dimanche 29 septembre 2013

Au connu

Ami lecteur, l’esprit conjoint au nihilisme et au transcendantalisme estime que ce qui n'est pas connu constituera toujours la part supérieure au connu. Pour mieux caractériser ce qu’est l'inconnu, la différence tient dans la distinction entre le connaissable et l'inconnaissable. Quand l’inconnu est inconnaissable, il ne peut jamais passer du côté du connu; tandis que quand l’inconnu est connaissable, la connaissance de l’ensemble du réel devient possible, bien qu’elle ne soit pas effective immédiatement. Deux courants s’affrontent. Le transcendantalisme estime que ce qui est inconnu est connaissable, mais par parties. Si le réel est connaissable, ce n'est pas dans la fulgurance de son unité et de son intégralité. Il y a une limite à l'acte de connaissance. Elle peut tendre vers le total, tout en restant toujours partielle. La reconnaissance du connaissable implique la possibilité de progression qui affecte le connaître.
Le nihilisme postule la limite radicale et indépassable entre le connu et l’inconnu - à tel point que,  s'il existe des différences de positions dans le nihilisme, son propre pencherait plutôt vers l'inconnaissable fondamental. A cet égard, Héraclite a estimé qu'il était impossible de connaître quoi que ce soit de fondamental. Dans cette optique, le connu exprime la dégradation de l'inconnu. Le connu est inférieur à l’inconnu. Le connaissable ne touche qu’une certaine partie du réel. Mais il existe une différence entre ceux qui estiment que le connaissable fini est théorisable, comme les métaphysiciens, et ceux qui estiment que la partie connaissable échappe à la théorisation, ainsi de Héraclite. Descartes relève du courant métaphysique, avec cette particularité qu’il rénove la métaphysique obsolète de veine scolastique en ajoutant Dieu au fini. Aristote ne reconnaissait pas le principe d’ordre inscrit dans le divin, et l’avait même remplacé par l’artefact absurde du Premier Moteur. Dieu est le "principe" d’irrationnel, si tant est que l’on puisse employer le terme de principe pour qualifier l’irrationnel, lui qui sert davantage à expliquer la chaîne des raisons, remarquée et délimitée par Descartes, que le Premier Moteur de facture aristotélicienne, qui constitue un prétexte intellectuel pour ne plus s’embarrasser de la question du divin (comment expliquer que le rationnel n’explique pas le réel?
Comment justifier l’arbitraire du rationalisme fini?). La décrépitude de la métaphysique 1 tient à l’absence, prévisible, de possibilité miraculeuse de remonter le pendule, d'empêcher le déclin inéluctable de son domaine d’étude, de recherche, de scientificité, et même d’existence, vu que le métaphysicien évolue dans le même domaine fini, puis sclérosé, que celui qu’il étudie. La rénovation cartésienne n’en est pas à un paradoxe près : elle explique par Dieu la persistance du physique. Outre que le recours au christianisme montre la perversion de l’augustinisme par la métaphysique, que Descartes ne fait qu’entériner, mais qu’il est loin d’initier (ce qui en dit long sur l’alliance inavouable, quoique avérée, du monothéisme et de la métaphysique, soit indirectement du transcendantalisme et du nihilisme), le cartésianisme promeut une explication anti-explicative, en ce sens que, ne pouvant expliquer quoi que ce soit, et en particulier le réel, elle n’explique rien. Descartes peut expliquer un certain domaine, à condition que ce domaine édicté et fini soit fondé par Dieu, mais Dieu n’est pas défini par Descartes, et, si l’on peut estimer que le mot Dieu est lui-même une commodité autant langagière qu’idéelle pour trouver une explication sans définition, il existe pour autant deux grandes conception antithétiques du divin, au-delà du Dieu monothéiste, qui surgit fort tard dans l’histoire des religions, et qui, s’il constitue un progrès rationnel, n’est pas une invention indépendante du polythéisme : le divin est connaissable par l’homme ou ne l’est pas.
Descartes se place explicitement dans la deuxième catégorie par de nombreux aspects, notamment quand il décrète que les desseins de Dieu sont incompréhensibles pour l’entendement humain (sa conception de la volonté recoupe cette tendance, avec une volonté humaine qui rejoint d’autant mieux la volonté divine qu’elle se résume à dire oui ou non dans une situation qui reste à entendre). Même quand on se place dans le schéma du transcendantalisme, dont est exclue la métaphysique, bien que de multiples compromis soient possibles, l’inconnu reste primordial et prépondérant au sens où la fin n’est pas définie : l’Etre de l’ontologie n’est pas défini, Platon n’y est pas arrivé, pas davantage que ses prédécesseurs comme ses successeurs (Plotin ou Leibniz pour prendre des continuateurs originaux). Ce genre de schémas, pour positif qu’il soit, considère que l’inconnaissable est supérieur au connaissable, même si l’inconnaissable reste accessible à la connaissance lente et progressive. Il existe une identité assez palpable et scandaleuse entre les deux grandes influences de la pensée, qui s'étendent bien au-delà de l’histoire de la philosophie, et qui à bon droit peuvent être tenues pour l’expression des deux grandes formes, antithétiques, de religiosité : le transcendantalisme et le nihilisme.
Cette identité s’appuie sur leur parenté consistant dans leur défaut, à ceci près que le transcendantalisme aspire à résoudre son défaut, quand le nihilisme l’accepte, s’en contente, voire le revendique (la revendication s’opère avec l’incohérence, par exemple chez les atomistes de l’Antiquité, Démocrite d’Abdère en particulier). L’Etre exprime le défaut, ce dont Heidegger se rendra compte en fin de parcours, tant de la métaphysique que du transcendantalisme. Mais l’être fini acquiesce et valide le défaut encore plus, lui qui ne se soucie pas de ce qui peut exister à côté du domaine fini qu’il édicte, sachant que tout ce qui est fini ne peut qu’être incomplet. La revendication de complétude que l’on retrouve dans l’immanentisme, qui constitue l’acmé de l’exigence de rationalité et de cohérence du nihilisme, ne s’établit en résolvant le problème de l’incomplétude du fini, mais en décrétant de manière arbitraire, tel un caprice, que ce qui est incomplet est complet. Ce miracle s’opère certes grâce au pouvoir du désir de décréter de manière arbitraire, mais à la différence du pouvoir démiurgique qui rend effectif et réel ce qu’il décrète,ile décret du désir se contente d’en rester à la représentation et de ne pouvoir accéder à l’effectivité ou réalisation.
Il convient autant de sortir du transcendantalisme que du nihilisme, même si le transcendantalisme est une forme de pensée qui mène vers une démarche de construction du réel, tandis que le nihilisme, comme son nom l’indique détruit, en revendiquant définir. Car si l’on en reste à ces deux postures au fond complémentaires, sinon parentes, l’on se condamner à réhabiliter l’un en cherchant à éviter l’autre, ce que rappelle l’alliance contre-nature du christianisme et de la métaphysique (voire de l’Islam et de la métaphysique, bien que je connaisse très mal l’histoire de l’Islam), en tout cas l’alliance attestée de la métaphysique et du monothéisme, alors qu’on aurait pu attendre plutôt que ce soit l’ontologiue qui a noué des rapprochements avec le monothéisme. Ces rapprochements ne furent que minoritaires, parce que la réunification entre la métaphysique et le monothéisme laisse apparaître l’espoir d’une réunion des qualités des deux bords sous un genre nouveau, tandis que la seule ontologie demeure encore trop lacunaire. L’observateur ne se rendra compte des accointances entre transcendantalisme et nihilisme ennemis que lorsqu'il sera passé à une autre mentalité religieuse, que j’ai baptisée néanthéisme, et qui ne peut survenir qu’une fois les réalités du transcendantalisme et surtout du nihilisme enfin observés, décrites, reconnues. Pour le moment, si le transcendantalisme est reconnu même de manière beaucoup trop réduite, le nihilisme reste confiné à l’expression d’un mouvement ultraminoritaire, caricatural et idéologique.

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