lundi 28 mars 2011

Et ta nation?

Quand on joue au tennis, on a besoin d'une tactique qui trouve sa correspondance dans le réel.
Ou :
L'intelligence dans un jeu correspond à la tactique réelle.

Au moment où le journaliste économique Pierre Jovanovic appelle implicitement à voter en faveur de Marine Le Pen, candidate néo-nationaliste patentée et promue par les médias dominants français comme la figure emblématique du repoussoir au libéralisme institutionnel, que tous ceux qui ont adhéré à ses discours allumés et illuminés concernant l'Apocalypse financière lèvent la main. Car les thuriféraires et autres zélateurs ne relèvent souvent pas des rangs du nationalisme, mais du complotisme puéril et paumé. Du coup, ils ne se rendent pas compte qu'il est extrêmement dangereux de mettre en garde contre le chaos financier sans rien proposer en échange.
On finit comme pour Jovanovic par promouvoir l'un des porte-paroles de la City de Londres, Ambrose Evans-Pritchard, et par encourager à voter Marine Le Pen, qui tient un discours d'islamophobie et de xénophobie néo-poujadiste reprenant les axes les plus arriérés du choc des civilisations. C'est-à-dire qu'on promeut la violence politique en guise d'alternative contre la crise financière. Défendre les méthodes de la City de Londres contre la crise financière relève d'un prodige qui suffit à démasquer l'entreprise d'un Jovanovic. Mais tenir pour constructeur le vote Marine signe la fin de l'engagement crédible : on ne peut se déclarer en faveur de Marine Le Pen et dénoncer la crise financière dont les conséquences sont d'ores et déjà terribles pour les classes moyennes occidentales.
Jovanovic appartient à cette cohorte de critiques plus ou moins virulents qui optent pour la solution du pire face à un problème. Solution de la violence. Dans le même temps, il se distingue par la dénonciation des méfaits de Wall Street et de la banque anglo-américaine J. P. Morgan. Ce qui pourrait passer pour du courage relève de l'escroquerie analytique. Car un examen à peine détaillé révèle que les intérêts bancaires Morgan sur le sol américain sont manipulés depuis leur avènement par les intérêts financiers autour de la City de Londres.
Ce qui revient à expliquer que ce sont les intérêts financiers qui gouvernent aux Etats-Unis le domaine politique et qui contrôlent de fait la Maison Blanche ou le Capitole. L'escroquerie apocalyptique de Jovanovic recoupe comme par enchantement un autre soutien plus ou moins implicite et détourné de Marine Le Pen, qui se voudrait lui aussi et avant tout opposé à l'impérialisme américain, Soral.
Soral prétend avoir démissionné du Front National, mais il suffit de le suivre un peu pour se rendre compte qu'il se positionne en tant que soutien idéologique du Front National, et de Marine Le Pen en particulier. En jouant contre les juifs (plus ou moins sionistes, plus ou moins israéliens), il valide la choc des civilisations qu'il prétend combattre et il propose une variante similaire à la stratégie de Marine Le Pen, consistant pour le moment à s'en prendre au bouc émissaire des immigrés musulmans en France.
Parmi ses citations fondamentales, Soral ne cesse d'expliquer, avec raison, que l'on mesure l'opposition véritable contre un système à l'exclusion dont le système en question vous gratifie. C'est ici que l'on se rend compte de l'escroquerie intellectuelle et politique perpétrée par Marine Le Pen, qui se voudrait d'autant plus contre le système qu'elle se trouve promue par le même système; mais aussi de ses soutiens soi-disant indépendants et libres, comme Jovanovic et Soral. Car le dernier livre de Soral est en passe de devenir un succès de librairie impressionnant, alors que les révélations qu'il y effectue, si elles étaient véritablement subversives et décisives, devraient lui valoir, non seulement une censure véritable, mais surtout des attaques personnelles et juridiques pires encore que celles qu'endura le journaliste Denis Robert pour ses livres à propos de l'affaire Clearstream.
Le propre de Soral est de dénoncer l'impérialisme américain dirigé par sa branche sioniste. Soral ne serait pas loin plutôt de dénoncer le sionisme qui contrôlerait les Etats-Unis. Parfois, il semblerait aussi que Soral s'égare et qu'il confonde le sionisme, Israël et les juifs. Pourquoi un tel succès pour une analyse géopolitique qui allie l'erreur d'identification avec l'absence de toute alternative? Précisément parce que le but de l'impérialisme est de détruire les Etats-nations, dont l'Etat-nation le plus cohérent et dominateur, les Etats-Unis.
Dans cette optique, Soral est promu éditorialement et commercialement parce qu'il sert l'impérialisme véritable en s'en prenant à l'Etat-nation. Non seulement Soral opère une diversion quant à l'identification de l'impérialisme, mais encore sa grossière erreur émanant d'un soi-disant spécialiste de stratégie politique lui permet de renforcer l'impérialisme qu'il combattrait avec courage en contribuant à détruire l'Etat-nation. La mauvaise identification de l'impérialisme permet à Soral d'amalgamer l'Etat-nation des Etats-Unis avec l'impérialisme britannique.
Le plus drôle dans les critiques acerbes ou les louanges dithyrambiques qu'il reçoit est qu'on ne remarque jamais que le propos de Soral sert l'impérialisme mal identifié. C'est pourtant évident, dès le sous-titre de son inoubliable opuscule au service de l'Empire britannique via la dénonciation de l'Empire américain : Demain la gouvernance globale ou la révolte des Nations? Il est significatif que l'expression d'Etat-nation ne soit pas mentionnée, mais remplacée simplement par : Nation.
Venant d'un individu qui se prétend intellectuel éclairé et cultivé, ce ne peut être une erreur. Un alternationaliste cultivé ne peut remplacer par erreur ou mégarde l'Etat-nation par la Nation. Un intellectuel prétendant dénoncer l'impérialisme ne peut oublier que la Paix de Westphalie (1647) accoucha de la création de l'Etat-nation, qui implique la superposition d'un lieu avec un sens collectif. L'Etat-nation fournit la forme politique à un peuple, quand la nation seule en demeure aux limbes de l'Etat-nation : la nation se borne à proposer un sens et un lieu qui ne sont pas superposés et interconnectés (reliés).
Du coup, la référence à la nation seule, sans l'apposition de l'Etat-nation, permet contre l'Etat-nation de favoriser l'émergence de fédérations antirépublicaines et oligarchiques. L'Etat-nation est la trouvaille politique moderne majeure contre l'oligarchie qui polluait les relations européennes (allant jusqu'à déchaîner les guerres de religion). L'Etat-nation permet la représentation populaire, quand la simple nation empêche cette représentation.
Théoriquement, nous tenons ici l'explication pour laquelle :
- un nationaliste de quelque obédience que ce soit est un farouche adversaire de l'Etat-nation;
- un farouche complice de l'impérialisme;
- pourquoi enfin historiquement les nationalismes contemporains, en particulier le fascisme italien et le nazisme allemand, furent contre les intérêts populistes (qu'ils revendiquaient pourtant pour une large part) et sous la coupe de grands cartels non seulement nationaux, mais internationaux.
La référence à la nation seule empêche toute décision, soit décapite l'intérêt populaire. Cette référence tronquée et partielle explique que Soral soit nationaliste à la sauce alter, une position qui est à la mode en ce moment, et qui est promulguée par les intellectuels de l'extrême-droite dure et internationaliste, proche de la mouvance du GRECE d'Alain de Benoist. On comprend l'alliance objective de Soral et de Jovanovic autour de cette nation expurgée de son Etat décisionnaire : de la même manière que Jovanovic voue une admiration profonde aux représentants de l'Empire britannique dans la presse économique; de même Soral prépare l'avènement de l'impérialisme véritable en s'en prenant à l'impérialisme de l'Etat-nation et en promulguant la nation tronquée à la place de l'Etat-nation.
C'est dire que Soral est un impérialiste sous couvert d'adaptation du nationalisme à la vision internationale (d'où le vocable d'alternationaliste). Soral est l'allié objectif des trotskistes qu'il combat tant dans ses écrits et ses diatribes médiatiques en promouvant le fédéralisme sous couvert de dialogue entre les différents nationalismes. Où l'on comprend pourquoi actuellement la vague nationaliste est en train de submerger les Etats-nations d'Occident en proie à leur plus terrible crise existentielle et systémique : sous couvert de protéger les peuples par le nationalisme tolérant (l'alternationalisme), il s'agit de servir le fédéralisme par le masque impérialiste du nationalisme.
La montée en puissance politique de Marine Le Pen, qui remet au goût du jour et à la mode libérale les excès de son père; le succès de librairie de Soral qui devrait être censuré s'il dénonçait vraiment l'impérialisme financier sous sa forme effective et non pas sous une supercherie puérile et haineuse; les conseils bienveillants du pourfendeur des entourloupes financières et de l'Apocalypse financière Jovanovic à soutenir la candidate nationaliste Marine Le Pen ne sont pas davantage une surprise inexplicable : car le pourfendeur des magouilles financières cible J.P Morgan la banque américaine de Wall Street, comme Soral cible Wall Street et comme Marine Le Pen cible les Etats-Unis.
Tous participent à la destruction des Etats-nations et leur remplacement par des forces fédérales qui ne peuvent que promouvoir l'impérialisme véritable. L'impérialisme se situe contre la possibilité de l'Etat-nation; quand le nationalisme a pour ennemi véritable l'Etat-nation. Du coup, non seulement l'impérialisme a pour allié objectif le nationalisme, quoiqu'en prétende un idéologue comme Soral, mais encore il est parfaitement cohérent que le recours politique au nationalisme pourtant abject et violent survienne en période de crise et d'effondrement du libéralisme.
Le nationalisme n'est pas l'adversaire du libéralisme. Il en est la forme inavouable et systématique en période d'effondrement. Et le libéralisme ne peut mener qu'à l'effondrement, puisqu'il repose sur un équilibre fondamental faux, la fameuse main invisible qui tel un deux ex machina viendrait rééquilibrer de manière providentielle et irrationnelle les marchés commerciaux soumis à la loi du plus fort. Le nationalisme est le faux adversaire du libéralisme. Il en est une forme terminale si l'on veut.
Pourquoi le nationalisme se présente-t-il comme adversaire nécessaire du libéralisme, soit sous une forme antagoniste, alors qu'il serait une forme alliée et interne au processus libéral? Parce que le propre du négatif est d'encourager le positif tout en le combattant. Le négatif ne contient aucune alternative conséquente, mais s'oppose au positif. Idem avec le nationalisme qui est purement négativiste et qui sert le libéralisme qu'il prétend combattre de façon creuse et stérile.
Reste à comprendre que la démarche d'un Soral est singulièrement proche de la démarche des intellectuels du GRECE, défendant un nationalisme fédéraliste de type européen et païen, qui pourrait tout à fait s'accommoder, malgré quelques différences superficielles, avec les théories délivrée par l'idéologue Cooper à propos de l'impérialisme européen postmoderne. Soral se montre très élogieux à propos d'Alain de Benoist, qui serait une forme de parrain pour lui dans le monde intellectuel. Il est vrai que Benoist promeut lui aussi une forme de transversalité déconcertante entre la droite et la gauche démocratiques et libérales, que Soral résume de manière très publicitaire par le slogan : "Droite des valeurs, gauche du travail".
Soral cite souvent Marx pour se réclamer de la hiérarchisation des problèmes dans un jugement. Il rappelle moins souvent que cette conception est également partagée par Carl Schmitt, qui fut le juriste du IIIème Reich et qui n'était pas un nazi, mais un ultraconservateur s'accommodant du nazisme pour faire triompher sa ligne extrêmement dure en faveur de l'oligarchie : l'immobilisme social et politique absolu au service des classes dominantes. Or le GRECE est l'apologue pompeux de la thèse de Carl Schmitt dite de la quatrième théorie (ou quatrièmenomos).
Selon cette théorie, qui explique pourquoi Soral s'emploie tant à parler d'alternationalisme comme une évolution enfin positive et accomplie du nationalisme indéfendable, "selon laquelle après l'échec patent ou potentiel des trois grandes théories qui se sont imposées au monde par le biais de la modernité occidentale, fascismes, communisme, libéralisme, s'ouvre l'ère d'une « quatrième vision du monde » dont on ne pourrait encore cerner les contours précis, mais qui devrait prendre en compte le nouveau multilatéralisme international issu de la décomposition de l'hégémonie occidentale ayant prévalu jusqu'ici" (selon Wikipédia).
Toujours selon cette source, c'est Benosit en personne qui a prononcé un discours en ce sens lors du quarantième anniversaire du GRECE, en 2008. On notera que nous nous situons dans cette configuration où la décomposition du libéralisme touche l'Occident. Mais cette quatrième alternative n'étant pas précisée explicitement, elle ne saurait en aucun cas constituer une solution nouvelle ou originale, mais la perpétuation croissante du libéralisme sous sa dernière forme.
Le nationalisme devient bel et bien la dernière forme, peut-être la quatrième, du libéralisme. Le plus significatif est que Schmitt promeut le multiculturalisme international, qui ne peut dans sa vision nationaliste que déboucher sur des formes fédéralistes qui coïncident avec le gouvernement mondial de type keynésien auquel Soral et les alternationalistes s'opposeraient. Nous sommes contraints à un jeu de dupes avec le nationalisme, qui soutient les forces ultralibérales en prétendant les combattre. Car Schmitt soutient les forces les plus dures du libéralisme, comme le régime nazi était financé par ces mêmes forces.
Suivant cette vision politique et idéologique du monde défendue par Schmitt, on comprend pourquoi Benoist oscille entre gauche et droite, à la recherche d'une quatrième voie qui est mystérieuse, quoique théorisée toujours par des cercles nationalistes d'obédience occidentaliste (au sens premier) et païenne. On comprend tout aussi bien pourquoi Soral se réclame de l'alternationalisme, tout autant de la gauche que de la droite réunies. On comprend que Marine Le Pen surgisse en pleine période française d'effondrement terminal du libéralisme.
On comprend que tout ce beau monde s'en prenne au premier Etat-nation contemporain, les Etats-Unis, en tant que foyer de l'impérialisme, alors que l'impérialisme britannique véritable et vérifiable reste largement tu et dénié. Curieuse erreur et omission révélatrice de la part d'intellectuels censés nous éclairer sur la situation politique internationale... Pendant ce temps, où l'on estime de plus en plus que les nationalistes pourraient constituer l'alternative innovante au libéralisme, cette quatrième forme aussi utopique qu'alter, ceux qui s'opposent à l'impérialisme en l'opposant à l'Etat-nation, ceux qui défendent la forme de l'Etat-nation comme seul garant contre l'impérialisme anti-Etat-nation, ces militants politiques, au rôle primordial dans une époque d'effondrement systémique, se trouvent accusés de toutes les fautes, les plus fausses, racisme, antisémitisme, néo-nazisme, homophobie, sectarisme...
Je veux parler des larouchistes. L'observateur lucide, se rappelant que l'opposition authentique génère la persécution sévère, vérifie à l'aune des calomnies et des persécutions encourues que les larouchistes constituent des opposants au libéralisme, tandis que ce libéralisme promeut le nationalisme du fait de sa parenté et malgré son soi-disant antagonisme. On peut bien entendu ne pas être d'accord avec toutes les thèses défendues par les larouchistes, à condition de prendre la peine de les connaître et des les distinguer de leurs calomnies grossières. La calomnie agit comme un puissant brouilleur qui empêche de savoir la vérité et qui sème la confusion en lieu et place.
A ma connaissance, dans le débat politique, les larouchistes sont les seuls à dénoncer l'Empire britannique et à défendre la forme de l'Etat-nation. Raison pour laquelle ils occupent une place quantitative si marginale sur la scène internationale. Mais raison aussi pour laquelle leurs idées sont si riches et si importantes qualitativement. Ce sont autour de ces alternatives au libéralisme que les nouvelles formes de postlibéralisme émergeront. J'appelle de tous mes voeux l'émergence d'autres formes d'alternatives que la forme larouchiste, qui ne pourront que rendre plus importantes les idées relayées par les larouchistes, émanant en particulier des initiatives du Président américain démocrate F.D. Roosevelt, un ennemi notoire des fascismes.

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