jeudi 5 juillet 2012

La partie émergée du réseau

http://www.lemonde.fr/international/article/2012/06/12/le-retour-des-barons-flingueurs_1717095_3210.html

Dans cet article, l'honorable correspondant du Monde pour la City de Londres Marc Roche nous explique l'avènement d'une alliance stratégique dans la finance mondialisée : "L'alliance stratégique conclue le 30 mai entre RIT Capital Partners, présidée par le Britannique Lord Jacob Rothschild, et la société américaine Rockefeller Financial Services, marque le retour de ces deux figures emblématiques de la finance anglo-saxonne. Grâce à deux vieux dragons qui ont repris du service - Jacob Rothschild, 76 ans, et David Rockefeller, 96 ans -, la City et Wall Street font à nouveau cause commune".
Les noms Rothschild et Rockefeller sont emblématiques de l'histoire du libéralisme anglo-saxon, au point que l'on trouve beaucoup d'analystes pour expliquer l'organisation de la finance par l'identité permanente de lignées financières. Il est complotiste dans un sens rigoureux d'expliquer la domination politique par des lignées de financiers ou d'industriels cachés mais permanents.
Cet article a le mérite de rappeler les mérites de Lord Jacob Rothschild que de David Rockefeller, qui illustrent par les actions de leur dynastie respective, l'évolution des places fortes de Wall Street et de la City vers la mondialisation. Il serait simpliste d'inférer que ces deux noms fameux sont les dirigeants occultes du capitalisme mondial.
Il n'est pas possible que le pouvoir soit rendu par les mêmes familles, sans quoi ce pouvoir serait visible et perdrait sa principale faculté  : sa solidité toute-puissante du fait de son ancrage dans le fantasme, et non dans le réel. Dans le fantasme, le principal avantage est qu'on substitue à des faits indispensables à la tenue d'une enquête rigoureuse quelques pistes vagues et quelques insinuations confuses. Les indices partiels et morcelés deviennent des évidences à partir du moment où l'on s'en tient à des rumeurs et des doutes.
David Rockefeller est milliardaire, descend d'une prestigieuse lignée pétrolière, dans laquelle son grand-père fut l'homme le plus riche du monde? Jacob Rosthchild descend des banquiers attitrés de la famille royale d'Angleterre au dix-neuvième siècle et dirige une des plus grandes compagnies d'assurance du monde (parmi d'autres actifs)? On aurait pu ajouter qu'il détient un rôle autrement plus considérable que les Rockefeller dans la finance mondiale en tant que membre de l'oligarchie de la City proche de l'aristocratie britannique et ayant participé à son haut fait, que jamais Roche ne précise et qui pourtant est l'action la plus importante de son pedigree : avoir démantelé les accords de Breton Woods en 1971 avec la dématérialisation du dollar (avec la constitution du groupe interbancaire Inter Alpha).
Lord Rothschild personnifie le passage du Big Bang de 1986 de méthodes de gestion classiques à la dérégulation qui a abouti aux excès et à la faillite. Comme un symbole, il a rompu avec la branche britannique de la banque familiale des Rothschild pour reprendre le secteur RIT et lancer des alliances avec d'autres noms influents de la finance dans la City.
Même si aujourd'hui Roche nous berce de l'air du vieux fauve réconcilié avec les siens et apaisé avec lui-même, l'on voit comment fonctionne l'oligarchie : non grâce à l'identité enfin trouvée, émanant de familles, de dynasties et d'individus aux propriétés stables, mais par l'identité morcelée, fluctuante et éphémère, friable et différante, de réseaux, dans lesquels on retrouve des familles et des individus, qui en aucun cas ne forment des identités complètes et stables.
S'il est puéril de considérer que quelques individus détiennent le pouvoir et le conservent de manière cachée, diabolique et toute-puissante, c'est que l'identité du pouvoir oscille entre deux tendances : soit il est visible, officiel et reconnu, auquel cas il peut prétendre à une certaine identité (une certaine stabilité); soit il est caché, auquel cas, il devient plus fragile, friable, éphémère et morcelé. Les tentatives de décrire un pouvoir d'autant plus néfaste qu'il serait caché ne reposent pas seulement sur la paresse intellectuelle d'esprits vulgaires trop ravis de constater qu'ils détiennent le moyen de maîtriser en quelques minutes et clics ce qui nécessitait auparavant plusieurs années de dur labeur.
Le simplisme se trouve au service de la cause que défend le complot utilisé comme explication fondamentale à l'histoire : le complot sert la loi du plus fort, non la dénonciation des puissants toujours méchants (le ressentiment et la vulgarité sont explicites, ainsi que l'ignorance et l'illusion), en proposant une conception dans laquelle le mal dirige les affaires, les hommes sont maîtres de leur histoire au point de diriger par des complots. 
Le pessimisme souffre d'une contradiction interne : il n'explique nullement comment le monde peut continuer à être tout en allant de mal en pis - comment la destruction peut être indéfinie. Si Schopenhauer est plus le maître de l'absurde que du pessimisme, son absurde recèle le même coefficient de contradiction, n'expliquant nullement comment l'absurde peut continuer à avoir du sens - comment Schopenhauer lui-même peut réussir à théoriser de manière rationnelle l'irrationalisme qu'il distingue et dont il se fait fort d'être le héraut.



"Le retour des barons flingueurs.

Au-delà de l'argent et de la réussite, de la puissance et de la gloire, ces deux noms symboles font rêver : Rothschild et Rockefeller. Ce sont des noms qui effacent les prénoms.
L'alliance stratégique conclue le 30 mai entre RIT Capital Partners, présidée par leBritannique Lord Jacob Rothschild, et la société américaine Rockefeller FinancialServices marque le retour de ces deux figures emblématiques de la finance anglo-saxonne. Grâce à deux vieux dragons qui ont repris du service - Jacob Rothschild, 76 ans, et David Rockefeller, 96 ans -, la City et Wall Street font à nouveau cause commune. Pour le meilleur comme pour le pire...
Comme il est difficile, quand on entre dans la vie professionnelle doté d'un tel patronyme, de prétendre être autre chose qu'un héritier ! Pourtant, l'intensité et la nature de la passion des deux patriarches pour les affaires font d'eux des personnages d'une autre envergure que de simples fils à papa pour qui le hasard a toujours pris l'aspect de la fortune. Refusant de vivre de leurs rentes, ils ont réussi à mêler la tradition familiale qu'ils vénèrent et le désir de se réaliser. Du grand art...
Fils du baron Victor, officier du renseignement et savant, Jacob a fondé RIT Capital à la suite de deux graves revers. Ce banquier d'affaires, rusé et ambitieux, avait d'abord perdu les commandes du vénérable établissement londonien NM Rothschild & Sons en 1980 au profit de son cousin Evelyn, le principal actionnaire hostile à son projet de mise en Bourse de la banque d'affaires.
Ensuite, sa participation, en 1989, aux côtés de deux autres raiders célébrissimes, James Goldsmith et Kerry Packer, à l'OPA gigantesque ratée contre le conglomérat britannique BAT Industries avait discrédité ce businessman hors pair.
Le quatrième baron Rothschild, si désireux d'exister par lui-même, entendait volerde ses propres ailes. Après le suicide, en 1996 à Paris, de son demi-frère Amschel, qui présidait le département gestion de patrimoine de NM Rothschild, la désignation du cousin français David de Rothschild comme dauphin de l'ennemi juré d'alors, Evelyn, l'avait éloigné de l'orbite de la galaxie familiale.
On ne présente plus David Rockefeller, ex-président de la banque de détail Chase Manhattan (qui a fusionné en 2001 avec JP Morgan). Cette star de Wall Street est le petit-fils du magnat du pétrole John D. Rockefeller, qui avait fondé en 1882 Rockefeller Financial Services pour gérer la fortune du clan. Prototype par excellence du robber baron, ces "barons voleurs" du XIXe siècle honnis en raison de leurs abus, John D. Rockefeller avait fondé le premier monopole aux Etats-Unis avec la compagnie pétrolière Standard Oil. A coups d'audace, de poigne et avec l'aide de quelques amis puissants, boucaniers de la finance et politiciens corrompus...
Rockefeller appartient aussi à une grande famille WASP (white anglo-saxon protestant, c'est-à-dire Blancs anglo-saxons protestants) de la Côte est des Etats-Unis.
Le judaïsme a cimenté la dynastie des Rothschild, "prince des banquiers et banquier des princes". Et, à l'inverse des Morgan, la lignée Rockefeller n'est pas marquée par une tendance à l'antisémitisme présente dans l'aristocratie WASP comme en témoigne l'alliance entre William Rockefeller et la banque Kuhn, Loeb & Company dans la bataille en 1901 pour le contrôle de la ligne de chemin de ferNorthern Pacific.
Fréquentant les mêmes cercles de l'establishment transatlantique, en particulier la Commission trilatérale, David Rockefeller connaît Lord Jacob Rothschild depuis des lustres.
Dernier point commun entre les deux papys de la finance, la philanthropie haut de gamme. Jacob et David apparaissent chacun comme la figure même du mécène contemporain qui encourage les arts. A la tête de la Rothschild Foundation, le premier, collectionneur raffiné dont la soif d'oeuvres n'est jamais assouvie, a ouvert les trésors de son château de Waddesdon au public.
Quant à la Rockefeller Foundation, organisation caritative privée, elle a été fondée en 1913 pour promouvoir "le bien-être de l'humanité dans le monde".
"Toute mon éducation a été guidée par la devise familiale - "concorde, travail, intégrité". On m'a critiqué par la suite pour ne pas avoir respecté le premier principe, mais je plaide non-coupable", nous déclarait Lord Jacob lors du lancement de RIT Capital. Outre l'ancrage à la dynastie Rockefeller, le financier de haut vol s'est progressivement réconcilié avec les siens.
Après une rupture de trois décennies, le milliardaire est désormais en bons termes avec son cousin Evelyn. His Lordship a soutenu le rapprochement des maisons britannique et française sous l'égide de David de Rothschild. Enfin, en son fils Nat, jongleur d'entreprises et héraut des hedge funds, le franc-tireur a trouvé un successeur digne de son épopée.
Banquier talentueux et aujourd'hui comblé, Lord Jacob, que les conventions ennuient, reconnaît un attrait pour le défi à l'ordre établi. Ainsi, il a récemment exprimé sa "sympathie" envers les "indignés", mouvement de contestation citoyen du capitalisme financier.
Ce "croisé" de la libre entreprise s'est permis une petite phrase bien provocatrice :"Une société où le chômage des jeunes dépasse les 20 % est inacceptable." Dont acte...
roche@lemonde.fr
Marc Roche, Lettre de la City"

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