lundi 23 mai 2016

L'avarice subjectiviste

La prééminence du discours à la première personne (P. 1) n'est possible que si l'on effectue une identification rapide et sommaire du sens que l'on produit avec le subjectivisme. On en vient à estimer que c'est le sens que produit le sujet qui est supérieur, ce qui implique que le sens propre au sujet soit le sens rationnel, débarrassé de toute autre propriété liée au sens et à l'imagination.
On identifie à tort l'expression humaine comme au final rationnelle, alors que la raison se trouve au service de la créativité. C'est justement le crédit accordé à ce mythe de la raison subjectiviste, du rationalisme cartésien si l'on veut, qui donne le subjectivisme, l'idée selon laquelle du moment que le principe de cohérence interne est retenu, alors l'on tient le plus haut niveau de sens (le véritable).  N'est-ce pas le critère que vante un Deleuze en représentant contemporain de la caste des universitaires, historiens de la philosophie et sorbonnards à la parole gelée (où l'on voit la révolution philosophique que Deleuze aura promue)?
Du coup, on crée la légitimation du critère ad hoc, on élit le critère qui convient le mieux au sujet qui l'énonce, qui l'universalise en produisant ses formes générales, mais on ne produit pas le plus haut niveau de sens. Au contraire, on détruit le sens, au sens où il n'est pas fait pour rester cantonné dans le sujet, mais pour aller du sujet vers l'extérieur. Telle est la connaissance. En ce sens, la forme la plus performante du sujet, c'est ce sens vers l'extérieur (en ce sens particulier, externalisme), pas le subjectivisme, qui est internalisme. 
Ce dernier déforme le sens, en n'en retenant que les caractères subjectivistes comme les plus hauts, c'est-à-dire seulement ce qui relève du sujet, et non pas la suite, c'est-à-dire la principale partie de ce qu'est le sens, sa confrontation avec la réalité. En ce sens, sa seule manifestation subjectiviste se révèle outrée et ampoulée. Il suffit de se rendre compte que le résultat le plus immédiat du sens : c'est la connaissance, qui, quelles que soient ses formes, part du sujet pour aller vers l'extérieur, et non pas, comme Descartes y incline, et plus encore Kant, et plus encore la phénoménologie, entend ne pas sortir du sujet tant que la connaissance certaine n'a pas été établie.  La connaissance n'étant jamais certaine, il ne risque donc pas d'en sortir sous cette forme, ce qui arrive dès Descartes, où il sort de la manière la plus confuse.
Au contraire, le sens présente cette particularité intrigante de ne connaître que s'il ne dispose pas de certitude initiale et s'il n'y parvient jamais, comme si le sens était fait pour proposer un type de connaissance à l'image de l'homme, être fini et incomplet. De ce fait, chercher la certitude est une chimère, qui signifie en fait l'illusion, soit le fait de prendre le domaine de la connaissance pour sa réduction à une représentation fausse et rabougrie ou raccourcie. 
L'existence de la connaissance scientifique prouve que l'on peut connaître l'extérieur du sujet et que le subjectivisme est la déformation réductionniste de la connaissance - raison pour laquelle le cartésianisme ne réussit pas à connaître. 
Par contre, il réussit à laisser croire que le moi est le domaine de l’autorité et qu'il faut partir d'un point de départ pour aller vers l'extérieur (cet objectif ne peut fonctionner, du fait que le sens est incertain). C'est l'inverse qu'il faut entreprendre : partir de l'extérieur pour connaître l'intérieur (connaître l'intérieur est possible, à condition de trouver un point extérieur d'ancrage et de vérification à la démarche d’introspection). Le cartésianisme, en entendant trouver des fondements inébranlables à la connaissance, pense triompher de la démarche expérimentaliste et instaurer le triomphe de la métaphysique chrétienne sur la physique. De ce fait, il se condamne à proposer une connaissance erronée et périmée de son vivant. 
Reste à relever que Descartes assoit la connaissance sur Dieu sur la certitude subjectiviste, et non l'inverse comme il le proclame, car il part de sa découverte du cogito pour estimer que le cogito se trouve fondé par Dieu, et non l'inverse. De ce fait, le causalisme cartésien produit une divergence entre l'ordre de son raisonnement effectif et l'ordre qu'il revendique. Mais si Dieu est le terme problématique qui découle des limites de la connaissance et qui renvoie en gros à ce qui n'est pas connaissable par la connaissance (la métaphysique est fondée sur la croyance que seul l'être est connaissable, d'où le besoin religieux en appoint), alors le Dieu cartésien se trouve incarner les fondements du subjectivisme, et non poser le problème de Dieu. 
C'est un Dieu déformé, qui ne peut pas plus être connu que ne l'est le réel, qui permet de légitimer le subjectivisme. La connaissance religieuse suivant la méthode cartésienne est forcément biaisée. De même que le réel se trouve subjectivisé - de même Dieu. Il devient le garant de la certitude et non plus le garant de l'inconnaissable en plus du connaissable. Raison pour laquelle la certitude peut côtoyer le néant : elle est la réduction inavouable de l'infini (Dieu) au fini (la certitude), ce qui rend possible qu'elle coexiste avec le néant, bien que les deux représentations soient incompatibles. 
Quant à définir ce qu'est le néant pour le subjectivisme, le geste renvoie à la reconnaissance que l'être est fini, puisque Dieu dans ce jeu de subjectivisme est un acteur inutile, qui ne parvient qu'à faire illusion sur sa teneur en infinité. Le subjectivisme s'ancrant dans le fini devient l’apanage de la métaphysique moderne, que lance Descartes. Il a été l’inspiration de la philosophie moderne qui cherche à dépasser la révolution expérimentaliste en connaissance : c'est ainsi qu'il confond connaître et posséder. 
Connaître, c'est explorer, rechercher, sans fin; posséder, c'est un état qui ne peut qu'être provisoire, au grand désespoir de l'avare et du métaphysicien. Le néant est ce qu'on ne peut posséder et qui de ce fait devient métaphysiquement inintéressant.

Aucun commentaire: