vendredi 6 septembre 2013

Tranches de réalité

Comment se fait-il que l’organisation d’un complot s’effectue selon des associations et des complicités venant de groupes qui ne se sont pas entendus explicitement entre eux (ou alors de manière minoritaire)? Quelle logique suivent-ils si ce n’est la concertation de nature consciente? Comment dans le 911 expliquer que des groupuscules militaires d’extrême-droite aient collaboré avec des circuits financiers d’un point de vue délibéré (conscient)? Constat : les alliances troublantes que suppose un complot d’importance, surtout s’il s’agit d’un complot d’Etat, s’effectuent sur un mode qui n’est pas délibéré, prémédité. Mais alors, sur quoi repose la connivence?


Le mimétisme n'est pas conscient. Comme il faut un niveau de conscience inférieur qui s'exprime dans l'inconscience, ce niveau est utilitariste (utilité matérielle), quand le mimétisme lui est supérieur, au sens où il relève de l'irrationalisme, selon lequel le rationalisme n'est qu'une variété fort rare de l'irrationalisme, produite par la contradiction comme lieu de l'équilibre, lieu au sens de porte étroite et singulière où il existe un équilibre dans la contradiction. L'utilitarisme s'insère dans l'irrationalisme. Le fondement explicatif de l'irrationalisme et du mimétique réside dès lors dans le mythe de la stabilité, selon lequel le schéma déployé accroît l'instabilité en lieu et place de la stabilité recherchée (et d'autant plus que la demande surgit en période de crise, d'instabilité, voire de chaos).


Ami lecteur, je recherche une explication au complot qui n’exprime pas la dégénérescence du complotisme. La faille du complotisme rigoureux (à ne pas confondre avec celui propagandiste) consiste à expliquer le fonctionnement du social par le désir conscient. Les désirs complets sont omniscients, capables d’agir sur la réalité et de la transformer à leur guise. Une première contradiction : comment expliquer que nos désirs dominants modèlent le social s'ils sont obligés d’intenter des complots? Parce qu’ils maîtrisent le social, pas le réel? Parce qu’ils reconnaissent que le social n’est pas le réel? Parce qu’ils estiment que le complot constitue le correctif qui leur permettra de résoudre l’inadéquation entre le social et le réel? Qu’est-ce que le complot s’il peut résoudre cette inadéquation? Le complot serait-il la reconnaissance que l’insuffisance du désir sur le réel provient d’un manque en mal? Faut-il nuire et détruire pour dominer? Qu’est-ce que ce réel qui aurait besoin de détruire pour se perpétuer? Serait-ce que le réel est constitué du couple antinomique être/non-être et que le réel pour perdurer éprouverait le besoin de détruire? Mais alors, qu’est-ce que la texture du réel s’il repose sur un mode d’organisation diabolique et destructeur? Quel rôle accorder au complot? Comment se fait-il que le réel soit expliqué par le hasard (anti-explication qui veut tout et rien dire, puisqu’elle repose sur l’indéfinition)? Le complotisme est une interprétation relevant de l’immanentisme, et de catégorie inférieure, qui estime que le désir est mauvais, et peut exercer sa puissance sur le social, selon une influence plus importante que l’individuel. Cette puissance n’est-elle pas toute-puissance aux yeux du complotisme, puisque les complots sont destinés à réussir et les comploteurs à dominer par le recours aux complots. 
Une deuxième contradiction, plus générale : comment peut-on estimer que le complot découlerait d’une intention claire, exprimée par plusieurs individus, à l'intérieur d’un groupe, d’une faction? Comment croire que la structure d’un complot pourrait fonctionner de cette manière rare, alors que le complot effectué, ses dégâts se révèlent si impressionnants pour l’environnement? Exemple : si le 911 fut l'oeuvre d’une faction, comment expliquer que le restant des institutions aux États-Unis, en Europe, en Russie, en Chine, et partout dans le monde, soit resté les bras ballants à couvrir ce crime? D’autres factions rivales hésiteraient-elles à dégommer une faction comploteuse, rivale et source de danger, sachant que l’oligarchie se décline au pluriel, que les oligarchies sont férocement antagonistes, prêtes à tout pour détruire le pouvoir de concurrents potentiels, contrairement à l’image d’Epinal d’obédience complotiste, qui tendrait à faire accroire que l’oligarchie est un petit groupe qui domine de manière irrationnelle et surnaturelle (d’où les reptiliens?), au point de perpétuer sa domination sur plusieurs siècles et avec des ententes fonctionnelles et efficaces entre des clans (comme les Rockefeller et Rothschild, sur fond d’entente entre le sionisme et les WASP)?
Cette vision obéit à des schémas contradictoires, simplistes, inapplicables. Les oligarchies seraient à comparer aux caïmans dans un marigot, peut-être prêts à s’allier pour une entreprise, mais tout autant prêts à toutes les vengeances en cas de concurrence, y compris de trahisons. Dans cette mentalité, seul compte le résultat. Pour autant, si la crise fait apparaître des mentalités dégénérées comme le complotisme (ou le millénarisme, une explication qui recoupe le complotisme), c’est qu’il existe un principe à l’oeuvre derrière le complotisme, derrière l’apparition des complots, et qui ne dépend pas d’une faculté de conscience (que ce soient la volonté ou le désir). Le mécanisme reste à subsumer, ce qui contredit l’idée selon laquelle une théorie nouvelle naît de ce qui n’est pas vu, mais qui existe et est visible à condition que l’on y accorde de l’attention. Au contraire, le complotisme comme tentative théorique inconsistante signale que le caché existe. Le théorique consiste autant à s’attaquer au visible non vu qu’au caché; la tâche de la pensée s'attacherait à subsumer le caché, comme l’y invite l’enversion.
Il faudrait identifier la faculté qui produit les complots de manière non consciente, je n’emploie pas inconscient, du fait de sa connotation psychanalytique, contre laquelle s’oppose ma tentative de théorie, qui s’intéresse à l’infini et qui cherche à sortir du piège du domaine complet (dont l’inconscient, le désir...). Ce ne peut être ce qui manifeste l'intentionnalité directe, comme c’est le cas de la volonté ou du désir. L’intelligence renvoie à des formes de conduite assez variées. J’avais proposé, sur le modèle de Girard, le mimétisme. L’intelligence mimétique serait une intelligence inférieure à l’intelligence créatrice, mais relèverait de l’intelligence. Le mimétisme présentait l’avantage d’être un mécanisme comportemental et réflexif aussi courant qu’inconscient. Seule faiblesse, de taille : le mimétisme étant un mécanisme, il n’est actionné par personne. 
C’est la faille du désir de ne pas proposer d’auteur à sa démarche, ce qui recoupe le mythe du hasard fondateur : ne pas expliquer le surgissement des choses, ce qui impliquerait que le raisonnement humain ne puisse comprendre le fonctionnement du réel et que l’irrationalisme soit la seule issue, par dépit. La justification au choix du rationalisme contre l’irrationalisme, de l’explication sur l’obscurantisme (inexplicable) réside dans deux constats : l’homme perdure et le réel fonctionne. Sans expliquer, on constate? Le rationalisme serait adossé sur le postulat, sur la pensée axiomatique? Cette pérennité du réel couplée à celle de l’homme rend difficile l’hypothèse de l’inexplicable fondamental. La preuve que la connaissance est possible tient à l'absence d’omniscience et la connaissance en progrès : si le réel n’était pas connaissable, l’homme connaîtrait tout ce qu’il a connaître tout de suite (le modèle métaphysique implique un progrès de la connaissance fini, qui rejoint cette conception, du fait que la connaissance une fois achevée, le réel demeure englué dans sa fixation inconnaissable et irrationaliste), alors que l’homme ne peut connaître qu’en progressant. La connaissance existe d’autant plus qu’elle est un work in progress au sens où l’homme est une partie du réel et, plus original, où il n’est tel qu’en impliquant que ce qui n’est connaissable que par tâtonnement et progression relève d’une autre structure, qui explique qu’il ne soit pas connaissable directement. Le raisonnement d’Aristote est sur ce point impeccable : si le raisonnement se tient sur le même plan que le réel, il est normal que le réel soit connaissable et qu’en même temps, il ne le soit pas, au sens que la connaissance à acquérir est soit inexistante, soit vite dépassée. Tout connaître revient à ne rien connaître, puisque l’omniscience (ainsi relative) dans une conception finie désignerait le fait que le réel est borné de néant. Descartes se trompe quand il qualifie Dieu d’omniscient. Si l’omniscience existe, elle implique la néantisation. La structure du réel pour être pérenne est hétérogène par opposition à l’homogénéité. Si l’homme peut connaître, selon la définition progressiste du réel, alors le réel perdure. La connaissance est liée à la possibilité de réel. Si la connaissance n’était pas possible, le réel serait soumis à la disparition, sauf à recourir à sa sauvegarde par miracle, option que proposera Descartes pour sauver la métaphysique (mais ni la connaissance, ni le réel). 
La faiblesse du mimétisme, de ne reposer sur rien, implique qu'il soit déclenché par une force explicable et fondamentale. Peu importe que ce fondamental ne soit pas ultime, puisque l’ultime se déploie au sein du fini. Le propre du réel est de ne pas suivre cette logique. Le mimétisme doit être expliqué par une inclination consciente dans chaque sujet, mais qui dans l’interrelation entre individus conscients échappe à cette conscience. Conscience individualisante en ce que le passage vers le collectif entraîne la mutation du conscient vers la non conscience - vers le mimétisme. C’est une conscience qui se déploie selon la trame de l’individualité, ce qui implique que le mimétisme ressortisse de la manifestation inférieure et collective au sens de diffus.
L’infériorité du mimétisme se traduit par son caractère diffus et inconscient, quasi insaisissable. Car si cette diffusion inconsciente peut sembler une supériorité par rapport à la conscience, au sens où elle agit sans la connaissance de la conscience, elle se révèle en fait inférieure au sens où sa diffusion établit un mode de réalité inférieur à la réalité telle que la conscience en a connaissance. La réalité mimétique s’ancre sur un donné qui est une représentation inférieure de la réalité en ce qu’elle affaiblit sa reproductivité, tandis que la forme consciente et individuelle se montre supérieure, en ce qu’elle renforce la pérennité et la perpétuation du réel. Ce qui passe pour supérieur (l’échappatoire) est inférieur. L’inférieur pourrait à la limite se passer de la référence au divin (quelle que soit la définition qu’on accorde à ce terme au fond général et commode). C’est vers cette option qu’aboutit Aristote dans son système que la postérité a baptisée métaphysique : un système qui se passerait de Dieu, mais qui ne parvient pas à substituer à Dieu une autre explication. Le Premier Moteur se révèle un subterfuge irrationnel, qui pose plus de problèmes qu’il n’en résout. L’infériorité est réelle, mais présente des problèmes de fonctionnement qui ne sont pas résolubles dans son schéma théorique. Paradoxalement, l’infériorité a besoin de ce qui lui est supérieur pour réussir à fonctionner, sans quoi elle se désagrège et ne peut continuer à agir. L’inférieur a besoin du supérieur, soit de l’élément qu’elle rejette. Cela signifie que le réel est formé selon une structure par tranches et qu’il donne toujours l’impression qu’il est formé d’un certain nombre de tranches. Mais ce n’est pas la réduction par exemple de trois à deux tranches dont il est ici question, mais le fait que le réel supérieur est celui qui reconnaît la possibilité de l’accroissement - peu importe le nombre de tranches, autrement dit le donné existant. Tandis que l’inférieur n’aperçoit pas la partie accroissement et ne retient du réel que le donné. Peu importe en fait le nombre de tranches, à partir du moment où l’on se rend compte que l’existence d’un certain nombre de tranches n’est pas l’intégralité du réel, seulement une partie. On ne trouvera jamais le nombre exact de tranches de réel, de même qu’il est faux d’estimer que l’observateur revendique être passé à côté de l’ensemble du réel au motif qu’il n’aurait perçu ou retenu qu’un nombre insuffisant et réduit de tranches. Au contraire, quel que soit le nombre de tranches retenu et entendu comme réelles, le réel ne peut jamais se limiter à ce type de réel, mais pour être complet doit être complété par la partie accroissement. Peu importe le nombre de tranches, elles ne seront jamais qu’insuffisantes, en tant qu’elles sont une certaine partie seulement du réel. D’où la leçon de ce constat : peu importe le nombre de tranches que l’on retient, elles ne font que décrire un certain donné, aussi bien qu’une partie du réel. Quelle que soit l’amplitude de ce donné, il ne correspondra jamais qu’à une part du réel, et tant qu’on ne lui adjoindra pas la part accroissement, on passera à côté de ce qui fait le réel. L’illusion consiste à traquer le nombre de tranches comme si le manque d’une ou deux pouvait entraîner l’incomplétude.



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