vendredi 23 septembre 2011

Que vous arrive-t-il, monsieur Fabius?

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/09/21/97001-20110921FILWWW00384-palestineonu-fabius-veut-savoir.php

Au départ, Laurent Fabius a été victime d'un lynchage médiatique doublé d'une hyperresponsabilisation irresponsable dans l'histoire du sang contaminé. Ce n'est pas parce qu'on est Premier ministre de la France au moment des faits en accusation que l'on est responsable de toutes les décisions politiques et médicales qui y sont prises (je ne parle pas du Rainbow Warrior, hein). Puis Fabius a eu aussi la bonne idée de s'opposer à la ratification par référendum du Traité de Rome de 2004 en 2005 (pour la France). Je n'ai pas que des compliments à adresser au socialiste Fabius, notamment concernant la propension de ses collègues socialistes depuis le vénitien (pardon florentin) Mitterrand à ruiner l'héritage jauréssien, blumien et mendésien pour le remplacer par un compromis confus et intenable entre socialisme et libéralisme, où c'est le carriérisme qui l'emporte. Mais là n'est pas l'essentiel. On serait en droit d'attendre d'un responsable français de première envergure, de par les responsabilités politiques qu'il a exercées, qu'il fasse preuve, sinon de compréhension, du moins de nuance. Surtout quand ce dit responsable a été lui-même victime de campagne de lynchage et s'est retrouvé dans la position nauséabonde du bouc émissaire.
Je sais bien que l'une des manies caractéristiques de la victime est de se transformer en bourreau. Je ne prendrai pour exemple que le cas palestinien dont Fabius nous entretient en priorité dans ce lien électoraliste : comment les sionistes extrémistes qui se trouvent actuellement à la tête de l'Etat israélien osent se comporter de cette manière avec les autochtones palestiniens, niant les exactions coloniales pour à présent traiter les autochtones historiques comme des sous-hommes et les réduire à l'état d'esclaves moribonds et exsangues? L'intervention de Fabius, qui porte en priorité sur le cas palestinien, et le refus possible par les Etats-Unis de reconnaître le pseudo Etat rabougri, racorni, réduit, entend critiquer la politique politicienne du gouvernement Sarkozy, dont il faut rappeler les positions néo-conservatrices typiques et dévastatrices.
Ce faisant, Fabius, que le courage n'étrangle guère, se déconsidère en osant toute honte bue aborder le cas libyen (un massacre typiquement colonial) avec une désinvolture des plus inquiétantes face aux morts, aux blessés, aux traumatismes : Fabius ne considère-t-il pas qu'en Libye, "très bien, pas de problème" (sic)? Des dizaines de milliers de morts - pas de problème? Comme Fabius veut critiquer l'action française récente, il rappelle que "cela n'efface pas tout à fait la collusion passée avec Kadhafi". Certes, c'est une première critique que de rappeler la duplicité déshonorante d'un Sarkozy dans le dossier libyen avec celui qu'il veut désormais assassiner comme Saddam (voire Oussama dans la légitimation symbolique). A ce compte, on pourrait réclamer une enquête parlementaire sur les accusations portées par le fils Kadhafi concernant le financement illégal de la campagne 2007 de Sarko, surtout en cette période de révélations sur les agissements passés de la Françafrique (sans jamais s'attaquer aux réseaux financiers de la City de Londres, qui sont du même acabit que la Françafrique, simplement en plus importants). Mais là n'est pas du tout l'essentiel.
Dans la campagne militaire libyenne, la France, qui est très impliquée dans les opérations sous mandat de l'ONU et sous action aérienne et terrestre de l'OTAN, n'a pas seulement par les bombardements contribué à la mort de dizaine de milliers de civils innocents. Elle a aussi envoyé des forces spéciales au sol, par centaines, sinon milliers, au côté notamment des forces spéciales britanniques, plus nombreuses et plus malmenées (on parle au bas mot de centaines de morts dans les rangs SAS pour la seule prise sanglante et seulement provisoire de Tripoli). Le retour de la relation privilégiée (l'entente formidable) entre la France et la Grande-Bretagne en dit long sur la nature du régime de Sarkozy et sur les accusations historiques qui pèseront plus tard quant au comportement stratégique français. Rien ne permet de légitimer ce que la France, la Grande-Bretagne et l'OTAN ont commis en Libye. Il s'agit d'un crime colonial classique, d'un comportement impérialiste auquel le néo-conservatisme du PNAC nous prépare, mais qu'un soi-disant représentant socialiste ne devrait en aucun cas cautionner.
Pourquoi Fabius ne dénonce-t-il pas les terribles et impardonnables crimes que l'OTAN a commis en Libye et dont la France s'est souillée? Fabius se monterait aussi compromis et aveuglé que les autres représentants politique français, tous bords confondus, qui usant de divers sophismes concernant le régime de Kadhafi ou la possibilité de l'ingérence démocratique, oublient qu'il existe une différence majeure et magistrale entre la personne de Kadhafi, le régime complexe, socialiste et dictatorial de la Jamahiriya instaurée par Kadhafi - et le peuple libyen, qui ne mérite en aucun cas le traitement que lui inflige l'OTAN, punition hypocrite et perverse qui ne se justifie que par la terrible loi du plus fort. Je te bombarde, ça barde.
Un socialiste est un progressiste politique qui croit dans la possibilité d'améliorer le niveau de vie et le niveau culturel de l'ensemble des peuples du monde. A l'aune de cette définition rapide, Fabius ne s'exprime pas en socialiste, mais en oligarque classé à gauche parce qu'il a servi comme Premier ministre de Mitterrand et qu'il s'est toujours exprimé depuis l'étiquette politicienne de socialiste. Je crains qu'à force de duper les citoyens français depuis trente bonnes années, les socialistes actuels, des socio-libéraux corrompus et hypocrites, finissent par enterrer le socialisme historique. Fabius aura sa part de responsabilité dans ce naufrage, même s'il s'est plutôt rangé de la vie politique nationale depuis quelques années - semble-t--il.
Après Rocard crevant l'abcès purulent de DSK le socialiste ultralibéral violant les peuples et accusé de violer certaines jeunes femmes qui lui résistent, Fabius se permet de reprendre les déclarations atlantistes et chaotiques de ses collègues socialistes sur le cas libyen pour commettre un viol cette fois politique et historique. Non, monsieur Fabius, en Libye, il y a un problème, un gros problème, un immense problème. Prenons la ville de Syrte, qui connaît en ce moment le destin de Fallouja en Irak. Ville rasée, ville martyr. Heureusement que de nombreuses sources divergentes nous informent sur Internet autrement que la propagande déversée dans les médias...
Comment peut-on passer sous silence les reconstitutions bollywoodiennes de Tripoli montées au Qatar et exhibées comme si de rien n'était par les médias occidentaux ou affalés? Comment peut-on cautionner le mensonge des journalistes libres puis donner des leçons de démocratie et de morale au monde? Le cas libyen n'est pas seulement circonscrit au peuple libyen martyrisé ou à la cause panafricaine freinée (quoique inarrêtable sur le terme). Le cas libyen exprime ce qui attend l'Occident qui actionne en ce moment la politique du chaos : destruction, retour à l'âge de pierre, fragmentation des États, tribalisation de la société (sur une modèle balkanique) et risque de somalisation, soit d'interminable guerre civile dont les vendeurs d'armes (atlantistes) fourniraient les munitions aux deux parties antagonistes...
Le jour où Fabius prendra la parole pour oser que le roi est nu en Libye comme partout dans le monde, il fera bien plus que l'accès vite réprimé de franchise d'un Rocard dans l'abjecte affaire DSK. Bien plus aussi que le vieux Dumas dont on a du mal à croire dans la sincérité soudaine quand on connaît le parcours pour le moins retors et sinueux par le passé, notamment sous Mitterrand (encore), son modèle en coups tordus... Ne rêvons pas : Fabius incarne la transition du socialisme historique des Jaurès, Blum, Mendès-France et consorts, vers la tromperie socialiste d'un Mitterrand, qui a trahi l'idéal socialiste pour le remplacer par son arrivisme politicien et le mâtiner de libéralisme. Qu'on se souvienne de l'alliance objective de Mitterrand, Thatcher et Bush Sr. pour façonner la trame d'une Europe monétariste aux antipodes de l'Europe politique voulue par les pères fondateurs (de Gaulle, Adenauer et consorts).
L'écart est en train de se creuser et de s'élargir de manière irrémédiable entre les élites politiciennes travaillant pour les milieux financiers opaques et fascistes et les peuples, qui subissent de plein fouet la stratégie oligarchique consistant à détruire les Etats-nations pour les remplacer par des fédérations oligarchiques à la solde des puissants. Non seulement Fabius symbolise cet état de fait inacceptable par son parcours, notamment sous Mitterrand, mais sa prise de parole dans l'affaire libyenne trahit son atlantisme viscéral et le fait que plus personne de notable en Occident dans les milieux corrompus de la classe politicienne n'est en mesure d'affronter la réalité.
La fuite en avant d'un Fabius est à cet égard patente et éclairante. Défendre un État palestinien fantoche et légitimer le massacre colonialiste libyen, au nom d'une logique dont la rationalité nous dépasse, à moins de se souvenir que c'est la loi du pus fort qui meut ce genre de raisonnement, condamne celui qui tient ces positions à se vautrer dans la fange morale, et pis encore à devenir le perroquet des pires instincts et des pires folies. Si bien qu'on se réveille cent ans plus tard et l'on se rend compte que les historiens parlent du massacre de Tripoli, du martyr de Syrte, condamne le colonialisme sioniste, de plus en plus rapproché de la politique de l'apartheid, et se rendent compte que l'OTAN en Libye utilisait des méthodes voisines du sympathique nazisme, et en rupture avec les méthodes de la paix de Westphalie (vive le double standard édicté par Cooper pour l'impérialisme européen postmoderne).
Les historiens disserteront aussi sur la subversion du socialisme par le libéralisme, dont un Fabius est malheureusement un exemple tragique et sordide, en ce qu'il défend des positions indéfendables et inacceptables, cautionnant l'impérialisme sous couvert du mirage de la démocratie libérale, qui expriment le point de vue destructeur et suicidaire des oligarques, des dominants, des dominateurs. Pour un socialiste, c'est pire que peu glorieux - c'est une trahison. Fabius a trahi, le peuple libyen bien sûr, le peuple palestinien, tout autant, mais surtout les principes et l'idéal que le socialisme proposait - le peuple français, donc. Désormais, l'idéal du socialisme, l'idéal républicain progressiste, voire communiste, ne passe plus par l'appellation félonne de "parti socialiste" - parti-pris vite dit.
L'écroulement du socialisme va de pair avec l'écroulement du libéralisme. Le libéralisme s'est écroulé symboliquement en 2009, vingt ans après le tout aussi symbolique mur de Berlin (qui, je tiens à le signaler, a bel et bien des saints). Il est normal que le socialisme ait été passablement atteint par la crise du communisme et qu'il ait survécu provisoirement avec son empoisonnement massif au libéralisme. Mais si un Fabius exprime ce "libéralisme socialiste" étrange et totalement opposé à l'appellation hétérodoxe que lui réservait un Allais (seul prix Nobel d'économie français), son pendant DSK au PS est lui carrément un cran au-dessus dans la désertion idéologique et politique ultralibéral - et "socialiste". La preuve dans cette déclaration désaxée que nous livre Fabius, sous couvert de se livrer à des attaques politiciennes et électoralistes contre le néo-conservateur Sarko (au demeurant histrion indéfendable et déjà discrédité par les historiens, dont le NOM sera fort mineur et passablement oublié au vu de son impéritie et de sa trahison) : il n'est pas possible de traiter avec pareille désinvolture le sujet libyen, les dizaines de milliers de civils assassinés par l'OTAN sous prétexte d'apporter la démocratie te de les protéger du tyran sanguinaire Kadhafi.
L'on peut vérifier dans ce lien par exemple ce qu'est d'ores et déjà l'application la plus brutale du chaos : l'oligarchie dévoilée dans sa toute-puissance, l'arbitraire de sa toute-faiblesse :
http://mai68.org/spip/spip.php?article3209
"La vérité est que le monde est entré dans une nouvelle ère où il devra affronter ses pires démons. Point de place pour le faible, point de place pour les justes, seuls les rapaces s’invitent au banquet où ils veulent mettre eux-mêmes la table. Vivront des miettes qui tombent ceux qui feront preuve de servilité. Ce que les Libyens ont compris en poussant à la folie sanguinaire l’Alliance atlantique".
Et dans ce monde, la position socialiste-libérale contemporaine de Fabius tient toute sa place, tout son rang, toutes ses promesses. Le socialisme libéral d'un Fabius désigne la subversion et la trahison du socialisme historique par le libéralisme, soit le fait d'inculquer l'esprit d'oligarchie, d'élitisme et d'inégalitarisme dans le socialisme; tandis que ce qu'un Allais entendait par socialisme libéral consiste au contraire à combattre les crises inhérentes au libéralisme - de manière à mon avis fort réductrice, car le seul moyen de combattre le libéralisme consiste à proposer une alternative qui sorte du libéralisme. Dans ce contexte, Fabius se contente de condamner les positions politiciennes de l'oligarchie la plus conservatrice et explicite, alors que lui demeure dans les limites de l'oligarchie, mais en prônant à l'intérieur une dissidence oligarchique.
Le progressisme oligarchique n'est jamais que de l'hypocrisie oligarchique. Hypocrisie qui se démasque de manière intolérable avec l'imposture libyenne et l'imposture de la position française en Libye. Ce qu'un socialiste devrait hurler face un massacre libyen, c'est que l'impérialisme sanguinaire n'est pas tolérable; que le cas palestinien exprime de manière synecdoquique la loi du plus fort; et qu'il convient de parler en premier lieu de la cause de tous ces maux nauséabonds. Bien entendu, Fabius n'en parle pas dans cette déclaration (ou ailleurs de manière superficielle et à l'intérieur du prisme libéral). Il aborde de manière déformée et oligarchique les sujets connexes et secondaires; il tait carrément le sujet central - la cause des cas secondaires. Car le plus choquant dans les prises de positions politiciennes de Fabius, ce n'est pas qu'il se trompe lourdement sur les sujets périphériques qu'il aborde pour tancer Sarko (l'apologue de la paille et de la poutre), ou, pis encore, qu'il prenne le secondaire pour le fondamental (au sens où l'on prend des vessies pour des lanternes); c'est qu'il pratique la politique du déni quant au sujet fondamental : non pas la Libye, non pas la Palestine, cruels alibis, mais l'effondrement financier, dont le coeur se tapit à la City de Londres et dont un socialiste ferait bien de nous entretenir en proposant, par exemple, comme remède courageux un véritable Glass-Steagall : la mise en faillite des intérêts financiers en faillite; une politique de crédit public et un plan de croissance culturelle et politique menant vers l'espace.

Aucun commentaire: