dimanche 1 août 2010

Grandeur et décroissance des courtisans

http://www.egaliteetreconciliation.fr/Dehors-les-comiques-3815.html

Dans cet article qui se voudrait une juste attaque contre les autoproclamés comiques, on part du bon sens et l'on en arrive aux délires. Le bon sens : nous nous trouvons dans une crise systémique dont on ne pourra sortir que par le changement (adjonction de nouvelles idées à celles actuelles, obsolètes, sclérosées, voire discréditées). Les délires : la promotion du nationalisme via les éloges amphigouriques de l'Iranien Ahmadinejad et du Vénézuélien Chavez. Il est vrai que Soral est un penseur du nationalisme le plus progressiste, voire avant-gardiste, au point qu'il se targue de prôner une forme de néo-nationalisme ou d'alter-nationalisme. Il a fondé une association qui milite pour la réconciliation des valeurs de droite et de gauche au sein de l'extrême-droite.
Le sujet central de ce billet soralesque réside dans la réfutation du genre comique incarné par le cultissime Coluche (figure célèbre pour un demi siècle) et, depuis, par la flopée de suiveurs mineurs dont les sujets de prédilection se bornent aux thèmes sociétaux assez neutres, dépolitisés et rebattus (les travestis, les homosexuels, les blondes...). La mode suicidaire de l'époque (la dépolitisation en tant que désertion) pousse la plupart des gens à adorer les comiques comme des boussoles intellectuelles, en particulier ce Coluche au fond trivial, qui exprime plus la vulgarité de l'époque qu'il ne verse dans la vulgarité comique.
Mais ce papier bienvenu et à contre-courant (quelle est cette époque qui révère des médiocres creux et sinistres?) commence à se fendre d'erreurs grossières avec l'apologie du nationalisme. Proposer le nationalisme (sous quelque forme que ce soit) pour parer aux problèmes actuels d'ordre systémique, c'est comme proposer un poison encore plus violent pour soigner un malade mortellement atteint.
Mais ne revenons pas sur le vice de pensée d'un Alain Soral : en gros, proposer plus de destruction pour parer à la destruction constatée - ou plus de violence pour endiguer la violence dénoncée. Sa diatribe contre les comiques (sur le fond fort juste) se fissure quand notre contestataire ose soutenir que le comique Dieudonné serait quant à lui, à la différence des autres, un artiste majeur appelé à rejoindre toutes affaires cessantes notre panthéon inoubliable de grands hommes français.
Couac. Soral oublie de mentionner que comme par hasard Dieudonné compte parmi ses amis, ce qui constitue un éloge des plus suspects. Mais surtout comparer Dieudonné au grand écrivain François Villon (si c'est bien de lui qu'il s'agit) manifeste un manque de goût assez détonnant. Quels que soient ses mérites au comique, Dieudonné reste un comique. Ce n'est pas parce que ce comique aurait défendu d'une manière fort alambiquée Le Pen ou rendu visite à un stand du Front National qu'il vaut soudain mieux que quelques autres du même tonneau. Soral manifeste sans doute une mauvaise foi des plus critiquables.
Là n'est pas le pire de la part de quelqu'un qui assimile le grand Villon avec un obscur écrivain anarchiste justement oublié par la mémoire littéraire. Cette salutaire amnésie sera fort probablement son cas, comme c'est l'échéance qui attend son complice littéraire d'obédience ultraanarchiste Nabe. Mais il y a encore pire. Soral a décidé avant de resservir un extrait de son indémodable abécédaire de dresser l'apologie inconditionnelle de la décroissance! Cette fois, le masque tombe.
Notre brillant analyste se lance dans une critique des comiques qui serviraient d'autant plus le système qu'ils dénoncent (constat lucide) que cette critique se retourne en premier lieu contre lui-même : le secret de ces nationalistes avant-gardistes qui se présentent avec fougue et enthousiasme contre le système dominant actuel (du libéralisme de plus en plus ultra), c'est qu'ils servent le système qu'ils dénoncent. Le servent-ils explicitement ou sciemment? Nullement. Ils se chargent de reprendre les idées les plus contestataires et radicales à condition que ces idées restent bien sagement dans le moule systémique soi-disant honni.
Ainsi de Soral et de sa décroissance. Il est hallucinant qu'un intellectuel engagé en politique se présente comme opposé au système (politique surtout) dominant et qu'en fait il révèle par son choix en profondeur qu'il ne s'y oppose qu'en superficie. Verdict : la mouvance alter-nationaliste d'un Soral s'oppose d'autant plus au système en place qu'elle souscrit à ses postulats fondamentaux. C'est tout à fait fâcheux pour un mouvement qui pourrait trouver une certaine crédibilité au moment où le système en s'effondrant perd justement de sa crédibilité.
Qu'est-ce que la décroissance? C'est la solution terminale du système libéral qui s'effondre. Qu'est-ce que le nationalisme? Contrairement à une certaine idée couramment admise pour tenter de sauver le système libéral (peine perdue et éperdue), le nationalisme (et ses formes dérivées comme les fascismes historiques) n'est pas l'antithèse du libéralisme (ou une forme incompatible et antagoniste). C'en est une extension terminale, quand le système libéral qui est voué à l'effondrement est sur le point de s'effondrer.
Du coup, aucun débat ne peut avoir lieu car dès qu'on essaye de trouver des solutions qui ne correspondent à l'un des deux partis en place, le conservateur de plus en plus virulent et le progressiste de plus en plus récupéré, l'on se trouve violemment contredit, quand ce n'est pas par les deux partis en même temps. C'est alors que les solutions nationalistes peuvent s'avancer comme des possibilités d'alternative crédible. C'est ce qui s'est produit avec le cas historique de Heidegger. En France notamment, on éprouve les pires difficultés à ne pas osciller entre deux extrêmes : soit l'heideggerrisme idolâtre, soit l'antiheideggerrisme viscéral et passionnel.
Pourtant, il ne me semble pas inexplicable d'analyser le comportement d'un Heidegger, dont il est intéressant de souligner qu'il était l'un de esprits les plus brillants de son époque. Comment cet esprit si brillant (et il ne fut pas le seul, tant s'en faut) a pu adhérer à une idéologie non seulement fausse (car l'on peut se tromper), mais propageant une vulgate violente, simpliste, raciste et confusionnelle (pour ne pas dire stupide quand on lit par exemple Mein Kampf)? Soit l'on répond par l'incompréhensible, soit l'on comprend que le nazisme (comme sous-forme exacerbée du fascisme et du nationalisme) est un prolongement par temps de crise du libéralisme.
Heidegger a vu tel un mauvais voyant que le libéralisme était une idéologie nihiliste, menant à l'anéantissement inéluctable de ses thuriféraires. Du coup, pour parer à ce nihilisme que Nietzsche avait annoncé, Heidegger a opté pour l'accomplissement cataclysmique et apocalyptique du nazisme. Même pour un temps. Heidegger a refusé jusqu'à la fin de ses jours de reconnaître une erreur (le nazisme) qui est trop énorme pour ne pas être remarquée.
C'est qu'il se trouvait totalement désespéré (abasourdi) par l'échec du nazisme et l'absence d'alternative qu'il lui laissait : Heidegger après le nazisme ne veut plus évoquer un sujet qui est pourtant capital pour lui. Trop douloureux. Il est morose et s'enferme dans le mutisme. C'est qu'il ne distingue plus d'autre issue que le naufrage. L'issue programmatique qui attend le nihilisme n'est autre que le néant. Nietzsche s'était déjà distingué par sa curieuse propension (d'expression maniaque) consistant à opérer une distinction diabolique entre ce que l'on projette négativement et ce que l'on propose positivement (en opposition).
En gros, Nietzsche propose contre le nihilisme le nihilisme. Peut-être est-ce la raison métaphysique de son effondrement physique final. Le nihilisme l'aura mené vers l'anéantissement de son identité d'homme. Nietzsche duplique entre la solution qu'il propose (la mutation ontologique dans ce réel) et le nihilisme qu'il entrevoit dans l'avenir (et qui correspond plus encore au libéralisme qu'au communisme). Heidegger admire tellement l'œuvre de Nietzsche qu'il en fait l'un des maîtres de son dépassement de la métaphysique par le retour à une ontologie que lui-même finira par incarner (toujours la modestie proto-hégélienne à l'ouvrage...).
Mais Heidegger a souscrit au projet nietzschéen, au point que dans son aveuglement empressé (sa naïveté intellectuelle?), il identifie (amalgame) le projet ontologique de Nietzsche avec le projet politique des nazis. Les commentateurs libéraux (qu'ils soient marxistes ou non) et académiques s'empresseront de pousser des cris d'orfraie en distinguant pompeusement entre Nietzsche et les nazis. Nietzsche n'était pas nazi, la preuve : il était virulemment contre les antisémites (terme impropre).
C'est vrai, mais - le fait que Nietzsche ne soit pas nazi n'empêche nullement Nietzsche d'être nihiliste. Et les nazis sont nihilistes (primates). A la limite, on peut dire que le nazisme est une réaction (au sens nietzschéen) englobée dans le nihilisme que Nietzsche prévoit - sans remarquer que l'alternative qu'il propose contre le nihilisme nazi est du nihilisme par excellence. Du nihilisme ontologique. Le déni porte le nom du masque. Heidegger a tenté de trouver une identification politique au nietzschéisme et les commentateurs (encore eux) éprouveront les pires peines à expliquer que Heidegger (que par ailleurs ils révèrent le plus souvent) a lui aussi amalgamé Nietzsche et nazisme.
Cette propension est-elle seule coïncidence? En tout cas, le désespoir de Heidegger après l'échec irrémédiable et définitif du nazisme indique qu'il ne conçoit pas d'autres alternatives et qu'il est contraint piteux d'avouer son échec : il s'est trompé sur le nazisme salvateur et régénérateur (un mythe d'avant-guerre) et il ne possède aucune solution de rechange. Du coup, il comprend que le nihilisme qu'il discernait dans le libéralisme (et le communisme) triomphera, mais pas de manière définitive (à la manière d'un Fukuyama), mais de manière destructrice et suicidaire (le triomphe précédant de peu l'enterrement).
Cette constante quasi physique : nazisme = fin du libéralisme (au sens où la fin signifie l'extrême) est à appliquer à la décroissance. Il convient de préciser en préambule que les formes historiques reviennent en fonction des principes, mais qu'elles ne reviennent pas de manière identique. En conséquence, le fascisme historique ne revient pas sous des formes proches des fascismes européens par exemple. Il revient sous de nouveaux avatars contenant les mêmes principes.
Ces principes sont : l'effondrement du libéralisme; la violence comme solution aux problèmes; le racisme et son moteur la haine - de l'homme; le nationalisme, dont l'idée de domination satisfait l'impérialisme mais s'accommode d'arrangements souvent hypocrites entre les différents nationalismes (ce qui implique que l'alter-nationalisme ne diffère guère quant au fond du nationalisme d'un Maurras ou de devanciers comme de Maistre).
Si l'on regarde, nous nous situons dans un effondrement du libéralisme plus violent encore qu'avant la Seconde guerre mondiale - le processus ayant été poursuivi dans sa course folle vers l'abîme. Par ailleurs, si la décroissance n'est pas un mouvement nationaliste, mais un mouvement né dans des cercles de gauche, voire d'extrême-gauche, il convient de remarquer que la décroissance se fonde sur le postulat erroné selon lequel le monde est fini et que la décroissance est bien la solution idéale et postlibérale aux problèmes du libéralisme terminal.
Dans un schéma théorique, la décroissance permet de résoudre la crise du libéralisme en diminuant de manière harmonieuse la croissance des capitaux afin de respecter les limites de la Terre indépassable - en particulier les ressources naturelles (préoccupation écologique). Outre que c'est nier la faculté humaine à changer et à innover, outre que c'est nier l'infinité du réel, la décroissance idéale cache en fait la légitimation abominable de l'impérialisme, puisque l'idéal de la décroissance harmonieuse existe encore moins que l'idéal des sociétés de type marxien.
C'est ici que l'on comprend pourquoi les mouvements nationalistes peinturlurés en avatars avant-gardistes se sont emparés de la décroissance : tous deux sont dans le fond des idéologies au service de l'impérialisme. Le nationalisme est au service de l'impérialisme en ce qu'il encourage une certaine domination (quand bien même cette domination est de type national, politique et non économique), quand la décroissance est au service de l'impérialisme en ce que la redistribution des richesses qu'elle propose se faisant à l'aune de l'adaptation aux limites écologiques ne peut que favoriser encore davantage les actuels nantis (en premier lieu l'impérialisme occidental de facture britannique).
La revendication (récupération?) de la décroissance par certains courants nationalistes trahit leur véritable appartenance : ils sont certes des cercles aux franges du système, mais ils servent le système qu'ils prétendent combattre. Si cette revendication nationaliste de la décroissance devait pousser à réfléchir sur la réelle identité de cette décroissance, la question de savoir qui revendique cette décroissance suffit aussi à discréditer le nationalisme soi-disant anti-système.
Car les principaux soutiens à la décroissance ne se trouvent pas dans les rangs gauchistes de l'écologie malthusienne, mais bel et bien, scandale des scandales, dans l'ultra-libéralisme financier et monétariste. Telle est la véritable identité de la décroissance - contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire avec la cohorte des intellectuels de gauche prestigieux et labellisés. Tel est aussi le véritable maître du nationalisme, l'ultra-libéralisme - ce qui suffit à indiquer que des porte-voix comme Soral ne sont pas du tout des contestataires qui proposent un changement rendu nécessaire par la faillite du système, mais de la violence légitimant la faillite du système.
Récemment, en parcourant la Toile, je suis tombé sur un débat entre Alain de Benoist et un économiste portant sur le thème de la décroissance. Soral admire beaucoup Benoist et l'identité de Benoist est frappante. Au départ, c'est un idéologue qui relève de mouvances d'extrême-droite que l'on qualifiera de païennes et occidentaliste (comme le GRECE). On peut fort bien, au vu de leurs productions et de leur héritage, les rapprocher de circuits fascistes, avec une connotation intellectualiste assez forte. Depuis quelques années, Benoist se réclame de plus en plus d'une certaine gauche, ce qui est le parcours de nombreux politiciens et intellectuels de l'extrême-droite.
Ce brouillage des cartes (dont participe le nationaliste-marxiste Soral) s'explique certes par le fait que la gauche historique (celle d'un bon siècle) a perdu de la netteté dans ses positions, ce qu'illustre le parcours d'un Mitterrand. Pas seulement. Soral vient de la gauche communiste et illustre le rapprochement frappant entre gauche et droite alors que le système qui les contient s'effondre : cette unification loin de signifier la progression vers la perfection (l'Un) atteste au contraire de la dégénérescence du système, qui en s'effondrant perd de plus en plus de ses facultés de divergence et se réduit comme peau de chagrin.
Dans ce processus d'autodestruction, le parcours de ces nationalistes qui oscillent désormais entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite, en passant par le centre, ne signifie nullement que ces nationalistes ont évolué et ont abandonné leurs prétentions aux revendications extrémistes et violentes. Au contraire, ils trouvent un accommodement dans certaines valeurs de gauche. On pourrait également remarquer que le national-socialisme, mélange tout à fait incohérent de nationalisme et de socialisme, de gauche et de droite si l'on veut, surgit suite à la crise libérale des années d'avant-guerre et produit déjà ce curieux mélange des contraires au sein d'une doctrine si violente qu'elle en est désaxée.
Dans cette alliance inattendue, mais nullement exceptionnelle, entre nationalisme et décroissance, telle que la revendique Soral ou son compère Benoist, tant le nationalisme que la décroissance se démasquent : ils travaillent pour ce qu'ils prétendent combattre avec le plus d'acharnement, le libéralisme, ce qui indique qu'ils sont soit hypocrites, soit incohérents (sans doute des deux). Il est vrai que la forme dominante actuelle du libéralisme a suivi le processus d'extrémisation de toute forme (politique ou non) qui incohérente se dirige vers la destruction et l'anéantissement : c'est désormais l'ultra-libéralisme qui règne, soit une forme extrême et virulente de libéralisme (promue notamment par Hayek, von Mises et leurs disciples).
Dans ce jeu de dupes, si la décroissance est l'adaptation du malthusianisme correspondant à l'effondrement du système libéral unique et globalisé, le nationalisme a historiquement promu le libéralisme le plus virulent, le plus soumis aux forces du monétarisme. Le fascisme de Mussolini était au départ en accointance avec le libéralisme et jusqu'à son effondrement se trouva soutenu par les forces vénitiennes (déjà reconverties à la City de Londres). Il ne sera besoin que de citer pour ce haut fait le comte Volpi di Misurata, dont le surnom était le dernier doge de Venise. Un oligarque fasciste ou libéral. En ce moment, il se pourrait que d'autres soient les derniers ducs de Londres et que les plus opposants à l'impérialisme américain et à l'orthodoxie ultra-libérale associée (selon eux) en soient les inavouables défenseurs.

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