Je pense donc je fuis.
Qu'est-ce que la différance, non pas comme concept défini par Derrida et ses suiveurs de la démarche déconstructionniste, mais comme parodie pour définir l'absence d'identité? La différance de Derrida &Co. distingue le sens constamment différé, soit un tour de passe-passe conceptuel pour expliquer que le réel existe, mais qu'il est introuvable, inexplicable. La différance désigne la restriction du sens d'un texte au seul texte qui se suffit à lui-même et qui renverrait au sens autotélique (complet).
Comme la complétude du sens n'existe pas davantage que la complétude du désir chère à Spinoza, elle permet de masquer que le sens invoqué par Derrida et sa clique d'abscons est hyperréducteur et qu'il aboutit à nier le réel extérieur au sens textuel dans une forme vicieuse de postkantisme égaré. La ruse de Spinoza est ici perverse au sens étymologique : dire du sens qu'il est introuvable, c'est rendre impossible le sens. Plus de sens, plus de localisation, plus de possibilité de trouver l'introuvable, de rendre existant l'ailleurs indéfiniment ailleurs.
C'est cette opération de différance qui m'évoque l'identité. Pas d'identité sans définition du sens. L'identité n'est jamais complète, sans quoi le programme immannetiste tel que le fixe Spinoza aurait déjà abouti à des résultats sensationnels - non la calamité à laquelle on assiste à l'heure actuelle tel qu'elle découle de ce programme désaxé. Le caractère quasi indéchiffrable de l'écriture des déconstructeurs s'explique par cette démarche de différance, qui consiste à ajourner sans cesse et sine die le sens. Quand on tient le sens pour introuvable, et perpétuellement, on fait disparaître toute trace de sens de son style. C'est le prodige que réalise Derrida à chacun de ses livres, fort alambiqués, ampoulés, inutiles et spécieux. Derrida compensera toute sa vie l'absence de sens par le surinvestissement du savoir.
Son ami Nancy, de Strasbourg, en disciple conséquent, fait dans la gradation et la surenchère. Comprendre chacun de ses livres, chacune de ses phrases, chacun de ses mots, réussit précisément, soit vaguement, l'exploit de ne rien y comprendre. On ne peut comprendre que l'on ne comprend pas. Ces déconstructeurs sont des sophistes qui ajoutent à la relativité du sens son absence. C'est à partir de ce sens toujours différé, toujours reporté, que l'identité différante m'est venue à l'esprit pour caractériser cette curieuse propension de notre époque à détruire l'identité transcendantaliste pour la remplacer par une identité qui serait plus performante (complète) et qui en réalité est inférieure, soit différante.
Quelle est l'identité transcendantaliste? L'identité consiste à identifier le réel. Comme cet effort de définition est imparfait, l'identité transcendantaliste est imparfaite. Mais elle présente l'insigne mérite de proposer quelque chose. L'identité transcendantaliste, c'est l'identité d'un lieu rapporté à un sens. La localisation se fait par l'effort de sens. Définir, c'est ainsi nommer. Le nom recoupe le lieu, mais pas seulement. Il recoupe le lieu plus le sens qui lui est conféré. Du coup, le principe de volonté générale est identifié, même imparfaitement.
La fascination que le Narrateur chez Proust ressent à l'évocation de certains noms s'explique parce que le nom possède un pouvoir mystique au sens où il propose une identification de l'identité. Dans la Bible, Yahvé se présente d'une manière énigmatique comme celui qui est qui il est (je suis qui je suis). C'est une identité à la fois complète et par son aspect tautologique vide de sens. Cette identité est la combinaison du sensible dégénéré avec le réel idéal, parfait et complet. Mais cette perfection ne peut s'exprimer dans l'espace incomplet et dégénéré du sensible.
Du coup, elle devient insignifiante : effort d'expression tautologique. L'identité immanentiste en échouant à remplacer l'identité transcendantaliste imparfaite par son mythe du désir complet provoque une dégradation de l'identité qui suit la courbe du sens. A l'époque où l'immanentisme balbutie, théorisé par Spinoza, la conversion du sens à l'immanentisme est encore envisageable dans un avenir proche. A l'époque de Nietzsche et de l'immanentisme tardif et dégénéré, cette conversion est déjà impossible dans ce monde-ci.
Nietzsche propose la mutation du réel non pas dans un autre réel mais avec un nouvel homme qui transformerait les coordonnées usuelles du réel. C'est la mutation ontologique impossible qui propose d'autant plus d'échapper au nihilisme qu'elle est elle-même nihiliste (et impossible). Nietzsche qui finit dans la folie est l'aboutissement conséquent de inconséquente maniaque qu'il dépeint comme une possibilité (impossible). Au bout du chemin de l'immanentisme, on tombe sur l'immanentisme terminal. Le postmoderne Derrida propose en guise de différence la différance.
C'est l'idée que pour résoudre la crise du sens immannetiste, qui aboutit à un sens calamiteux et introuvable, on accepte que le sens soit indéfiniment introuvable. Ce n'est pas parce qu'on décrète qu'un problème n'existe plus qu'il n'existe plus. C'est pourtant l'opération de magie blanche à laquelle Derrida nous convie. Rosset analysera ce refus du réel et du sens dans Le Réel. Rosset est l'immanentiste terminal qui assume le plus la faillite de l'immanentisme tardif et dégénéré et du programme passablement détraqué de Nietzsche.
Selon lui, il convient de ne conserver de Nietzsche que sa démarche critique, le restant étant incomplet, voire embrouillé par la folie et l'effondrement (symbolique de ce qui attend l'immanentisme). Du coup, pour accepter le réel tel qu'il est, programme de Rosset, on évacue les oripeaux du transcendantalisme (la morale notamment) et l'on propose en lieu et place un élitisme drastique, où la mutation ontologique devient la sélection entre les aristocrates artistes et créateurs et le troupeau des moutons mimétiques et serviles.
Cette conception mène au fascisme, étant entendu que l'artiste est le dominateur et que la domination est la fin programmatique de la réalisation. Cette domination était inscrite dans la définition initiale que Spinoza propose de la puissance par rapport au désir et à la liberté. Si cette puissance qui définit enfin adéquatement la liberté ne renvoie pas in fine à la domination - quel est son sens? L'on oppose chez les commentateurs investis de l'aura institutionnelle (universitaire) le fascisme politique à la conception nietzschéenne, sous prétexte que le fascisme imputé à Nietzsche résulterait des dévoiements de certains commentateurs indélicats, en particulier de sa sœur.
Toujours la même arnaque : on distingue fallacieusement et fantasmatiquement le fascisme politique des thèses de Nietzsche, sous prétexte que Nietzsche s'en tiendrait à des propositions ontologico-esthétiques. Mais ces conceptions ontologiques mènent au fascisme, ce qui implique que les fascistes ne se réclament pas par hasard ou par confusion de Nietzsche. Nietzsche est bel et bien un inspirateur du fascisme, même s'il n'est pas fasciste. Ce n'est pas parce que Nietzsche réfute le nationalisme qu'il n'aurait aucun lien avec le fascisme et que son ontologie serait non violente. Non seulement les fascistes se réclament de lui, mais Heidegger (un temps nazi, toujours antilibéral radical) le prend très au sérieux - sans doute trop.
L'ontologie est le socle immannetiste qui mène à la politique. Le socle ontologique de Nietzsche est tellement radical qu'il en vient à proposer de l'ontologie une conception esthétique, où le vrai (le bon) est remplacé une bonne fois pour toutes (l'expression favorite de Derrida) par le beau. C'est une approche qui n'a rien d'innovant, qui découle des sophistes, que Nietzsche lit dans le texte en tant que philologue, mais il est vrai que Nietzsche quand il propose n'a rien de bien original à offrir (raison pour laquelle Rosset propose de ne conserver de Nietzsche que la critique?).
L'identité différante se définit comme l'identité reportée, constamment déportée, où la réfraction est incessante, comme dans un jeu de miroirs maniaque où l'identité immanentiste correspond à la folie circulaire d'un Nathanaël en phase de suicide (dans L'Homme au sable de Hoffmann). Il est frappant de remarquer l'affaiblissement de l'identité immanentiste par rapport l'identité transcendantaliste. L'identité immanentiste est inassumable, au point que les responsables deviennent irresponsables, soit assument dans l'ombre du secret leurs responsabilités. Tels des vampires de l'identité, ils ne peuvent (ne pas) assumer que cachés, la nuit, de manière perverse, considérablement affaiblis, c'est-à-dire privés de pouvoir, de responsabilité, d'identité et de sens.
Cet effondrement de l'identité, qui fait que le pouvoir n'est que pervers et caché, est l'identité de type immanentiste. C'est une identité différante au sens où l'identité n'existe plus, se trouve constamment reportée à plus tard, dans un cercle vicieux perpétuel et impossible. Un des synonymes de reporter est procrastiner, qui signifie remettre au lendemain. L'adverbe cras désigne le demain. Quand on remet au lendemain, selon l'expression, c'est qu'on projette de ne rien faire, tout du moins que l'on recourt au mécanisme psychologique de l'escamotage, qui consiste à s'illusionner (on fait semblant de faire pour mieux ne rien faire).
L'identité reportée ou procrastinée est l'illusion du toujours lendemain, du lendemain qui chante, à condition que ce lendemain défini et éternel n'advienne jamais dans le réel. A noter que procrastiner renvoie dans un cercle vicieux au verbe différer. La différance est ainsi définie comme mécanisme de l'évitement, de l'impossible, du déni, dans une forme de boucle vicieuse. Serait-ce que par son Éternel Retour Nietzsche, qui aurait en tête une toute autre réalité (l'acceptation du réel comme condition de mutation du réel vers le surhomme), aboutirait au fameux cercle vicieux (défini de manière pédante comme sphère différant du cercle hindou)?
La crise systémique actuelle dévoile l'ampleur de la faiblesse d'identité du pouvoir actuel, qui est un pouvoir détruit, en passe de s'effondrer. Dans l'identité immanentiste, personne ne détient d'identité (réelle), car l'identité se trouve biffée, soumise à un tour de passe-passe conceptuel grotesque.
Le procrastineur est un dilettante, un fainéant. Il ne fait rien : il n'a pas d'identité propre. Le mécanisme de l'identification ne fonctionne plus - patine. Le propre de l'identité est de représenter quelque chose pour accomplir quelque chose. Réaliser. L'identité différante empêche de faire quelque chose et légitime l'action de procrastiner. A l'heure de l'effondrement de l'immanentisme, personne ne dispose de responsabilité, de pouvoir, d'identité. L'identité complète existe encore moins que dans le cadre d'une identité incomplète. Pareille à l'identité du vampire, l'immanentiste sort couvert pour exister.
Au moment où le système immanentiste s'effondre, on est tenté de chercher les coupables. Les responsables. Identifier enfin. Stupeur : ils n'existent pas. Les politiciens dépendent. Les banquiers dépendent. On a envie de pasticher les rappeurs qui représentent de manière indéfinie et perpétuelle. Représentent - qui au juste? Personne. L'identité reportée, réfractée est insaisissable, en attente perpétuelle d'existence. Être différant ce n'est pas trouver une solution à l'identité incomplète, la rendre complète, c'est au contraire détruire l'identité.
L'identité transcendantaliste s'est effondrée, l'identité immanentiste est une supercherie. Reste à fonder une nouvelle identité sans quoi l'existence ne sera plus possible et l'effondrement de l'immanentisme laissera la place au néant. Plus de sens, plus d'identité. L'identité complète est un mythe, ce que le transcendantalisme savait déjà. L'immanentisme n'est que le prolongement radicalisé du nihilisme. La supériorité du nihilisme est infériorité effective. L'identité néanthéiste explique l'incomplétude par le néant. Si l'identité de l'être est incomplète, c'est qu'elle se trouve complétée par le néant, qui est quelque chose (et non rien), mais quelque chose d'enversé. Du coup, l'identité est définie par le sens à partir du non-lieu. Plus de localisation mélangée au sens (le nom proustien), mais un sens qui s'appuie sur la localisation du néant. Le sens identifie le lieu et le lieu n'identifie plus.
On n'aboutit plus à un sens sans localisation, mais à une localisation qui permet l'aventure spatiale et le planétarisme : dans un sens qui domine, non seulement l'espace devient conquête possible, mais le sens édifié se construit autour du substrat planétaire. La mondialisation se trouve dépassée par le planétarisme. L'absence de lieu qui débouche sur une localisation parcellaire, c'est l'idée que le néant est le fondement et que le néant est quelque chose.
La possibilité de l'aventure spatiale, c'est l'avenir enfin possible (plausible) de l'homme. L'acceptation de l'incomplétude de l'identité non seulement n'empêche pas l'identification; mais l'améliore et la pérennise. Car le transcendantalisme tendait vers la complétude quand le schéma néanthéiste admet que la complétude est un mythe et que sa poursuite débouche sur une application nihiliste et destructrice.
Qu'est-ce que la différance, non pas comme concept défini par Derrida et ses suiveurs de la démarche déconstructionniste, mais comme parodie pour définir l'absence d'identité? La différance de Derrida &Co. distingue le sens constamment différé, soit un tour de passe-passe conceptuel pour expliquer que le réel existe, mais qu'il est introuvable, inexplicable. La différance désigne la restriction du sens d'un texte au seul texte qui se suffit à lui-même et qui renverrait au sens autotélique (complet).
Comme la complétude du sens n'existe pas davantage que la complétude du désir chère à Spinoza, elle permet de masquer que le sens invoqué par Derrida et sa clique d'abscons est hyperréducteur et qu'il aboutit à nier le réel extérieur au sens textuel dans une forme vicieuse de postkantisme égaré. La ruse de Spinoza est ici perverse au sens étymologique : dire du sens qu'il est introuvable, c'est rendre impossible le sens. Plus de sens, plus de localisation, plus de possibilité de trouver l'introuvable, de rendre existant l'ailleurs indéfiniment ailleurs.
C'est cette opération de différance qui m'évoque l'identité. Pas d'identité sans définition du sens. L'identité n'est jamais complète, sans quoi le programme immannetiste tel que le fixe Spinoza aurait déjà abouti à des résultats sensationnels - non la calamité à laquelle on assiste à l'heure actuelle tel qu'elle découle de ce programme désaxé. Le caractère quasi indéchiffrable de l'écriture des déconstructeurs s'explique par cette démarche de différance, qui consiste à ajourner sans cesse et sine die le sens. Quand on tient le sens pour introuvable, et perpétuellement, on fait disparaître toute trace de sens de son style. C'est le prodige que réalise Derrida à chacun de ses livres, fort alambiqués, ampoulés, inutiles et spécieux. Derrida compensera toute sa vie l'absence de sens par le surinvestissement du savoir.
Son ami Nancy, de Strasbourg, en disciple conséquent, fait dans la gradation et la surenchère. Comprendre chacun de ses livres, chacune de ses phrases, chacun de ses mots, réussit précisément, soit vaguement, l'exploit de ne rien y comprendre. On ne peut comprendre que l'on ne comprend pas. Ces déconstructeurs sont des sophistes qui ajoutent à la relativité du sens son absence. C'est à partir de ce sens toujours différé, toujours reporté, que l'identité différante m'est venue à l'esprit pour caractériser cette curieuse propension de notre époque à détruire l'identité transcendantaliste pour la remplacer par une identité qui serait plus performante (complète) et qui en réalité est inférieure, soit différante.
Quelle est l'identité transcendantaliste? L'identité consiste à identifier le réel. Comme cet effort de définition est imparfait, l'identité transcendantaliste est imparfaite. Mais elle présente l'insigne mérite de proposer quelque chose. L'identité transcendantaliste, c'est l'identité d'un lieu rapporté à un sens. La localisation se fait par l'effort de sens. Définir, c'est ainsi nommer. Le nom recoupe le lieu, mais pas seulement. Il recoupe le lieu plus le sens qui lui est conféré. Du coup, le principe de volonté générale est identifié, même imparfaitement.
La fascination que le Narrateur chez Proust ressent à l'évocation de certains noms s'explique parce que le nom possède un pouvoir mystique au sens où il propose une identification de l'identité. Dans la Bible, Yahvé se présente d'une manière énigmatique comme celui qui est qui il est (je suis qui je suis). C'est une identité à la fois complète et par son aspect tautologique vide de sens. Cette identité est la combinaison du sensible dégénéré avec le réel idéal, parfait et complet. Mais cette perfection ne peut s'exprimer dans l'espace incomplet et dégénéré du sensible.
Du coup, elle devient insignifiante : effort d'expression tautologique. L'identité immanentiste en échouant à remplacer l'identité transcendantaliste imparfaite par son mythe du désir complet provoque une dégradation de l'identité qui suit la courbe du sens. A l'époque où l'immanentisme balbutie, théorisé par Spinoza, la conversion du sens à l'immanentisme est encore envisageable dans un avenir proche. A l'époque de Nietzsche et de l'immanentisme tardif et dégénéré, cette conversion est déjà impossible dans ce monde-ci.
Nietzsche propose la mutation du réel non pas dans un autre réel mais avec un nouvel homme qui transformerait les coordonnées usuelles du réel. C'est la mutation ontologique impossible qui propose d'autant plus d'échapper au nihilisme qu'elle est elle-même nihiliste (et impossible). Nietzsche qui finit dans la folie est l'aboutissement conséquent de inconséquente maniaque qu'il dépeint comme une possibilité (impossible). Au bout du chemin de l'immanentisme, on tombe sur l'immanentisme terminal. Le postmoderne Derrida propose en guise de différence la différance.
C'est l'idée que pour résoudre la crise du sens immannetiste, qui aboutit à un sens calamiteux et introuvable, on accepte que le sens soit indéfiniment introuvable. Ce n'est pas parce qu'on décrète qu'un problème n'existe plus qu'il n'existe plus. C'est pourtant l'opération de magie blanche à laquelle Derrida nous convie. Rosset analysera ce refus du réel et du sens dans Le Réel. Rosset est l'immanentiste terminal qui assume le plus la faillite de l'immanentisme tardif et dégénéré et du programme passablement détraqué de Nietzsche.
Selon lui, il convient de ne conserver de Nietzsche que sa démarche critique, le restant étant incomplet, voire embrouillé par la folie et l'effondrement (symbolique de ce qui attend l'immanentisme). Du coup, pour accepter le réel tel qu'il est, programme de Rosset, on évacue les oripeaux du transcendantalisme (la morale notamment) et l'on propose en lieu et place un élitisme drastique, où la mutation ontologique devient la sélection entre les aristocrates artistes et créateurs et le troupeau des moutons mimétiques et serviles.
Cette conception mène au fascisme, étant entendu que l'artiste est le dominateur et que la domination est la fin programmatique de la réalisation. Cette domination était inscrite dans la définition initiale que Spinoza propose de la puissance par rapport au désir et à la liberté. Si cette puissance qui définit enfin adéquatement la liberté ne renvoie pas in fine à la domination - quel est son sens? L'on oppose chez les commentateurs investis de l'aura institutionnelle (universitaire) le fascisme politique à la conception nietzschéenne, sous prétexte que le fascisme imputé à Nietzsche résulterait des dévoiements de certains commentateurs indélicats, en particulier de sa sœur.
Toujours la même arnaque : on distingue fallacieusement et fantasmatiquement le fascisme politique des thèses de Nietzsche, sous prétexte que Nietzsche s'en tiendrait à des propositions ontologico-esthétiques. Mais ces conceptions ontologiques mènent au fascisme, ce qui implique que les fascistes ne se réclament pas par hasard ou par confusion de Nietzsche. Nietzsche est bel et bien un inspirateur du fascisme, même s'il n'est pas fasciste. Ce n'est pas parce que Nietzsche réfute le nationalisme qu'il n'aurait aucun lien avec le fascisme et que son ontologie serait non violente. Non seulement les fascistes se réclament de lui, mais Heidegger (un temps nazi, toujours antilibéral radical) le prend très au sérieux - sans doute trop.
L'ontologie est le socle immannetiste qui mène à la politique. Le socle ontologique de Nietzsche est tellement radical qu'il en vient à proposer de l'ontologie une conception esthétique, où le vrai (le bon) est remplacé une bonne fois pour toutes (l'expression favorite de Derrida) par le beau. C'est une approche qui n'a rien d'innovant, qui découle des sophistes, que Nietzsche lit dans le texte en tant que philologue, mais il est vrai que Nietzsche quand il propose n'a rien de bien original à offrir (raison pour laquelle Rosset propose de ne conserver de Nietzsche que la critique?).
L'identité différante se définit comme l'identité reportée, constamment déportée, où la réfraction est incessante, comme dans un jeu de miroirs maniaque où l'identité immanentiste correspond à la folie circulaire d'un Nathanaël en phase de suicide (dans L'Homme au sable de Hoffmann). Il est frappant de remarquer l'affaiblissement de l'identité immanentiste par rapport l'identité transcendantaliste. L'identité immanentiste est inassumable, au point que les responsables deviennent irresponsables, soit assument dans l'ombre du secret leurs responsabilités. Tels des vampires de l'identité, ils ne peuvent (ne pas) assumer que cachés, la nuit, de manière perverse, considérablement affaiblis, c'est-à-dire privés de pouvoir, de responsabilité, d'identité et de sens.
Cet effondrement de l'identité, qui fait que le pouvoir n'est que pervers et caché, est l'identité de type immanentiste. C'est une identité différante au sens où l'identité n'existe plus, se trouve constamment reportée à plus tard, dans un cercle vicieux perpétuel et impossible. Un des synonymes de reporter est procrastiner, qui signifie remettre au lendemain. L'adverbe cras désigne le demain. Quand on remet au lendemain, selon l'expression, c'est qu'on projette de ne rien faire, tout du moins que l'on recourt au mécanisme psychologique de l'escamotage, qui consiste à s'illusionner (on fait semblant de faire pour mieux ne rien faire).
L'identité reportée ou procrastinée est l'illusion du toujours lendemain, du lendemain qui chante, à condition que ce lendemain défini et éternel n'advienne jamais dans le réel. A noter que procrastiner renvoie dans un cercle vicieux au verbe différer. La différance est ainsi définie comme mécanisme de l'évitement, de l'impossible, du déni, dans une forme de boucle vicieuse. Serait-ce que par son Éternel Retour Nietzsche, qui aurait en tête une toute autre réalité (l'acceptation du réel comme condition de mutation du réel vers le surhomme), aboutirait au fameux cercle vicieux (défini de manière pédante comme sphère différant du cercle hindou)?
La crise systémique actuelle dévoile l'ampleur de la faiblesse d'identité du pouvoir actuel, qui est un pouvoir détruit, en passe de s'effondrer. Dans l'identité immanentiste, personne ne détient d'identité (réelle), car l'identité se trouve biffée, soumise à un tour de passe-passe conceptuel grotesque.
Le procrastineur est un dilettante, un fainéant. Il ne fait rien : il n'a pas d'identité propre. Le mécanisme de l'identification ne fonctionne plus - patine. Le propre de l'identité est de représenter quelque chose pour accomplir quelque chose. Réaliser. L'identité différante empêche de faire quelque chose et légitime l'action de procrastiner. A l'heure de l'effondrement de l'immanentisme, personne ne dispose de responsabilité, de pouvoir, d'identité. L'identité complète existe encore moins que dans le cadre d'une identité incomplète. Pareille à l'identité du vampire, l'immanentiste sort couvert pour exister.
Au moment où le système immanentiste s'effondre, on est tenté de chercher les coupables. Les responsables. Identifier enfin. Stupeur : ils n'existent pas. Les politiciens dépendent. Les banquiers dépendent. On a envie de pasticher les rappeurs qui représentent de manière indéfinie et perpétuelle. Représentent - qui au juste? Personne. L'identité reportée, réfractée est insaisissable, en attente perpétuelle d'existence. Être différant ce n'est pas trouver une solution à l'identité incomplète, la rendre complète, c'est au contraire détruire l'identité.
L'identité transcendantaliste s'est effondrée, l'identité immanentiste est une supercherie. Reste à fonder une nouvelle identité sans quoi l'existence ne sera plus possible et l'effondrement de l'immanentisme laissera la place au néant. Plus de sens, plus d'identité. L'identité complète est un mythe, ce que le transcendantalisme savait déjà. L'immanentisme n'est que le prolongement radicalisé du nihilisme. La supériorité du nihilisme est infériorité effective. L'identité néanthéiste explique l'incomplétude par le néant. Si l'identité de l'être est incomplète, c'est qu'elle se trouve complétée par le néant, qui est quelque chose (et non rien), mais quelque chose d'enversé. Du coup, l'identité est définie par le sens à partir du non-lieu. Plus de localisation mélangée au sens (le nom proustien), mais un sens qui s'appuie sur la localisation du néant. Le sens identifie le lieu et le lieu n'identifie plus.
On n'aboutit plus à un sens sans localisation, mais à une localisation qui permet l'aventure spatiale et le planétarisme : dans un sens qui domine, non seulement l'espace devient conquête possible, mais le sens édifié se construit autour du substrat planétaire. La mondialisation se trouve dépassée par le planétarisme. L'absence de lieu qui débouche sur une localisation parcellaire, c'est l'idée que le néant est le fondement et que le néant est quelque chose.
La possibilité de l'aventure spatiale, c'est l'avenir enfin possible (plausible) de l'homme. L'acceptation de l'incomplétude de l'identité non seulement n'empêche pas l'identification; mais l'améliore et la pérennise. Car le transcendantalisme tendait vers la complétude quand le schéma néanthéiste admet que la complétude est un mythe et que sa poursuite débouche sur une application nihiliste et destructrice.
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