mercredi 1 juillet 2009

Les pelotes complotistes

Assimilation du complot au complotisme. Comment cet amalgame grossier est-il possible? Les complotistes existent. Ce sont les paranoïaques et autres post-soixante-huitards qui estiment que tout peut être expliqué par des projets secrets humains. Le cours des évènements réels qui intègre la sphère du monde de l'homme est nécessairement fomenté et concerté par l'homme. Le secret vient ici combler l'inexplicable qui n'a toujours pas été expliqué : le cours des choses ou l'avènement du réel dans le devenir. Secret humain, bien entendu.
Pourquoi des complotistes? Tout simplement parce qu'il se trouve parmi les hommes des esprits traumatisés par le reél et par le fait que l'homme, tout roseau pensant qu'il soit, n'est jamais qu'un fétu de paille dans l'univers. Ontologiquement, l'insigne part du reél n'est pas humaine. Le monde de l'homme n'est qu'une tout petite part du reél. Pourtant, répercussion de la faiblesse humaine, l'insigne partie du monde de l'homme subit le cours du reél non humain et non la main de l'homme. Limites du secret et de l'homme ici rappelées.
En termes religieux, c'est Dieu qui produit le reél, ce que la plupart des métaphysiciens classiques reconnaissent. Le débat vient de la définition qu'on propose de ce terme Dieu. L'homme n'est qu'une créature dont les pouvoirs sont sans commune mesure avec la Toute-puissance (pas forcément autoritaire ni arbitraire) du Créateur. La conception religieuse propose précisément l'explication (ou le postulat) qui empêche la mise en branle dans l'esprit humain du complotisme.
Autant dire que le complotisme surgit pour combler un manque de sens. Comment expliquer le cours des choses : le doigt de Dieu ou la main de l'homme? On remarquera que le complotisme lie l'explication ultime ou première des projets avec le secret. Le secret désigne une action cachée, pour la majorité le fait de ne pas savoir - l'origine des actions, comme leur finalité et leur fin. En langage religieux, l'homme ignore les projets divins. L'homme a recours au secret car la partie n'est pas au parfum du cours du réel.
"Les dieux ont caché ce qui faisait vivre les hommes". Paroles d'Hésiode, un poète grec qui reflète la mentalité antique. Un complotiste pourrait corriger, à quelques nuances près : les comploteurs ont caché ce qui faisait vivre les hommes. On osera à bon droit : Dieu serait taxé de complotiste s'il agissait comme un homme. Un Dieu anthropomorphique. Un néo-Superman tiré de l'onirisme de la BD américaine du début du vingtième siècle. Au passage, on appréciera la référence à la mutation de type post-nietzschéenne : le Superhomme est le mutant de l'homme.
Cette mutation prônée par la propagande américaine, le rêve américain et Hollywood n'est pas aux antipodes de l'Ubermensch des délires nazis. Sans voir des nazis partout, comme certains obsessionnels plus ou moins dérangés, plus ou moins pervers, et avec toutes les distinctions et précautions d'usage, la mentalité fasciste est une radicalité de son temps, dont on retrouve les caractéristiques principales dans des idéologies plus modérées comme le libéralisme soi-disant antagoniste.
C'est le signe que la mutation ontologique était prévue par les immanentistes avant que l'immanentisme ne sombre dans la dégénérescence dont l'époque contemporaine subit les relents putrides et terminaux. La mentalité complotiste s'est développée sous l'effet conjoint de la baisse d'influence du religieux (disparition de l'explication du monde, que l'explication de type scientifique moderne ne parviendra pas à combler) et du Progrès (l'explosion tous azimuts des découvertes de la science et de la technique laissant illusoirement croire que c'est de ce côté que se situe la connaissance ultime).
Le Progrès accroît considérablement le pouvoir de l'homme sur son environnement, au point que d'aucuns ont cru que l'homme possédait les moyens de s'affranchir du religieux (première démesure) et de contrôler le monde de l'homme (deuxième démesure). On a vu le résultat, en particulier le constat que la connaissance scientifique débouche sur la spécialisation vertigineuse d'objets d'étude finis et fractionnés. Le reél devient incompréhensible dans son ensemble. L'échec scientifique d'un point de vue ontologique est patent : l'Un est évacué, le multiple démultiplié.
La croyance dans le Progrès explique l'explosion de rumeurs complotistes à partir du dix-neuvième siècle et surtout du vingtième. Progression phénoménale de l'information de type finie (journalistique) et accroissement continu, voire exponentiel, du contrôle humain sur le reél vont de pair avec le remplacement de Dieu par l'explication monocausale (ou monodéterministe) d'obédience complotiste.
Les groupes humaines remplacent l'action divine. Le simplisme effrayant et la dimension haineuse de la théorie du complot sont explicables : le dieu était déjà le bouc émissaire, ce que la Passion nous enseigne tout à fait - et ce que Girard à sa suite relate. L'explication aux choses est forcément sujet de haine à partir du moment où la partie est soumise à la violence du reél, en particulier de la mort et autres maux afférents et synonymes de souffrance.
L'amalgame complot/complotisme provient du fait que la modernité immanentiste n'est pas capable de substituer une alternative crédible au divin. Que ce soient l'homme ou le néant, baptisé hasard ou puissance d'ordre irrationnel, Dieu est mort assassiné, a claironné Nieztsche (et avant lui Hegel). Dont acte? Quand bien même on accréditerait cette affirmation péremptoire et douteuse qui laisse la part belle aux immanentistes, l'homme n'est pas en mesure de prendre la place de Dieu. Dieu assassiné, c'est Dieu dénié. Le problème demeure, car on ne peut tuer l'Eternel, l'Incréé ou le Divin.
L'explosion du complotisme surgit comme un avatar pour combler le manque de sens issu de l'immanentisme. Le complotisme n'est pas en mesure de combler la lacune religieuse : il n'a ni la taille, ni la carrure. Le tour de magie croustillant (c'est au nom du rationnel exacerbé, voire de l'Hyperrationnel, que l'on aboutit à un principe bancal et typiquement irrationnel) revient à remplacer un géant par un nain. On appréciera la bonne foi et la lucidité des analystes du phénomène complotiste qui tous sont des partisans de l'immanentisme.
Défendre l'immanentisme quand on condamne le complotisme, c'est conforter la cause tout en condamnant un effet direct. Un symptôme, tant au sens nietzschéen que freudien. L'amalgame que les analystes-partisans-propagandistes opèrent entre complot et complotisme s'explique par le fait qu'ils condamnent le complotisme tout en soutenant la cause du complotisme. Attitude de déni intéressante, quoique lamentable - inconséquente.
Une simple remarque suffit à faire tomber le château de cartes qu'ils ont construit et qui ne reposent que sur des fondements conceptuels mensongers. Taguieff et les autres n'ont qu'à se rhabiller, leur prose est caduque dès son écriture. Si les complots n'expliquent pas toute l'existence, les complots existent. Le complotisme ne suffit nullement à englober les complots sous une réfutation monolithique et définitive, dont la structure serait elle-même d'ordre complotiste.
Question embarrassante : la théorie du complot reprend-elle le complotisme pour mieux le réfuter? Perversité de cette théorie : encourage le phénomène qu'elle prétend annihiler. Elle ne peut combattre que ce qu'elle soutient. A partir du moment où l'on reconnaît que le complotisme et les complots existent tous deux, indépendamment, complémentairement et fermement, le plus intéressant n'est pas de traquer la logique monomaniaque ou paranoïaque des complotistes, sorte de superlogique immanentiste, mais de comprendre ce qu'est un complot. Un vrai, un irréfutable, un établi par l'histoire et les faits.
Un complot surgit à partir du moment où un groupe (au moins) monte un projet secret en sa faveur et contre un autre groupe (au moins). Précision d'importance : le groupe victime du complot appartient toujours à la communauté des comploteurs. Autre précision : le complot s'opère au niveau des factions/groupes, soit à l'intérieur d'une communauté comme l'Etat ou des institutions. Le grand complot moderne vise à détruire l'ordre issu du Traité de Westphalie, soit la forme des États-nations.
Le secret est destiné à cacher l'action inavouable et néfaste et à prendre la place du divin soi-disant assassiné, en réalité dénié. Le fond du problème réside dans la dimension religieuse du secret. Dans les actions humaines, il n'est de secret que si l'on n'en peut révéler la nature. Le secret en tant que tel est la réduplication de l'inexplicable, soit de l'action du divin.
Une action cachée : soit cette action est mauvaise pour la communauté des témoins; soit elle est invisible à leurs sens limités et partiels. Dans ce cas, elle ressortit du domaine du divin. La spécificité de l'époque moderne consiste à avoir évincé le divin au profit de l'humain - sous prétexte de Progrès (d'accroissement du pouvoir matériel et sensible). Les complots ont toujours existé. Le complotisme aussi, à ceci près que le complotisme moderne diffère du complotisme classique par le pouvoir accru qu'il prête à l'homme.
Ceux qui expliquent le Mal par le monocausalisme du diable sont sans doute des complotistes en puissance, à ceci près qu'ils incriminent une créature surnaturelle, comme Dieu. Les dieux et les démons sont-ils des simplifications, des approximations, des aberrations...? Les dieux complotent-ils, comme les exemples abondent dans l'Olympe de la mythologie grecque (dans toutes les mythologies en fait)? En fait, les dieux sont vraiment l'alternative aux complots, parce que les complots sont humains et que les dieux ne peuvent comploter.
Les dieux ont précisément le statut de contrôler le reél et d'inspirer le cours des choses. L'homme échoue dans ses complots parce qu'il n'a pas le pouvoir de susciter le cours des choses. L'homme n'a pas de pouvoir sur le reél, tandis que la spécificité du divin est de créer le reél. Si l'on explique que Dieu est responsable dans son omniscience du reél, c'est peut-être un peu simpliste vu du Ciel, mais c'est une proposition acceptable (quelles que soient les arguties d'un Voltaire sur le bien et Dieu). Si l'on explique que c'est Rockefeller, Rothschild ou les juifs, c'est nettement moins défendable - tant moralement que logiquement.
Le complotisme moderne épouse l'immanentisme. Quand on parle de complotisme, c'est pour opérer la critique du complotisme. Il faudrait employer le terme d'anticomplotisme pour décrire ce qu'on désigne par la théorie du complot, tout en tenant compte du fait que la mentalité de cette critique est très particulière. Mentalité immanentiste, elle ne tient pas compte de l'évolution humaine moderne. Mentalité paradoxale et de mauvaise foi (au sens sartrien) : entériner l'accroissement du pouvoir humain et refuser dans le même temps d'envisager les complots, c'est nier l'existence d'un fait sous prétexte de lutter contre certaines dérives - encouragées par l'évolution moderne.
Double ou triple paradoxe! Il serait temps de comprendre que l'anticomplotisme est propagande à partir du moment où l'anticomplotisme cherche à cacher le complot. J'ai déjà observé que le complot est incompatible avec la démocratie. Raison politique cardinale qui explique l'occultation du complot sous l'écran de fumée du complotisme. Pis, l'accroissement complotiste en ère démocratique cache à grand peine l'accroissement inquiétant du pouvoir humain et les tentations d'explications simplistes qui en découlent - point de vue ontologique.
Accroissement inquiétant : ce n'est pas le pouvoir humain qui est inquiétant, mais le remplacement du divin par l'humain sous prétexte d'accroissement sensible ou technique. Aucun Progrès, de nature finie ou technique, ne peut remplacer le divin. Tout simplement parce que l'homme ne peut remplacer le divin. La seule chose qu'il puisse faire, c'est de définir le divin, notamment dans cette période de crise où le divin a perdu de son sens du fait des importants changements de paradigme et de représentation.
L'anticomplotisme chercherait-il à cacher l'accroissement du pouvoir humain et l'accroissement des complots? L'accroissement de l'efficacité des complots? C'est le plus probable. Pourquoi cacher les complots? Parce qu'ils sont incompatibles avec la démocratie! Peut-être aussi, et tout simplement, parce qu'ils sont incompatibles avec l'immanentisme. Le complot est la preuve de l'échec de l'aventure immanentiste. En cas de réussite, le complot serait superfétatoire. Le complot mène vers l'impéritie et la destruction.
Pourquoi cacher le succès? Par contre, cacher l'échec est dans les cordes de la faiblesse humaine. L'homme moderne a assassiné Dieu et a échoué à le remplacer par sa propre image. Dieu doit rire de notre folie homicide. Face aux complots, l'homme est toujours aussi démuni. Comploter est certes une activité humaine, mais ce que les théories du complot en prennent pas en compte, c'est que les complots les plus efficaces sont intentés par des dominants.
Ceux qui intentent les complots parmi les hauts pontes du pouvoir démocratique et libéral se donnent sans doute l'illusion de se tenir au-dessus du commun des mortels. Ils sont des dieux à l'instar des empereurs romains, puisqu'ils sont chargés implicitement du culte du secret, c'est-à-dire de façonner le monde de l'homme. Ils ont remplacé le Dieu chrétien - et la représentation traditionnelle du divin monothéiste.
En Russie, les oligarques sont reconnus et caricaturés. On oublie souvent que les vrais oligarques ne sont pas des slaves aux trois quarts mafieux qui s'entretueraient entre eux et vivraient dans des exils dorés. Commodes moyens de diversion pour oublier ce qu'est l'oligarchie et à quel point l'oligarchie est la dégénérescence politique de la démocratie! Profil véritable de l'oligarque épanoui : ce sont des banquiers et financiers ultralibéraux, des occidentalistes, voire des factions tout à fait occidentales. Souvent, on entend des complotistes manifester leur pessimisme en se plaignant que les hommes du secret jouiraient d'une toute-puissance infaillible. De sorte qu'ils détiendraient le pouvoir inouï et inquiétant de maîtriser le cours du monde.
Ces Surhommes feraient ainsi mentir Popper, qui remarque que les complots échouent toujours, autrement dit que les comploteurs n'atteignent jamais les buts qu'ils se sont fixés en formant leur complot. Pis, nos maîtres putatifs feraient également vaciller les mythes qui mettent en scène la malédiction qui s'attache au diable. Chez Goethe ou Balzac, pour ne citer qu'eux, le diable ne peut que trahir au final ses sectateurs.
La puissance du diable n'est pas la toute-puissance. Seul Dieu est tout-puissant, ce qui implique que la puissance sensible s'apparente à de l'impuissance ontologique. L'échec du diable est prévisible. Dans l'Associé du diable, film trop hollywoodien, la scène finale est trop didactique. Il n'empêche. Le diable vient de violer avec sauvagerie la femme de son fils, qui s'est suicidée. A son fils qui vient le tuer pour ce forfait ambigu (en rejoignant le cabinet d'affaires de son père masqué, le fils s'est laissé tenter par l'argent et les femmes), le diable explique sans sourciller qu'il attend de son fils qu'il lui donne un enfant... avec sa fille!
La fille est magnifique. Le fils hésite. Copulation incestueuse, nous sommes en plein diabolisme. Finalement, le fils use de son libre-arbitre et se suicide. Il choisit Dieu contre le diable. Il retourne dans un autre réel, calme et débarrassé de l'effectivité diabolique, quoique les vices soient toujours présents. D'ailleurs, le diable apparaît en filigrane et se félicite de l'efficacité de la vanité sur la tentation.
On se doute du message : si le fils avait accepté le marché de son père, le châtiment aurait été terrible, tant il est certain que le diable ne peut remercier qu'en détruisant. Dans une logique oligarchique et immanentiste, le diable est tout-puissant. Il maîtrise le reél, puisque le reél se cantonne au sensible. Cette croyance est pourtant fausse : le diable n'est pas plus tout-puissant qu'autrefois et l'accroissement du pouvoir sensible de l'homme n'est pas synonyme de réussites du secret et des complots.
L'échec de l'immanentisme (programmatique et programmé) signifie tout simplement que les maîtres du secret sont faibles. Leur destin est inscrit dans leur diabolisme assumé et triomphant, diabolisme mutant consistant à expliquer que les choses ont changé et que désormais le diabolisme engendre la réussite. Loin de leur toute-puissance, nos maîtres ne sont jamais que des hommes qui se prennent pour des dieux.
Vieille rengaine de la démesure! Leur extrême faiblesse repose sur leur erreur ontologico-religieuse : leurs fondements sont erronés. Pas étonnant qu'ils nous mènent vers l'abîme. L'adhésion à la croyance de la toute-puissance oligarchique, soit du triomphe inéluctable du diable, permet de cautionner la passivité des populations occidentales.
Rien ne sert de se rebeller contre la méchanceté de maîtres invincibles. Le destin est écrit. Mentalité oligarchique et nihiliste qui prône la nécessité et le déterminisme quasi absolus. Puisque le peuple est condamné à l'esclavage, technologique ou classique, autant courber l'échine et essayer d'éviter le plus de coups possibles. Rien ne sert d'être trop serfs. Mais si l'on se rend compte que l'homme est libre, c'est-à-dire qu'il est soumis à Dieu, cette découverte va de pair avec la faiblesse oligarque, parce que les oligarques assument des responsabilités d'autant plus lourdes qu'ils n'en sont pas capables.
Leurs clés de déchiffrage sont fausses. Ils se trompent du tout au tout sur le reél, sur le monde de l'homme, sur l'économie... Pas étonnant que leurs résultats soient si calamiteux. Encore s'agit-il de nuancer : la perversité du nihilisme, c'est qu'il obtient des résultats matériels et immédiats éclatants et que ce n'est qu'après cette ère de prospérité que survient la crise. Du coup, l'homme plongé dans le nihilisme est incapable de réagir, d'autant moins qu'il est démuni et anesthésié par les promesses. Du diable?
Quand les causes sont viciées, les buts sont catastrophiques. Ils riment avec destruction et disparition, ainsi que l'enseigne le nihilisme dès son appellation. Les théories du complot sont des écrans de fumée, qui ne cachent l'existence des complots que dans la mesure où l'identité des comploteurs est inavouable. Avouer leur existence, c'est avouer que le monstre s'est peu à peu glissé dans l'institutionnel. L'officiel. Inacceptable.
Avouer les complots, c'est reconnaître que la mentalité oligarchique prédomine sous couvert de démocratie et que le secret a remplacé Dieu. Certains hommes se sont arrogés un pouvoir qui leur donne l'illusion de relever du divin. Grenouilles se prenant pour des bœufs, nos parangons de puissance et de virtu sont assurés d'exploser parce que leur identité ne concorde pas avec leur désir. Au final de la fable, la grenouille explose. L'oligarque explosera en vol et entraînera dans sa chute l'homme, espèce moutonnière, qui a eu le tort de suivre un berger fort peu berger.
Usurpateur. Dément. Illuminé. La crise actuelle est systémique parce qu'elle signe la fin de cette mentalité. J'ai défini l'homme comme une espèce mimétique. Pas seulement. L'homme n'est fortement mimétique que dans la mesure où il est aussi créateur. Le mimétisme humain que Girard décèle avec justesse ne serait pas aussi prééminent et proéminent si la propre de l'homme ne résidait pas dans la création.
L'homme n'est répétiteur que de manière seconde. Il est créateur, c'est-à-dire qu'il est le seul animal capable de faire surgir la différence, l'innovation, la nouveauté, la création. De ce fait, l'homme est capable du pire (les complots) comme du meilleur (expliquer le reél par d'autres noms que l'homme). L'homme est capable de dépasser le stade du complot, qui ramène au fond à la guerre du tous contre tous chère à Marx. Girard parle de rivalité mimétique.
Dépasser le complot, c'est nécessairement formuler des noms qui renvoient au divin, quelle que soit sa représentation. D'une certaine manière, le complot est nihiliste parce qu'il renvoie à l'homme dans une circularité vicieuse et tautologique. Le complot est immanentiste : pas de transcendance, juste des actions humaines. La théorie du complot est une fumisterie, qui ne consiste pas à (premièrement) dénoncer les interprétations paranoïaques et monocausales de complotistes marginaux et marginalisés - sauf peut-être à certaines périodes troublées.
La théorie du complot renvoie à un refus d'explication. Elle revient à dénier les complots, plus ou moins explicitement, sous prétexte de refuser l'explication ontologique de type transcendantaliste. On refuse Dieu et on célèbre le Royaume de l'homme! On ne se rend pas compte qu'on empire sous prétexte d'améliorer. Il suffit de voir combien de complots intentés par les dominants occidentaux existent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et combien ont été éventés sérieusement au point d'être reconnus et d'en tirer les leçons. Aucun - ou presque.
Une stratégie retorse de récupération consiste à faire semblant de reconnaître pour mieux noyer le poisson. Je ne prétends pas qu'il n'existe pas de complots en période non nihiliste (donc transcendantaliste). Il y en a moins. Je prétends seulement qu'il n'existe pas trace de théorie du complot dans un système religieux de type non nihiliste.
Les théories du complot sont ainsi un moyen de repousser le vrai problème, qui est un problème de déni religieux, de nihilisme, et non un problème politique ou psychopathologique. Le fait de taxer de fous les dénonciateurs de complots, d'amalgamer les complotistes et les critiques de complots réels, renvoie in fine au hasard. Le hasard est le pseudo-concept qui viendrait remplacer Dieu. Dieu ou le hasard. Les complots ne sont qu'une sous-manifestation du concept métaphysique de hasard, qui au départ est un terme religieux. Le reél est-il hasardeux? est une question qui repousse la question au sens où l'on évacue le problème pour mieux le résoudre.
Le hasard est une non-explication ou le remplacement d'un terme rationnel de nature arationnelle par un générique irrationnel au nom du rationnel. C'est une gradation dans la mentalité nihiliste. Aristote avait fait la moitié du chemin en oscillant entre son maître vénéré Platon et le nihilisme des sophistes et autres joyeux matérialistes. Son Premier Moteur explique Dieu de manière aussi satisfaisante que le Big Bang des astrono-physiciens.
Le Premier Moteur propose du divin une explication qui sous couvert de rationalisme inscrit le réel dans un schéma purement fini et mécanique. Ce n'est par hasard qu'Aristote fait l'apologie du régime politique aristocratique le plus proche de l'oligarchie. Aristote est un platonicien pragmatique ou nominaliste (au sens médiéval) dans la mesure où il annonce déjà la tentation séduisante et couronnée de succès sensibles de l'immanentisme. Aristote n'est pas un nihiliste. Il est le métaphysicien le plus nihiliste.
Il est le courant qui explique pourquoi l'ontologie incline vers le nihilisme dans la mesure où le religieux recèle en lui la tentation nihiliste : l'immédiat au lieu du réel. En langage platonicien : l'Un au lieu du multiple. La théorie du complot est le pare-feu qui au niveau politique empêche que l'on remonte jusqu'à la possibilité du complot, puis de la politique vers le religieux.

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