nouvelle idéologie (éphémère et peu cohérente) qui voudrait allier l'écologie malthusienne et le progressisme (dans son expression individualiste, plus collectiviste) ne reprend pas seulement la figure nihiliste de l'impossible; elle recoupe les catégories que met en valeur la drogue : la destruction et le négatif pur. Elle détruirait implacablement si elle était mise en œuvre à partir du moment où l'on comprend qu'une décroissance harmonieuse est un oxymore et que la décroissance effective ne peut déboucher que sur la justification de l'impérialisme le plus impitoyable, avec en corolaire la destruction démographique et industrielle croissante et hideuse. La négativité de la croissance se manifeste par son suffixe privatif, qui la caractérise plus qu'un pompeux programme (négativité = destruction).
3) Les supports médiatiques sont tout autant que la drogue ou la décroissance des produits du libéralisme britannique. Ils se déclinent sous la forme des foisonnants et évolutifs types de médias utilisant la technologie pour propager leur sous-culture de masse (jeux vidéos/plateformes d'échanges Internet/télévision...), à ceci près que leur développement technique pourrait signifier avec l'innovation Internet l'invention imprévue (voire imprévisible) d'une forme d'expression qui va détruire son géniteur (Internet détruisant le père/inspirateur libéral), un peu comme la créateur monstrueuse façonnée par Frankenstein se retourne contre son créateur et signifie sa perte (à ceci près que la créature cherche plus à détruire son créateur dans un cycle fermé et vicieux qu'à s'émanciper de lui et à façonner une indépendance novatrice qui évoquerait le mystère de la fractale, avec la possibilité supplémentaire de sortir de la figure donnée).
Les médias sont les caisses de résonance du système dominant immanentiste, reprenant dans leur étymologie le sens du médium, du porte-parole de nature mystique. Les médias occidentaux pratiquent avec mimétisme et servilité la réduction de la pensée à l'objectivité de l'expert ou du journaliste (deux cas d'école pour l'esprit critqiue dévoyé). Les médias présentent le même fonctionnement que les instances qu'ils représentent, soit les institutions politiques occidentales de facture libérale et immanentiste.
4) On pourrait multiplier les exemples du même tonneau qui toujours illustrent l'expression générique d'une certaine esthétique, de l'esthétique immanentiste, avec par exemple dans le rôle de l'acmé la pornographie (pure répétition mécanique du sens réduit à l'échange sexuel bestial et stupide). Ou encore le sport réputé modèle de la santé et de la jeunesse, alors qu'il est le lieu archétypal de la triche, de la dope et de la domination décérébrée et absurde (au sens schopenhauerien où la volonté aveugle prime sur la finalité d'un quelconque sens général). Toutes valeurs hypocrites mas effectives du monde immanentiste occidental.
Bien qu'on puisse développer, il convient de rendre les conclusions. Le diagnostic de Rosset est lucide, à cette petite exception près qu'il est dans le même temps tout à fait pervers. Lucide : il s'agit bien de changer de monde plus que de changer le monde. Pervers : dans un retournement du sens littéral et monstrueux, Rosset s'en prend à un faux objet d'étude, à un faux ennemi, l'altermondialisme incarnant à ses yeux l'illusionnisme politique de nature gauchiste.
Sans doute Rosset a-t-il raison sur ces mouvements qui pour ne faire que la moitié du chemin (dénoncer la mondialisation libérale) font le jeu de ceux qu'ils attaquent (les spéculateurs mondialisés regroupés autour de la City de Londres). Mais ces mouvements ne sont jamais que le complément minoritaire ou la partie émergée qui cache le véritable objet dénié ou immergé - le vrai illusionné de l'autre monde : le libéralisme, soit l'idéologisé majoritaire de l'Occident dominant. Non seulement Rosset se trompe de cible, mais il ne voit pas que la critique qu'il formule contre l'illusion n'est valable que si elle se porte contre le réel que Rosset défend de manière partisane et aveuglée. Toute critique véritable ramène au libéralisme. Rosset réfute le changement parce que le changement implique l'abandon du libéralisme impérialiste.
De ce point de vue, Rosset est un impérialiste typique, dont l'engagement en faveur du libéralisme britannique recoupe la démarche immanentisme héritée de Spinoza et Nietzsche. Pis, Rosset défend le point de vue qu'il devrait critiquer selon les propres termes de sa critique. Selon sa critique de l'illusion, il devrait critiquer l'illusionnisme majoritaire qui s'attache à la démarche du libéralisme et de sa fameuse et branlante main invisible. Il est vrai que Rosset manifeste un jugement si perverti qu'il ne peut que retourner le sens et prenant les vessies pour des lanternes retourner l'objet d'étude à la manière d'un iceberg. Le majoritaire devient invisible, quand le minoritaire devient le dominant.
Le libéralisme devient le postulat échappant à la critique quand l'objet d'étude qui devrait justement être le libéralisme devient l'illusoire altermondialisme. Rosset montre l'erreur de perspective de l'immanentisme. L'illusion n'est pas la convocation d'un monde qui n'existe pas, mais d'un monde qui pour détruire existe bel et bien. On prend le dérisoire pour l'illusion majoritaire quand le véritable illusoire étant mal défini n'est ni vu ni pris. L'erreur de prisme de l'immanentisme, qui pousse les représentants Rosset et son pygmalion Enthoven Jr. à estimer que le vert est rouge, est de ce point de vue aussi complète qu'incurable. Complète : prendre le néant pour l'illusion. Incurable : on ne peut pas guérir un bien-portant.

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