dimanche 25 avril 2010

Théorie du KO

Dans le numéro 1005 du 4 au 10 février 2010 du Courrier international, nous trouvons à la page 48 un extrait d'un article issu de Newsweek dont le titre est "Quand les économistes revoient leurs copies". Après s'être plantés sur toute la ligne, nos brillants académistes de la théorie économique feraient en effet bien de revoir leurs fondements - et leurs classiques. A la question : "Pourquoi la plupart des économistes les plus prestigieux du monde n'ont-ils pas vu venir la crise financière?", des esprits épris de prix répondraient : parce que les postulats, les fondements, les axiomes de l'économie officielle sont faux. Stop à la finance fausse. Stock de la finance folle?
La réponse trop apprise est : puisque la théorie de la main invisible s'est volatilisée, il reste à la perfectionner. Perfectionner l'imperfection? Admirez la colique logique. Pour faire sortir le vrai du faux, il convient non de quitter le domaine du faux (le monétarisme libéral) en définissant ses erreurs, mais de partir du faux pour trouver le vrai. A ce compte, décompte des combles, on ne peut déduire du faux - que du faux, surtout dans un schéma mécaniste, figé, fini - héritage aristotélicien.
La preuve : on promet désormais, suite à la faillite de l'idéologie libérale conservatrice d'un Shultz (l'un des négociateurs du découplage or/dollar de 1971, du coup d'État chilien du 11 septembre 1973 - ou l'inspirateur de l'administration W. puis du gouverneur de Californie Schwarzenegger), la succession du réalisme progressiste (admirez le dévoiement du réel et du progrès), dont la spécialité est :
a) d'annoncer que les marchés ne sont pas si fiables que cela (quelle découverte nobellisée, mes aïeux!);
b) de marier l'économie avec une myriade et quelques kyrielles de disciplines scientifiques comme la biologie évolutive, la biologie cellulaire, l'alliage impérial de Smith et Darwin, la neurologie (les théories du comportementalisme neuroéconomique), les écoles keynésiennes, chacune si différente des autres qu'elles sortent toutes du giron impérial britannique, en particulier de la London School of Economics ou de Cambridge.
L'article conclut de la plus absurde (au sens schopenhauerien) des manières :
1- "L'irrationalité peut et doit être étudiée et modélisée mathématiquement. "
2- Rien n'est juste (selon Richard Thaler, un fameux neuroéconomiste).
3- "Ce qui en sortira au final sera vraisemblablement plus exact - et moins rationnel - que ce qui a précédé".
Outre l'apologie débridée de l'irrationalisme, le rationalisme qui se trouve ici opposé à l'irrationalisme est fort spécieux, en ce que tous deux s'opposent sans sortir du même système nihiliste dans lequel la raison désigne la domination rationnelle sur un univers fini - l'irraison le chaos antagoniste et infini.
On peut commencer par se gausser de l'éventualité 1 - définir l'irrationnel : hypothèse pour le moins impossible. Impossible en effet que de rationaliser l'irrationnel. Proposition aberrante, contradictoire et surtout comique, qui indique face au système qui s'effondre le vertige des journalistes, incapables de pondre une solution autre que de légitimer la chute.
Mais définir le rationnel est une proposition tout aussi drolatique : on aboutit à des énoncés lourdement tautologiques - possiblement impossibles.
Quand on passe de l'apologie de la rationalité à l'apologie de l'irrationalité à propos du même objet, concernant ces marchés de dupes, on se situe dans le raisonnement nihiliste avec une dégradation du processus, soit une gradation de la destruction.
Dans une phase précédente, l'impérialisme nihiliste fonctionnait encore sur le mode de la loi du plus fort.
En termes économiques, cette phase ontologique correspond à la soi-disant rationalité expansive des marchés, qui consiste à observer que face au néant antagoniste coexiste et subsiste un ordre tenu pour le réel (selon les mots de Rosset l'immanentiste terminal qui croit qu'en fondant sa philosophie à partir du réel il exprime un réalisme admirable et supérieur.)
Avec la dégradation de l'ordre soi-disant rationnel (ordre fini, oraison de la raison), dégradation prévisible et inévitable dans le schéma nihiliste de type babylonien (aristotélicien), l'irrationnel surgit tel un facteur inexplicable et croissant. L'irrationnel gagne du terrain signifie : le chaos/néant/violence gagne du terrain. On reconnaît l'impéritie du processus nihiliste, dont le terme est la destruction (le néant).
Oser avancer qu'on va rationaliser l'irrationnel est aussi illogique, stupide et aberrant que d'affirmer que l'on va justifier l'injustifiable ou rendre possible le possible. C'est une contradiction dans les termes, vouée à l'échec irréfragable.
Cet article qui relate la tenue de la conférence annuelle de l'American Economic Association, réunissant les huiles les plus primées de l'économie officielle, est aussi un formidable manifeste de l'impuissance qui saisit les thuriféraires du système actuel face au destin programmatique de tout nihilisme, aussi subtil soit-il. Force est de constater que les plus prestigieux des économistes primés sont pour l'heure des partisans de l'irrationalisme travesti en rationalisme. Le rationalisme exprime de manière savante et séduisante l'apologie de la possibilité de l'impérialisme. L'irrationalisme est la reconnaissance de l'impossibilité sur le terme de l'impérialisme rationaliste. Le retour forclusif du néant. C'est aussi la reconnaissance (inquiétante quoique replète) que le néant gagne du terrain, l'aveu que l'ordre en place (d'obédience nihiliste) est voué à disparaître.
Que des journalistes puissent répéter sans tiquer de pareilles âneries concernant la possibilité mathématique de modéliser en algèbre rationnelle l'irrationnel est assez inquiétant sur l'état de décrépitude avancée du niveau intellectuel des soi-disant élites mondialisées. En réalité, l'esprit a disparu en même temps que le monétarisme irrationnel gagnait du terrain. C'est un processus tout à fait complémentaire. Les journalistes se méfient au nom de leur déontologie objective de tout jugement. Les journalistes sont les symboles avancés de cette conception terminale de la pensée, selon laquelle moins on juge - et plus l'on pense.
En réalité, moins on juge, plus on dépense - on pense mal. Plus l'on accrédite la conception d'une pensée figée et sclérosée, consistant à répéter de plus en plus à mesure que le temps passe et que l'ordre se dégrade. Plus l'ordre se dégrade, plus il est connu. Les journalistes sont les symboles de la pensée dans la mesure où la pensée se trouve en phase terminale, comme une maladie incurable qui a gangréné l'ensemble du corps et qui signe la mort inéluctable du patient (n'en déplaise aux espoirs et aux dénis de la famille en état de choc).
C'est ainsi que l'on en arrive à des inepties comme cette chimère jugeant envisageable de rationaliser l'irrationnel, émanant du cercle des experts et relayés par la meute des journalistes, tous croquemorts de la pensée. Pas la pensée en tant que telle. La pensée de notre ordre, l'immanentisme, qui en quelques siècles a réussi l'exploit de mettre à bas la culture humaine en la poussant au plus haut point de sa démesure babylonienne et babellienne. (la promotion de la mondialisation mondialiste). L'achèvement du projet immanentiste est achèvement dans tous les sens du terme : le couronnement (de l'entreprise nihiliste); mais aussi le terme de couronnement (dans le néant et le chaos).
Qu'il reste malgré cette œuvre de destruction généralisée la possibilité de penser et d'agir est pour le moins positif. Cette permanence, même au plus haut degré de destruction, indique la faillite du nihilisme qui ne parvient jamais au stade de l'anéantissement, mais qui constitue le stade transitoire pour instaurer le changement d'importance dont l'homme a tant besoin. Peut-être que les historiens de l'avenir en considérant notre sombre époque de crise systémique généralisée et terminale oseront qu'il aura fallu la menace de la mondialisation mondialiste (Babel version 2) pour que l'homme reparte du bon pied, qu'il conquière l'espace et qu'il trouve l'énergie de changer. Changer de sens. Changer de condition. Changer d'espèces?

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