lundi 25 juillet 2011

De quoi la contradiction est-elle le NOM?

Le jeudi 14 juillet, Eva Joly, candidate du subit et récent parti consensuel de la gauche écologique française Europe Ecologie (création en 2007 pour les élections européennes de 2009), a proposé de supprimer le défilé militaire du 14 juillet aux Champs-Elysées et de le remplacer par une procession de citoyens. Notre ex-juge incorruptible et vertueuse a dressé l'éloge de l'être-ensemble et du vivre-ensemble, des valeurs qui sonnent de plus en plus creux à mesure que des politiciens sans initiative autre que quelques idées saugrenues s'en emparent pour jouer la carte de l'initiative et de la profondeur. Eva Joly a justifié son idée audacieuse en insistant sur le fait que "ce n'est pas des valeurs que nous portons (...). Je pense que le temps est venu de supprimer les défilés militaires du 14 juillet parce que ça correspond à une autre période."
Quelles sont les valeurs écologistes de gauche? Il s'agit de remplacer le progressisme politique et social (le collectivisme socialiste ou communiste) par un progressisme sociétal et événementiel, dépolitisé au plus haut point - où l'écologie de gauche remplace la politique et rejoint la dépolitisation. La contradiction est palpable dans le discours d'Eva Joly, qui n'est pas pour rien la candidate succédant à cette figure du monétarisme européen et de l'intelligentsia bobo-libertaro-ultralibérale Cohn-Bendit, qui lutte contre les Etats-nations au nom d'une Europe financière dont on mesure le résultat désastreux et qui ruine la proposition alternative d'une Europe fédérale de type politique.
Notre candidate Joly montre à quel point elle est dangereuse quand elle se déclare favorable à la guerre en Libye, non seulement avec l'application de la résolution de l'ONU, qui sous des motifs démocratiques et humanitaires hypocrites et pervers autorise la protection des civils libyens par des avions de l'OTAN (jouant sur les maux, nos joujous sont en train de détruire le pays et le peuple libyens et de favoriser l'émergence de régimes révolutionnaires ouverts et démocratiques, entre extrémisme monarchiste et fanatisme islamiste); mais encore avec une proposition novatrice qui ferait passer la proposition de l'abolition du 14 juillet militaire pour de la petite bière : sur le site Rue 89 (tendance gauche bobo-libertaire) début juin, Eva Joly propose rien moins que d'envoyer en Libye l'armée au sol.
"Il est difficile de mener une guerre sans troupes au sol. On a mis des hélicoptères pour essayer d’augmenter la performance de ces interventions. Nous savions depuis le début que ça serait difficile, dans la mesure où le mandat est limité à l’espace aérien. Si cela se modifie, ça doit être sur décision de l’ONU". Cette idée efficace, qui témoigne de la merveilleuse formation d'Eva Joly à la stratégie militaire, reviendrait à établir un nouveau Vietnam dans le bassin méditerranéen - et une belle boucherie en Libye. La contradiction est patente si l'on examine frontalement les deux déclarations : d'un côté, Joly exige l'antimilitarisme bêlant; de l'autre, elle opte pour la surenchère militariste. Cette contradiction n'en est pas une si l'on jauge de la formidable hypocrisie du droit d'ingérence, qui consiste en gros à légitimer des guerres impérialistes sous des motifs moraux (résultats toujours désastreux en pratique).
Joly est cohérente si l'on considère qu'elle se montre opposée au militarisme dans un Etat-nation - qu'elle aimerait démanteler au profit de la fédération monétariste européenne; et favorable à l'intervention militaire à condition qu'elle s'attaque à un pays étranger à l'Europe et qu'elle soit menée par une structure fédéraliste et opaque comme l'OTAN. A ce stade des déclarations, on voit que l'écologie est le cheval de Troie permettant de légitimer au nom du pacifisme bêlant l'impérialisme ultralibéral et le droit du plus fort. L'arnaque de l'écologie était certes rappelée par l'ancienne figure de proue Cohn-Bendit d'Europe écologie, un libertaire favorable à l'ultralibéralisme apatride et la destruction des Etats-nations protecteurs.
Joly semble de plus en plus se rapprocher du profil de Cohn-Bendit et de ce fait, l'écologie dominante à l'heure actuelle oscille entre le néo-malthusianisme peu dénoncé (et remarqué); et l'impérialisme légitimé par des nouveaux modes de vie aussi utopiques que mensongers. Si le but est de déculpabiliser le bobo qui en faisant son tri d'ordures contribue à la lutte contre la pollution, le fond de l'opération écologique consiste à aligner ce parti déculpabilisateur et dépolitique sur les stratégies de fond de l'ultralibéralisme.
L'opinion publique bien-pensante ne veut pas voir que les opérations écolos sont financées souvent par des intérêts industriels et spéculatifs qui ont peu à voir avec l'écologie, mais qui l'instrumentalisent cyniquement. Je ne citerai comme exemple que le financement du film Home de Yann Arthus-Bertrand (principalement par le groupe PPR de Pinault). L'on pourrait aussi se pencher sur le financement des manifestations contre le nucléaire en Allemagne (Arthus-Bertrand évite le sujet délicat du nucléaire dans son film, alors qu'il se montre plutôt en faveur d'une position pragmatique et positive sur le sujet) : bien souvent les principales associations militantes écologistes antinucléaires sont financées par l'European Climate Fundation, une fondation financée par de nombreux intérêts oligarchiques de la City de Londres (dont le hedge fund TCI).
Les candidats de la gauche écologique française ne sont pas seulement des néo-malthusiens mus par l'esprit du Club de Rome et la décroissance entropique. Les propositions en apparence contradictoires de Joly appelant à supprimer le défilé militaire du 14 juillet en France et à envoyer des troupes au sol en Libye reprennent et redéploient les idées de l'impérialisme postmoderne libéral théorisé par Cooper. Il s'agit bien de détruire les Etats-nations, avec une inflexion : dans le même temps, il convient de rétablir les fédérations non démocratiques (fascistes) à la solde des factions impérialistes. Cooper se lance dans l'apologie débridée de l'impérialisme européen (britannique) : l'homme aurait "besoin d’une nouvelle sorte d’impérialisme, un impérialisme acceptable pour le monde des droits de l’homme et des valeurs cosmopolites" (“The new liberal imperialism”, The Observer, 7 avril 2002.)
Là où Cooper nous explique quelle vision inspire les positions en apparence contradictoires de Joly, c'est concernant la distinction entre les Etats archaïques et la fédération postmoderne européenne : il « faut s’habituer à l’idée du double standard. Entre nous, nous fonctionnons sur la base de lois et de sécurité coopérative. Mais quand nous traitons avec des Etats plus archaïques à l’extérieur du continent postmoderne de l’Europe, nous devons revenir aux méthodes plus dures de l’ère de jadis : la force, l’attaque préventive, la ruse, bref, tout ce qui est requis pour s’occuper de ceux qui vivent encore dans la guerre de ‘tous contre tous’ du XIXe siècle."
Le "double standard" fait d'autant plus référence à la loi du plus fort que la caution théorique déployée renvoie à l'un des idéologues de l'Empire britannique, cet Hobbes partisan affiché du Léviathan, soit de la dictature oligarchique la plus dure pour sortir de la guerre de tous contre tous. La méthode prônée contre les Etats prémodernes et archaïques s'applique à la Libye tribaliste et à son Guide baroque Kadhafi (notamment dans les déclarations virulentes et méprisantes de Joly à son encontre). Cooper prend comme exemple le cas de Saddam, qui ne put résister en 2003 à l'invasion américano-britannique en Irak : "On ne peut pas traiter Saddam Hussein comme on traite son voisin. Si on a un problème avec la France ou l’Allemagne, on négocie. Mais il y a des dirigeants avec lesquels on ne peut pas négocier."
Faut-il pendre Kadhafi? Notre juge Joly semble avoir tranché le noeud cyrénaïque... La contradiction qui semble animer les discours politiciens de Joly se trouve levée quand on lui applique cette remarque de l'idéologue postmoderne Cooper : "Entre nous, nous respectons la loi. Mais quand nous agissons dans la jungle, nous devons utiliser la loi de la jungle". "Entre nous" : Joly abolit le défilé militaire français, symbole de la puissance de l'Etat-nation français. Elle souhaite le remplacer par une fédération européenne postmoderne et impériale, de facture libérale. "Dans la jungle" : par contre, les attaques impérialistes contre les Etats prémodernes et archaïques sont légitimes et obéissent à des lois impitoyables - d'où la revendication de l'action militaire terrestre.
Dernière remarque du gourou Cooper qui décrypte les propos surprenants de Joly : "Dans le passé, les impérialistes avaient l’habitude d’exploiter les gens ; maintenant on les paye. Comme résultat, les tentations d’impérialisme sont assez limitées". Les guerres impérialistes sont d'autant plus limitées à quelques impératifs (comme actuellement en Orient au sens large pour endiguer les révoltes populaires du Printemps arabe) que le pouvoir militaire impérialiste se trouve subordonné au pouvoir finnacier. Les discours écologistes néo-malthusiens d'une Joly cautionnent l'effondrement du pouvoir militaire impérialiste au profit d'un accroissement de la domination oligarchique monétariste.
Comme l'impérialisme postmoderne n'a plus les moyens de mener des guerres impérialistes réussies (exemple intermédiaire en Irak), il se contente de remplacer la domination militaire coûteuse et risquée par une domination économique aboutissant au chaos et à la division dans les zones archaïques et prémodernes où les structures étatiques n'ont pas accédé à l'Etat-nation révolu moderne, désormais rempavé par la structure de la fédération postmoderne et libérale (libéral-impérialisme). Les électeurs de ces partis écolos cautionnent l'impérialisme sous le droit d'ingérence et l'ultralibéralisme sous l'impératif entropique de la décroissance (ou du développement durable).
En France, les propositions écoloillogiques de Joly permettent de mettre en place l'impérialisme européen postmoderne et libéral. Quand on les mesure à cette aune, on comprend la logique qui anime Joly et sert un raisonnement fort peu de gauche, fort peu progressiste, par contre tout à fait destructeur et dominateur. Il suffit pour s'en convaincre de vérifier l'identité des deux références dont un Cooper entoure sa théorie : "Le monde a aussi bien besoin de la loi que de la puissance, de Hobbes que de Grotius." Hobbes est théoricien de l'Empire britannique, Grotius de l'Empire hollandais. L'association harmonieuse des deux permet aux yeux de Cooper le successeur de Grotius de pérenniser l'impérialisme britannique unifié et de l'étendre à l'ensemble de la bannière occidental, des Etats-Unis (la puissance militaire) à l'Union européenne (la puissance bancaire). Une Joly est une représentante française de cette volonté d'impérialisme et d'oligarchie et rappelle à quoi sert l'écologie de gauche néo-malthusienne et libérale : à imposer le "double standard" de la loi du plus fort - servile avec les puissants, méchant avec les faibles.

Aucun commentaire: