vendredi 27 mai 2016

Nom de Dieu

Qu'est-ce que que ce qu’on nomme Dieu? Au départ, Dieu est multiple, son unité vient après des dizaines de milliers d'années de polythéisme, durant lesquelles l'homme conçoit le monde morcelé, à son image. L'homme amorçant sa réunification terrestre vire au monothéisme. Premier constat : Dieu est à l'image de l'homme. Mais quelle place occupe-t-il pour nous, entre notre monde et le réel? Quand on dit qu'il est plus que le réel, cela signifie qu'il est plus que le réel littéral, dont notre monde fait partie.
Dès lors, Dieu signifie qu'il y a autre chose que le réel, qui reste indéfini, tout en étant seulement défini comme transcendant. Mais est-ce le cas? Le monde de l'homme n'implique-t-il déjà pas autre chose que le réel, si l'on s'avise que "Dieu" fait partie de notre monde, de notre perception et de notre conception? Ce n'est pas rationnellement que Dieu apparaît à l'homme, c'est créativement
La raison peut seulement se rendre compte qu'il manque quelque chose à ses cogitations. Mais elle ne peut aller plus loin. Le fait que la représentation s'avère aussi vague quand on s'avise de connaître indique que ce n'est pas la raison qui prend en charge la représentation, mais une autre faculté, qui est capable de concevoir sans connaître directement les contours.
Voilà qui ne nous dit toujours pas ce qu'est Dieu. On peut cependant proposer qu'il est notre monde et plus que le réel. De ce fait, il convient d'éliminer la définition selon laquelle Dieu nous est étranger, voire nous engloberait. Il peut excéder notre monde, mais on ne le conçoit qu'en partant de notre monde. J’irai plus loin : Dieu ne sort pas de notre monde, ce qui indique que notre monde ne peut se concevoir sans le fondement de Dieu. D'où l'unité que garantit le terme "Dieu", qui peut virer à son unicité dans le monothéisme, mais qui signifie plus largement qu'il est ce qui permet le raisonnement, celui sans lequel il n'y aurait pas de monde de l'homme.
De ce fait, le monothéisme n'est guère plus garanti que le polythéisme, et l'on peut englober les deux formes sous une forme unique : le transcendantalisme. C'est le raisonnement humain qui pousse à l'unité, touchant la réflexion sur l'être, mais rien n'indique que ce qu'on nomme Dieu soit un. Si tel est le cas, l'usage de Dieu se montre quasiment toujours trompeur, reprenant une rhétorique dont on peut deviner l'esquisse dès le polythéisme, avec la prééminence d'une divinité sur les autres, et qui touche en fait l’ensemble du transcendantalisme.
Il faudrait parler de Dieu comme ce qui ne nous est pas connaissable selon le monde de l'homme, car ce qui ne nous est pas connu mais qui est fini se montre connaissable, au moins potentiellement. Dieu serait ce qui nous permet de sortir de notre monde et de connaître au sens où il n'est de connaissance que de l'inconnu et que l'inconnu n'est possible que si le fini n'est pas l'ensemble du réel.
Dans cette optique, il importe que Dieu ne nous soit pas connaissable, sans quoi nous estimerions qu'il s'agit d'une hypothèse provisoire, inhérente à notre connaissance, et que tôt ou tard, nous parviendrons à le connaître. Seul ce que nous nommons infini nous demeure inconnaissable, ainsi que le reconnaît la Bible avec sa définition tautologique de Dieu : "Je suis qui je suis". Descartes ne dit pas autre chose, lui qui, en désespoir de cause, propose de remplacer ce terme, incompréhensible selon lui, par indéfini. Leibniz expliquera qu'on peut connaître l'infini, mais selon un mode partiel, comme par certaines opérations de géométrie ou d'autres approches arithmétiques (logiques), ce qui constitue un manière finie d’approcher l'infini.
Si Dieu est l'infini, il est deux possibilités de définition : soit il est inconnaissable, auquel cas le terme infini et son préfixe -in donnent une juste image de ce qu'est Dieu pour l'homme, quelque chose que seule une révélation nous donne la possibilité et le privilège d'approcher, même partiellement; soit il est connaissable, et alors Dieu est forcément fini, ce qui peut sembler pour le moins paradoxal, voire relever de la provocation insoutenable. Dieu fini, de qui se moque-t-on? Que ne le connaît-on pas s'il nous est familier? Nous serait-il trop familier pour qu'on le connaisse, un peu comme Heidegger estime que le chemin vers les choses familières nous est le moins évident et le plus laborieux?
Il convient d'ajouter une particularité à cette définition manifestement insuffisante : la différence. Mais cette différence doit être définie, ce qui indique que ce qui est fini n'est pas uniforme ou univoque. Comment faire pour que Dieu soit un et non-transcendant? Quelle serait cette immanence qui intégrerait la différence cardinale? L'unité se fait-elle au prix de la dualité?

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