jeudi 17 mars 2011

Politique chaotique

Le principe géopolitique de l'Empire britannique se montre à l'oeuvre dans l'emblématique autant que chaotique Libye : gérer les deux opposés d'un certain système afin d'empêcher le changement. Principe qui implique que l'on crée des dissensions et des rivalités à condition qu'elles se meuvent sous contrôle égal du dominateur. On trouve un exemple frappant de cette stratégie en Libye où les Occidentaux autour de l'Empire britannique ont armé via le Qatar notamment les insurgés venus de Benghazi après avoir soutenu largement les forces fidèles au Colonel, y compris durant son isolement diplomatique de la scène internationale.
Une information qui serait à creuser par ces temps où en matière de moralisme, les gouvernements occidentaux annoncent le gel des avoirs libyens, c'est : pourquoi ne parle-t-on pas davantage des placements que les investisseurs libyens ont effectués dans des places opaques comme Dubaï, qui est un des hauts lieux de l'Empire britannique, au point d'avoir pris la succession de l'enclave Hong-Kong?
Les marchands d'armes illustrent cette stratégie toujours gagnante (le fantasme de la maîtrise du réel), que l'on retrouve exposée dans le film Lord of War : les marchands d'armes livrent à la fois les insurgés opposés à Kadhafi et le clan Kadhafi, très proche de Blair et d'autres têtes pe(n)santes de l'Empire britannique. Mais cette stratégie du contrôle des parties ennemies n'est viable que dans un système impérialiste qui se porte bien. Pendant trente ans, les Egyptiens ont enduré le régime corrompu de Moubarak, dont on dénonçait la tutelle impérialiste américaine à tort.
Car les placements du clan Moubarak indiquent mieux qu'un long discours l'influence de l'Empire britannique via l'influence politique et officielle des Etats-Unis. L'effondrement en série des dictatures en Afrique n'est compris adéquatement que si on lui applique deux grilles de lecture globales :
1) c'est un effondrement qui n'est pas circonscrit à une zone géographique, mais qui est général, directement causé par l'hyperinflation alimentaire (annonçant une vague d'hyperinflation carabinées de type Weimar);
2) cet effondrement n'est pas maîtrisé par une volonté manipulatrice de type complotiste (comme ce fut souvent le cas en Afrique, n'en déplaise aux contempteurs hypocrites du complotisme paranoïaque). La politique du chaos qui a été décidée en haut lieu ces derniers mois commence à s'appliquer aux dominions et aux marches de l'Empire; puis elle reviendra petit à petit, telle un boomerang, dans les pays d'Occident. Cette politique du chaos est une politique chaotique en ce qu'elle n'est nullement maîtrisée, mais qu'elle est lancée précisément pour s'adapter à l'effondrement des forces vives de l'Empire.
La stratégie du chaos illustre l'adaptation de la stratégie impérialiste à la décadence des forces impérialistes. Du coup, on précipite avec un danger certain et incontrôlé le chaos en oubliant que le chaos est l'annonciateur du KO. Prêts à tout pour conserver leur pouvoir condamné et avarié, les cercles de l'Empire britannique déchaînent le feu en sachant très bien qu'ils tirent leurs dernières cartouches.
A cet égard, la situation du satrape déjanté et farfelu Kadhafi, mélange de roublardise du désert et de psychose hallucinée, indique une fois de plus la situation de l'Empire britannique (son vérifiable protecteur depuis ces quarante années de Troisième voie plus fabienne qu'islamo-socialiste) : Kadhafi, qui a repris du poil de la bête dans cette insurrection, n'en sortira pas renforcé et vainqueur. Le pire n'est pas passé pour lui. Kadhafi doit céder la main et s'il ne sait pas assurer la transition, il finira comme Saddam (sa grande peur).
Idem pour les cercles oligarchiques de l'Empire britannique : l'Empire est condamné et doit assurer sa transition - un peu comme à l'époque transitoire de Venise. Deux alternatives sont opposées : soit l'Empire britannique disparaît définitivement et restera dans l'histoire comme un Empire dominateur qui finit en forces disparates et déclinantes; soit l'Empire déménage, pour commencer dans des territoires provisoires, comme les Provinces-Unies à l'époque de la République de Venise; puis, de manière définitive et assurée, dans une colonie, par exemple la Corée ou le Brésil.
Voilà qui expliquerait pourquoi Kadhafi en mesures de rétorsions propose à des puissances émergentes comme l'Inde, la Chine ou la Russie de prendre la succession des concessions pétrolières et gazières tenues par des compagnies occidentales (comme l'emblématique BP). Ce qui pourrait passer pour un discours anti-occidental et anti-impérialiste se révèlera une ruse impérialiste axée sur l'avenir : Kadhafi s'adresserait déjà à cette mutation indispensable de l'Empire britannique, lui qui a servi les forces autour de Tony Blair, de Sir Mark Allen ou de Lord Jacob Rothschild (des dignes et valeureux représentants des cercles monarchiques britanniques).
Ce serait un marché aussi vicieux qu'improbable : je suis prêt à assurer la relève de l'Empire britannique sous couvert de punir les Etats-nations d'Occident. Je suis prêt à servir le programme d'oligarchisation du monde en abreuvant de pétrole ou de gaz la Chine, la Russie ou l'Inde, qui se développent sur un modèle typiquement oligarchique et impérialiste plus compatible avec l'impérialisme que le modèle des Etats-nations d'Occident (république et démocratie). Je sers la relève de l'Empire britannique et j'assure ma propre relève.
Kadhafi n'a jamais servi que son clan des Kadhafs en Libye (et encore) et a trouvé le partenaire correspondant avec les factions dominatrices et protectrices (quoique fourbes) de l'Empire britannique. Tout comme l'adversaire de l'Empire britannique reste l'Etat-nation, surtout l'Etat-nation le plus puissant du monde (les Etats-Unis soi-disant impérialistes), de même l'ennemi de Kadhafi est de fait l'Etat-nation, dont il ne cesse de dénoncer l'impérialisme dans un délicieux mensonge volontaire et avéré. Maintenant que l'Empire britannique n'arrive plus à gérer les deux opposés d'un lieu colonisé pour empêcher le changement, il lance la politique du chaos. Et son satrape le plus déjanté dans la région (peut-être?), ce Kadhafi imprévisible et madré, essaye de parer le chaos en promouvant l'impérialisme succédant à l'Empire britannique condamné.
Kadhafi se déclare en faveur de l'oligarchisation du monde, soit du NOM, à condition que cette stratégie lui soit favorable. Marché de dupes ou de salauds : je vous aide à assurer votre propre transition et en échange, vous me fichez la paix. J'assurerai ma propre transition ultralibérale et impérialiste en donnant les clés du pouvoir officiel en Libye à des membres de mon clan. Moi aussi j'aurai changé, tout en m'assurant que ce changement soit contrôlé par l'inertie de la répétition.

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