L'identité différante, toujours différée, jamais existante, dans un perpétuel jeu de miroirs qui a à voir avec le reflet et le narcissisme, est incarnée par cette intervention surréaliste d'un banquier français de la tristement célèbre banque d'affaires Goldman Sachs. Notre intervenant est tout à fait inconnu de n'importe quel peuple. Son nom? Yoël Zaoui. Eh oui, vous n'avez jamais entendu parler de celui qui est présenté sur Europe 1 comme le patron de Goldman Sachs Europe.
C'est cela, l'identité différante : une identité tellement éparpillée, tellement éparse, que les responsables sont irresponsables, anonymes et que plus aucun ne détient de responsabilité ni d'identité. Yoël Zaoui n'est pas n'importe qui dans le monde de la banque et pourtant, son anonymat cache à peine qu'il n'a qu'importance congrue que dans un schéma où des centaines d'autres soi disant responsables disposent de cette imposante importance.
Yoël et son frère Michael sont des spécialistes excellant dans les fusions acquisitions. Quand Yoël travaille pour Goldman Sachs, Michael est employé par Morgan Stanley. Point commun : les deux frérots travaillent en Europe à la City de Londres. C'est ici qu'il faut mesurer le sens de l'intervention médiatique de Yoël. Pour que ce grand banquier sorte de sa réserve (sans vilain jeu de mots), de son anonymat (de différant), c'est qu'il ne représente pas seulement les intérêts contestés et contestables de Goldman Sachs, mais les intérêts mondialistes des grandes banques, dont le cœur n'est certainement pas à Wall Street comme une certaine propagande grossièrement antiaméricaine voudrait nous le faire accroire.
La capitale de la finance mondialiste est la City de Londres (et ses dérivés des paradis fiscaux). Wall Street (ou Chicago ou d'autres places financières) aussi importante soit-elle n'est jamais que le prolongement sur le sol américain d'une stratégie britannique impérialiste qui trouve son centre historique, stratégique et financier à la City de Londres. De ce point de vue, l'intervention de Yoël indique que les financiers mondialiste sont à l'agonie. Le frère de Yoël, Michael, qui complète la saga familiale si attendrissante (les deux frères qui ont réussi dans le symbole de la réussite actuelle, suite à la réussite bureaucratique du père), est un pur produit de cet impérialisme britannique : il travaille pour une banque américaine (une branche de l'ancien empire Morgan), mais il travaille en Europe et il a été formé à la London School of Economics.
Au lieu de chercher une identité nationale, visez l'identité factionnelle des oligarchies, l'identité impérialiste : Yoël intervient pour exprimer le point de vue des financiers qui forment la City de Londres. Ce n'est pas pour rien que Yoël est le financier français reconnu « meilleur banquier » de l’année 2008 par la communauté française à Londres. Il occupe de manière implicite et officieuse le statut de porte-parole pour la France de la City de Londres.
Les financiers de ces cercles détiennent d'autres relais (comme Attali, Minc et consorts), mais Zaoui qui n'est pas du tout médiatique (contrairement à l'omniprésent Attali, conseiller des princes) intervient car la crise est grave. On ne dépêche plus les habituels relais, on envoie les banquiers véritables. Zaoui est un virtuose des fusions acquisitions qui ne prétend aucunement à la pensée, l'analyse, voire à l'imagination (comme c'est le cas d'un Attali, qui est plus un stratège qu'un homme de terrain). Des Yoël, on pourrait en trouver à la pelle dans les allées des banques d'affaires, et des plus importants, des plus discrets, des plus différants.
Dans son discours, le plus frappant n'est pas le malaise palpable lors de l'interview, dirigée par Elkabbach, qui en tant que journaliste sioniste conservateur notoire propose une critique des plus accommodantes des activités financières. Le plus frappant n'est pas le spectacle affligeant et nauséabond de l'activité à laquelle Zaoui s'adonne, qui consiste à détruire les sociétés humaines en touchant des rétributions pécuniaires mirobolantes en échange (l'exemple de la faillite grecque offre l'archétype de cet amoralisme qui signifie derrière la supériorité de façade l'immoralisme réputé tout-puissant).
Le plus frappant n'est pas davantage l'explication ignoble et simpliste selon laquelle la crise financière actuelle ne toucherait qu'une moitié du monde, la partie développée, l'autre partie n'étant pas touchée par la crise et se développant même. Non seulement c'est tout à fait faux, mais c'est l'explicitation de la stratégie des financiers mondialistes, qui seraient les premiers bénéficiaires de l'oligarchisation du monde. Avancer ce qu'ose Yoël, c'est légitimer le régime oligarchique et la loi du plus fort : les pays pauvres, qui bénéficieraient de la crise des pays riches pour se développer, sont en réalité tout à fait dépendants de l'économie de ces pays riches (ainsi de la Chine); et surtout ces pays présentent des inégalités cruciales entre les plus riches et les plus pauvres qui en font des modèles de laboratoire de sociétés oligarchiques à imaginer.
C'est ce modèle inégalitaire et oligarchique que soutiennent les financiers mondialistes et c'est le régime qu'ils veulent imposer aux pays riches, tenus pour trop égalitaires et encore trop républicains. C'est à un stratagème assez grossier que se livre Yoël : faire semblant de défendre les pays pauvres pour mieux défendre un modèle de développement oligarchique qui est appliqué aux pays pauvres, qui ne risque guère de les développer et qui serait appliqué à l'ensemble des sociétés, à commencer par les sociétés des pays riches et démocratiques.
Un tel modèle est nuisible tant pour les pays appelés pudiquement en voie de développement (comme la Chine, dont on feint de vanter le modèle alors que c'est un modèle oligarchique qui ne peut bénéficier qu'à une élite et pas au peuple) que pour les pays développés (économiquement) que la crise permettra d'ajuster, selon un terme infect, c'est-à-dire de rabaisser à des modèles inférieurs aux modèles républicains, des modèles oligarchiques profitant aux plus riches et desservant l'intérêt général - l'intérêt de l'homme.
Le rôle d'un financier mondialiste comme Yoël se révèle d'un pragmatisme nihiliste dévastateur. Derrière son immoralisme ontologique, qui exprime la déconnexion du réel, le plus important reste la manière dont Yoël se présente à l'interview. Il n'a certes pas l'habitude des plateaux de radio ou de télé, mais notre financier virtuose se contente de lire bout à bout des fiches. Autant dire qu'il répète un contenu qui a été préparé à l'avance (peut-être par des collaborateurs), qui n'est pas connecté aux questions directes d'Elkabbach (pourtant peu hostile) et qui se montre pour ce qu'est le savoir-faire d'un financier : un savoir qui est figé, qui est fini, qui est fiché. Un savoir de mort déconnecté du vivant et du réel.
Yoël répète sans jamais se mouvoir dans le réel. Le réel, c'est l'infini et le changement. Yoël (sa mentalité de prédateurs financiers) est déconnecté du réel. Ces hères n'ont accès ni à l'infini, ni au changement. Ils sont figés dans le fini. Ils sont dans le savoir comme connaissance finie s'opposant à la connaissance dynamique (théorisée par Platon, puis Leibniz). Les financiers mondialistes de l'acabit des frères Zaoui sont présentés comme des virtuoses.
A juste titre. Le virtuose est celui qui excelle dans le savoir fini. Le virtuose de piano excelle dans l'interprétation de morceaux de musiques composés par des créateurs (qui n'interprètent pas forcément, ou qui interprètent moyennement). La supériorité de la création sur l'interprétation se montre évidente quand les deux activités se trouvent superposées chez un même artiste - je pense en musique à Mozart. On se souvient des compositions de Mozart - et l'on n'évoque le prodige que de manière secondaire, parce que le prodige était surtout un créateur (incompris de la plupart de ses contemporains, comme c'est le cas de la plupart des créateurs).
L'excellence (qui est le sens étymologique du virtuose) est une excellence finie qui se révèle finie dans tous les sens du terme - et surtout dans son sens de périmé. Ce qui est périmé périme ou va périmer. L'excellence virtuose est périmée en ce qu'elle se dégrade rapidement parce qu'elle n'a de valeur que dans le périmètre délimité d'un certain donné. Quand ce donné change, et il change tout le temps, la valeur virtuose s'estompe, puis s'évanouit.
C'est ce qui se produit pour n'importe quel type de virtuosité. C'est le sens de la fable du virtuose de lancer de pois chiches, qui manifeste un savoir aussi excellent qu'inutile. Alexandre le Grand récompense notre virtuose grotesque par un cadeau grotesque (un boisseau de pois je crois). Mais au-delà de la singularité de l'histoire, c'est toute virtuosité qui se trouve sanctionnée (dans tous les sens du terme) par ce caractère d'inutilité et de ridicule. Toute virtuosité est condamnée à la disparition et à la destruction parce qu'elle se meut dans la finitude pure.
Autant dire que la virtuosité est comprise dans le savoir entendu comme connaissance finie. Ce savoir est incarné à l'heure actuelle par le prestige omniscient et démesuré (au sens antique) dont bénéficient les experts. Qu'est-ce qu'un expert sinon la figure du savoir fini par excellence? Loin de l'universalisme des philosophes antiques, l'expert explique qu'avec le développement vertigineux des sciences, il n'est plus possible de maîtriser l'ensemble du savoir et qu'il est nécessaire de se spécialiser dans un savoir de plus en plus fragmenté et déconnecté.
L'expert est le représentant de ce savoir fragmenté. L'erreur fondamentale de l'expert tient moins à l'idée d'un savoir fragmenté qu'à la conception de la connaissance - comme si la connaissance de l'infini avait changé depuis l'Antiquité et pouvait se trouver fractionnée. Bien entendu, le contresens de l'expert considère que le but de la connaissance tient dans la maîtrise du savoir (fini). Comme le savoir devient quantitativement trop étendu, son éclatement est justifié. L'expert mélange la qualité et la quantité. L'expert réfute la vision (plotinienne) de l'ensemble du réel au profit d'une vision plus certaine, mais plus fragmentaire.
Cette certitude concrète se trouve battue en brèche par la réalité car l'expert se trompe si souvent qu'il se trompe de plus en plus. Au point qu'il en est devenu ridiculisé et discrédité en nos jours de crise, où les experts les plus brillants (des soleils noirs) n'ont pas été capables de prévoir une crise pourtant largement envisageable pour peu qu'on soit connecté à l'ensemble du réel et qu'on ne travaille pas dans une de ses parties ratiocinées, voire sclérosées. L'expert est le représentant théorique de cette mentalité de savoir, dont l'application pratique se trouve incarnée dans son apparition la plus prestigieuse par le virtuose financier.
En témoignent les profits vertigineux des financiers, que l'on retrouve chez les frères Zaoui (aux primes de bonus aussi considérables que déconsidérées - et inconsidérées). Les profits injustes figurent le réel envisagé seulement et unilatéralement comme quantitatif et fini. La valeur quantitative s'exprime au mieux par l'argent, soit par la valeur pécuniaire de type absolument fini. Rien n'est plus ridicule que cette conception quand on s'avise qu'elle repose sur l'erreur, mais en même temps rien n'est plus courant que cette erreur, tant il est certain qu'on accorde dans l'immédiat sa préférence aux valeurs de l'immédiateté.
On glose souvent (avec raison) sur l'arrogance invraisemblable de ces financiers qui au pied du mur, loin de se démonter ou de faire enfin acte de contrition, se montrent d'autant plus acharnés dans leur entêtement arrogant. Cette impudence n'est pas caractéristique de notre époque : elle exprime le point de vue de ceux qui dominant l'ordre marchand se prennent pour des demi dieux. Il est vrai que leur pouvoir dans l'époque contemporaine est sans égal et que dans un système qui accore la primauté au commerce ils sont situés au-dessus des lois et des règles.
Lorsque le procureur américain Pecora enquêta suite aux décisions patriotes de F.D. Roosevelt, il en vint à auditionner et poursuivre les principaux dirigeants des intérêts Morgan, dont le tout-puissant J.P. Morgan himself. Celui-ci manifesta déjà une arrogance qui est emblématique et symptomatique de ce milieu carnassier de la finance où l'on se croit dieux pour se situer au-dessus des hommes. Bien entendu, on s'estime d'autant plus d'extraction divine que l'on est homme (humain, trop humain).
L'arrogance va de pair avec la médiocrité. Les peuples se rendent compte que les dirigeants politiques par temps de crise se révèlent des imbéciles et/ou des déséquilibrés. Cette médiocrité comportementale s'appuie sur une médiocrité théorique sidérante. Comment penser l'impensable - que les dominants produisent des théories décevantes, voire stupides? Il est vrai que la théorie ne découle pas de la pratique et que les financiers sont avant tout mus par l'intérêt pratique des théories. De ce point de vue, il est compréhensible que des théories conçues pour générer du profit physique immédiat (de la valeur argent) soient de peu de valeur.
Que les théories en tant que telles soient médiocres se manifeste d'abord par leur caractère dénié. Les théories de l'immanentisme sont par définition inconnues par leurs propres thuriféraires. Cette donne paradoxale est palpable chez les financiers qui se contentent de réaliser le plus de gain possible dans le minimum de temps; mais les théoriciens médiatiques et reconnus du moment brillent par leur médiocrité surprenante et par les soubassements particulièrement inconséquents de leurs théories.
On peut retrouver les fondements de l'immanentisme terminal dans la pensée de Rosset avec une clarté presque diaphane. Mais le propre de la démarche théorique de l'immanentisme se caractérise par son inconséquence. Il est conséquent de se montrer inconséquent comme il est conséquent d'agir sans pensée, c'est-à-dire avec une pensée minimaliste qui sert l'action. Mais cette médiocrité s'explique par son caractère fini. Dans un périmètre donné, la pensée s'étiole en suivant le dépérissement inexorable du donné.
Penser de manière finie mène au néant. La primauté de l'action sur la pensée se manifeste par la puissance immédiate que l'action procure. Raison pour laquelle les théories finies sont au service de l'action, comme c'est le cas pour les menées des financiers. Dans un monde stable, on arrive assez rapidement à produire des théories définitives. Cas d'un Aristote. Par la suite, les théories ne peuvent que répéter l'explication unique, voire l'affiner légèrement. Enfin, la répétition devient la seule forme, morne et désespérée. Cas d'un Rosset, qui se contente du rappel savant des théories passées - ou du collage comme technique d'écriture (à partir de citations).
L'effondrement du système est précédé par l'effondrement de la valeur théorique. On se met à apprécier les théories en fonction de leur caractère pragmatique, de leur application pratique. Les idées sont devenues des concepts finis avec Spinoza, mais ce n'est pas assez. Il faut encore réduire en idéologisant les idées. L'idée idéologique est proche de l'exercice de propagande, auquel se livrent de nombreux intellectuels (cas d'un Revel en France pendant les années de transition vers l'ultra-libéralisme dévastateur).
La médiocrité des compilations factuelles d'un Revel, à peine ornées de quelques segments d'idées toutes faites, rabâchées, est emblématique de la médiocrité de l'immanentisme qui à mesure qu'il se rapproche de son stade terminal dégénère de plus en plus du fait de sa condition finie. Plus le temps passe, plus le fini est défini. Quand il se trouve fini, c'est trop tard, on ne peut que constater les dégâts. Pour repartir de l'avant, il importe d'édicter les fondations de nature infinie. Dans ce contexte de l'infini, toute production d'excellence finie est déprécié du fat de son caractère très vite périssable.
Tel est le cas des théories qui sous-tendent la démarche purement financière et pragmatique de notre Yoël : lui se sert des théories pour engendrer de l'argent dans un schéma monétariste diabolique. Mais s'il lit bout à bout des segments fragmentés de fiches, de notes et d'explications préparées à l'avance (toutes faites), c'est qu'il n'est plus capable de crétaion et qu'il se meut dans un monde de finitude qui est médiocre et condamné. Yoël répète un message ressassé dont au fond personne n'est garant. Personne n'est responsable : telle est la caractéristique de l'identité différante - et c'est pourquoi cette identité est si dangereuse. Irresponsable.
Verdict à l'issue de l'interview de Yoël Zaoui qui en récitant avec stress et sans strass ses notes ne s'est pas rendu compte qu'il avouait la supercherie de sa mentalité (sa coterie) : programmé. Comme un logiciel de spéculation financière. La méthode d'expression médiatique de Yoël en dit plus long qu'un discours pompeux sur la méthode de la spéculation financière : on répète et on répète. Au début, on pompe (on triche). Rapidement, on détruit. Pour finir, on sabre le champagne, au moment où coule le navire.
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