Le verbe réaliser signifie autant comprendre qu'effectuer. La réalisation, au sens de rendre réel, englobe en son sein deux actions qui sont liées entre elles par le lien de causalité : il convient de comprendre avant d'effectuer, ce qui implique que le réel contienne d'autres dimensions que la simple actualisation sensible. Dans la logique aristotélicienne d'un réel fini, même avec cette conception (par ailleurs fausse et égarante), le réel ne peut se suffire de la seule dimension sensible.
A force de ne pas définir le réel, Rosset finit par lâcher que sa conception ontologique induit que le sensible soit le réel. Rosset refuse de définir précisément le réel parce que sa définition déboucherait sur cette vision pour le moins réductrice (le réel réduit au sensible) et qui de surcroît poserait un problème supplémentaire insurmontable : si le réel se limite au sensible, qu'est-ce que le sensible? Dans cette question se trouve la question que cette définition rendrait insoluble : comment expliquer l'actualisation du sensible sans l'existence d'autres formes de réel, moins concrètes et plus abstraites?
Quand Rosset définit le réel comme le plus concret, il croit peut-être répondre dans un premier temps à l'objection contre l'idéalisme philosophique - qui définit le réel comme le monde des idées (suivant la tradition platonicienne, qui remonte à l'aube de l'humanité et qui vient d'Afrique). Rosset se montrerait à la suite de ses devanciers plus réaliste par son souci de concrétude. Cette première impression ne résiste guère à l'analyse plus poussée : la difficulté ne fait que revenir avec usure.
La difficulté, c'est que le réalisme implique de prendre en compte des formes de réel qui s'éloignent du sensible et qui se rapprochent de l'idéal abstrait et éloigné. Tenir pour réaliste le partisan du réel seulement sensible, c'est ne pas mesurer que le réalisme renvoie au réel dans son ensemble et qu'on se montre tout sauf réaliste en réduisant le réel à son apparence la plus immédiate et palpable. Derrière cette idée, il importe de rappeler que le réel ne se réduit pas aux expériences fournies par les sens, mais que les sens déforment le réel et réduisent le réel au sensible.
L'homme connaît du réel d'autres formes moins sensibles et plus idéales par l'usage de sa raison. La complexité du réel se traduit par cette idée selon laquelle est réel ce qui est rationnel (notamment selon Hegel). C'est une conception qui a le mérite de prendre en compte le problème de l'idéalisme et des représentations supplémentaire au sens que fournit la raison. Cette conception tend à réduire le changement à un schéma fixe dans lequel la synthèse (Aufhebung) demeure sur le même plan que la thèse - alors que chez Platon la dialectique permet de changer de plan.
La dynamique platonicienne, qui est reprise et complétée par Leibniz, est tout à fait absente de l'univers d'un Hegel. La fixité hégélienne est une approche pernicieuse de l'idéalisme qui ruine le véritable idéalisme du monde des idées pour n'en proposer qu'une réduction fixe. Du coup, cette fixité rapproche la démarche hégélienne de la conception aristotélicienne du réel : un réel fixe et fini. La fixité tend à finitudiser le réel.
La réalisation implique que le réel ne se limite ni aux expériences sensibles (fournies par les sens), ni aux expériences supplémentaires proposées par la raison, mais qu'il soit une forme mouvante et extensible, en particulier suivant les facultés des parties. Il est tout à fait possible que des parties disposant de facultés qui nous sont inconnues aient une existence que nous ne concevons pas, parce que nous n'avons pas les moyens de la concevoir. Dans le Coran, on nous parle de créatures comme les jinns qui sont invisibles pour l'homme.
Dans notre propre sphère du réel, des êtres qui nous sont invisibles peuvent se mouvoir. Des êtres qui nous engloberaient nous seraient tout aussi bien inconnaissables. Les molécules - qui appartiennent à notre organisme - n'ont pas conscience de notre existence (pas davantage de la leur). Si nous sommes spécifiquement dotés de conscience (parmi les êtres connus), nous pouvons également ne pas avoir conscience de l'existence de créatures qui nous côtoient, a fortiori qui nous englobent, en particulier si ces créatures se trouvent dotées de facultés qui nous sont étrangères, voire supérieures.
Le sens que nous apportons au réel dépend de nous bien que le réel existe hors de nous. La relativité de la représentation implique que la vérité existe : c'est le réel dont nous ne sommes que des parties. Si le réel excède ses représentations, ce qui implique que le réel ne soit pas définissable par ce qui est englobé, le réel est de structure flexible - il s'ajuste de manière indéfinie aux diverses représentations. Le réel est de texture malléable, adaptable, complémentaire et modulable. La néguentropie rejoint la nécessité de flexibilité, quand l'entropie mène au nihilisme (l'idée selon laquelle nous revenons au chaos physique n'est rien d'autre que de la théorie physique modelée à partir de l'ontologie nihiliste).
Le modèle idéaliste transcendantaliste se révèle bien plus fiable que le modèle antiidéaliste nihiliste se targuant au départ de plus de réalisme (pragmatisme, concrétude...). Mais le modèle nihiliste ne se développe que parce que le modèle transcendantaliste comporte une faille : c'est l'explication finaliste par l'englobement. Dans cet englobement, la complétude pose problème en ce qu'elle perd son sens. Comment expliquer l'agencement des parties incomplètes et imparfaites qui se trouvent englobées de manière inexpliquée dans des parties supérieures? Pourquoi Platon, qui reprend sans jamais l'expliquer la tradition des prêtres égyptiens, estime-t-il que l'homme appartient au dernier niveau de l'englobement? Cet ultime niveau est-il compatible avec le postulat du corps infini de l'univers?
Cette complétude-là se révèle pour le moins incomplète, c'est-à-dire que les explications proposées sont lacunaires - quand les explications existent. La limite du transcendantalisme tient à l'examen de sa fin idéaliste. Sa structure permet d'exprimer l'infini et propose une méthode (la dialectique), mais son modèle en englobement manque d'autant plus d'un complément qu'il se voudrait complet. Raison pour laquelle le nihilisme perdure après l'hypothèse transcendantaliste.
La complétude transcendantaliste présente un vice dans la cuirasse qui ne manque pas de rejaillir de manière diffuse et continue, de manière plus explicite, voire criante lors des moments de crise (ainsi de l'avènement conjoint des sophistes et des monothéistes). Ce défaut de complétude permet au nihilisme de remettre sur la table du débat sa solution qui chronologiquement est première). Si le transcendantalisme avait résolu le problème de la complétude, qui est le fondement de l'explication du réel, le nihilisme aurait disparu.
Or l'immanentisme est au contraire apparu comme la réponse moderne et exacerbée du nihilisme antique et atavique. Le nihilisme localise la complétude dans le fini sensible, quand l'immanentisme précise encore cette perspective en situant la complétude dans le désir (suivant les propositions d'un Spinoza, le saint de l'immanentisme). C'est ici que le néanthéisme permet d'apporter un prolongement et un complément, même incomplet, même imparfait, même provisoire, à la théorie transcendantaliste en trouvant une parade, sinon au nihilisme, du moins à sa forme immanentiste.
La conclusion de la complétude n'est envisageable que dans un univers d'englobement où le tout se montre supérieur à la partie. L'erreur réside dans cette supériorité définitive, qui devient arbitraire comme dans le mythe platonicien de l'univers conçu comme un corps supérieur et ultime. On ne voit pas trop pourquoi l'univers serait l'ultime corps dans la chaîne alors que cette fin rompt l'infini ou le plonge dans l'inexplicable (deux options qui confortent le nihilisme).
Ce schéma présente une erreur qui est gommée et camouflée derrière des discours se gardant d'examiner la fin vers laquelle mène la théorie transcendantaliste. La complétude est la conclusion d'un raisonnement faux selon lequel l'englobement est le processus ontologique : dans cette logique, et à partir de ce postulat, effectivement, la complétude finale est nécessaire pour que le raisonnement tienne. Et peu importe que cette complétude soit bancale. Si l'on part de l'incomplétude, le schéma transcendantaliste ne prend en compte que la question de l'être, qu'il magnifie pour en faire l'Être ultime et suprême.
C'est un symbole de la démarche transcendantaliste, contrainte de partir du modèle sensible incomplet pour produire un modèle complet qui soit transposition sur le mode du prolongement, avec ce que ce mode comporte d'arbitraire et d'univoque (de simpliste sans doute). Mais si l'on approfondit ce modèle classique, l'on corrige l'erreur en adjoignant l'incomplétude d'une part; l'enversion d'autre part.
L'enversion implique la prise de conscience (la réalisation) que le modèle de l'être n'est pas le modèle ultime, même sur le mode du prolongement subliminal et sublimé. Au contraire, ce modèle, loin d'être complet, est incomplet dans sa version sensible parce que la version idéale ou parfaite n'existe pas - ou à l'état d'approximation qui a le mérite de conserver l'infini mais qui assène une complétude fantasmatique.
Cette incomplétude n'est pas la loi de la partie qui serait prolongée et dépassée par la complétude parfaite du tout. Le tout n'existe pas, il n'est que la réunion (inexistante et abstraite) de ses parties : il n'est que des incomplétudes et des imperfections. Le modèle de l'être est complété par le modèle du néant. L'enversion se nourrit de cet autre apport : si le nihilisme perdure depuis l'avènement de l'homme, c'est parce qu'il pose une question pertinente à laquelle il répond de manière destructrice et dangereuse : qu'est-ce que le néant? Le transcendantalisme à cause de son défaut de modèle élude la question et n'accepte de réserver au néant qu'une portion congrue ou un rôle marginal, sous des identités masquées (comme le hasard).
Le modèle de l'enversion concilie le support du transcendantalisme (il n'est que de l'être, il n'est pas de rien) avec la trame du nihilisme (il est quelque chose qui n'est pas de l'être et qui est du néant pur). Le néanthéisme propose le modèle de l'enversion comme intégration de la question du néant dans la problématique de l'être. Du coup, le modèle de l'être éclate en une indéfinité d'ordres finis et incomplets, mais cette incomplétude suppose son complément en envers (et non en miroir) : le néant infini et insécable.
Le réel prend un sens qui vaut définition : le réel, c'est ce qui comporte un sens. Le sens peut se développer, s'adapter à chaque situation, suivre la dynamique énoncée par Platon et Leibniz. Le propre du réel, c'est de s'adapter à n'importe quelle forme - pourvu qu'elle découle du quelque chose. Réaliser, c'est plus encore que partir du quelque chose incomplet pour se diriger vers le quelque chose complet et incompréhensible, partir du néant et de l'enversion, qui consiste à diminuer, pour produire des ordres incomplets et finis.
L'idée que la réalisation soit l'appel à des modèles de réel qui ne se résument pas au sensible immédiat s'explique par l'enversion plus que par le prolongement. Le sens de réaliser dans son acception cinématographique est instructive car l'art cinématographique survient à la fin du transcendantalisme comme la transition de l'expression artistique vers le néanthéisme. Le réalisateur désigne l'art de proposer un montage d'images de telle sorte qu'elle produit un défilé filmique qui exprime au mieux une certaine touche de réel.
Signe (qui fait sens) que le réel n'est pas le donné unique et nécessaire qui existerait presque avant la partie, au point de l'enfermer dans un rôle presque déjà joué (écrit); mais qu'il peut se composer parce qu'il n'est pas écrit à l'avance. Le seul moyen que rien ne soit écrit à l'avance réside dans l'incomplétude. C'est l'ensemble des parties qui font le réel parce que le seul moyen pour le réel d'être est d'être selon la partition infinie et indéfinie des parties. Réaliser, c'est faire le réel, produire le réel, composer le réel, d'une manière qui peut être recomposée parce qu'elle est toujours à réaliser. Si l'on réalise cette vérité profonde, le réel prend une tournure plus réaliste, moins nihiliste - en devenir.
A force de ne pas définir le réel, Rosset finit par lâcher que sa conception ontologique induit que le sensible soit le réel. Rosset refuse de définir précisément le réel parce que sa définition déboucherait sur cette vision pour le moins réductrice (le réel réduit au sensible) et qui de surcroît poserait un problème supplémentaire insurmontable : si le réel se limite au sensible, qu'est-ce que le sensible? Dans cette question se trouve la question que cette définition rendrait insoluble : comment expliquer l'actualisation du sensible sans l'existence d'autres formes de réel, moins concrètes et plus abstraites?
Quand Rosset définit le réel comme le plus concret, il croit peut-être répondre dans un premier temps à l'objection contre l'idéalisme philosophique - qui définit le réel comme le monde des idées (suivant la tradition platonicienne, qui remonte à l'aube de l'humanité et qui vient d'Afrique). Rosset se montrerait à la suite de ses devanciers plus réaliste par son souci de concrétude. Cette première impression ne résiste guère à l'analyse plus poussée : la difficulté ne fait que revenir avec usure.
La difficulté, c'est que le réalisme implique de prendre en compte des formes de réel qui s'éloignent du sensible et qui se rapprochent de l'idéal abstrait et éloigné. Tenir pour réaliste le partisan du réel seulement sensible, c'est ne pas mesurer que le réalisme renvoie au réel dans son ensemble et qu'on se montre tout sauf réaliste en réduisant le réel à son apparence la plus immédiate et palpable. Derrière cette idée, il importe de rappeler que le réel ne se réduit pas aux expériences fournies par les sens, mais que les sens déforment le réel et réduisent le réel au sensible.
L'homme connaît du réel d'autres formes moins sensibles et plus idéales par l'usage de sa raison. La complexité du réel se traduit par cette idée selon laquelle est réel ce qui est rationnel (notamment selon Hegel). C'est une conception qui a le mérite de prendre en compte le problème de l'idéalisme et des représentations supplémentaire au sens que fournit la raison. Cette conception tend à réduire le changement à un schéma fixe dans lequel la synthèse (Aufhebung) demeure sur le même plan que la thèse - alors que chez Platon la dialectique permet de changer de plan.
La dynamique platonicienne, qui est reprise et complétée par Leibniz, est tout à fait absente de l'univers d'un Hegel. La fixité hégélienne est une approche pernicieuse de l'idéalisme qui ruine le véritable idéalisme du monde des idées pour n'en proposer qu'une réduction fixe. Du coup, cette fixité rapproche la démarche hégélienne de la conception aristotélicienne du réel : un réel fixe et fini. La fixité tend à finitudiser le réel.
La réalisation implique que le réel ne se limite ni aux expériences sensibles (fournies par les sens), ni aux expériences supplémentaires proposées par la raison, mais qu'il soit une forme mouvante et extensible, en particulier suivant les facultés des parties. Il est tout à fait possible que des parties disposant de facultés qui nous sont inconnues aient une existence que nous ne concevons pas, parce que nous n'avons pas les moyens de la concevoir. Dans le Coran, on nous parle de créatures comme les jinns qui sont invisibles pour l'homme.
Dans notre propre sphère du réel, des êtres qui nous sont invisibles peuvent se mouvoir. Des êtres qui nous engloberaient nous seraient tout aussi bien inconnaissables. Les molécules - qui appartiennent à notre organisme - n'ont pas conscience de notre existence (pas davantage de la leur). Si nous sommes spécifiquement dotés de conscience (parmi les êtres connus), nous pouvons également ne pas avoir conscience de l'existence de créatures qui nous côtoient, a fortiori qui nous englobent, en particulier si ces créatures se trouvent dotées de facultés qui nous sont étrangères, voire supérieures.
Le sens que nous apportons au réel dépend de nous bien que le réel existe hors de nous. La relativité de la représentation implique que la vérité existe : c'est le réel dont nous ne sommes que des parties. Si le réel excède ses représentations, ce qui implique que le réel ne soit pas définissable par ce qui est englobé, le réel est de structure flexible - il s'ajuste de manière indéfinie aux diverses représentations. Le réel est de texture malléable, adaptable, complémentaire et modulable. La néguentropie rejoint la nécessité de flexibilité, quand l'entropie mène au nihilisme (l'idée selon laquelle nous revenons au chaos physique n'est rien d'autre que de la théorie physique modelée à partir de l'ontologie nihiliste).
Le modèle idéaliste transcendantaliste se révèle bien plus fiable que le modèle antiidéaliste nihiliste se targuant au départ de plus de réalisme (pragmatisme, concrétude...). Mais le modèle nihiliste ne se développe que parce que le modèle transcendantaliste comporte une faille : c'est l'explication finaliste par l'englobement. Dans cet englobement, la complétude pose problème en ce qu'elle perd son sens. Comment expliquer l'agencement des parties incomplètes et imparfaites qui se trouvent englobées de manière inexpliquée dans des parties supérieures? Pourquoi Platon, qui reprend sans jamais l'expliquer la tradition des prêtres égyptiens, estime-t-il que l'homme appartient au dernier niveau de l'englobement? Cet ultime niveau est-il compatible avec le postulat du corps infini de l'univers?
Cette complétude-là se révèle pour le moins incomplète, c'est-à-dire que les explications proposées sont lacunaires - quand les explications existent. La limite du transcendantalisme tient à l'examen de sa fin idéaliste. Sa structure permet d'exprimer l'infini et propose une méthode (la dialectique), mais son modèle en englobement manque d'autant plus d'un complément qu'il se voudrait complet. Raison pour laquelle le nihilisme perdure après l'hypothèse transcendantaliste.
La complétude transcendantaliste présente un vice dans la cuirasse qui ne manque pas de rejaillir de manière diffuse et continue, de manière plus explicite, voire criante lors des moments de crise (ainsi de l'avènement conjoint des sophistes et des monothéistes). Ce défaut de complétude permet au nihilisme de remettre sur la table du débat sa solution qui chronologiquement est première). Si le transcendantalisme avait résolu le problème de la complétude, qui est le fondement de l'explication du réel, le nihilisme aurait disparu.
Or l'immanentisme est au contraire apparu comme la réponse moderne et exacerbée du nihilisme antique et atavique. Le nihilisme localise la complétude dans le fini sensible, quand l'immanentisme précise encore cette perspective en situant la complétude dans le désir (suivant les propositions d'un Spinoza, le saint de l'immanentisme). C'est ici que le néanthéisme permet d'apporter un prolongement et un complément, même incomplet, même imparfait, même provisoire, à la théorie transcendantaliste en trouvant une parade, sinon au nihilisme, du moins à sa forme immanentiste.
La conclusion de la complétude n'est envisageable que dans un univers d'englobement où le tout se montre supérieur à la partie. L'erreur réside dans cette supériorité définitive, qui devient arbitraire comme dans le mythe platonicien de l'univers conçu comme un corps supérieur et ultime. On ne voit pas trop pourquoi l'univers serait l'ultime corps dans la chaîne alors que cette fin rompt l'infini ou le plonge dans l'inexplicable (deux options qui confortent le nihilisme).
Ce schéma présente une erreur qui est gommée et camouflée derrière des discours se gardant d'examiner la fin vers laquelle mène la théorie transcendantaliste. La complétude est la conclusion d'un raisonnement faux selon lequel l'englobement est le processus ontologique : dans cette logique, et à partir de ce postulat, effectivement, la complétude finale est nécessaire pour que le raisonnement tienne. Et peu importe que cette complétude soit bancale. Si l'on part de l'incomplétude, le schéma transcendantaliste ne prend en compte que la question de l'être, qu'il magnifie pour en faire l'Être ultime et suprême.
C'est un symbole de la démarche transcendantaliste, contrainte de partir du modèle sensible incomplet pour produire un modèle complet qui soit transposition sur le mode du prolongement, avec ce que ce mode comporte d'arbitraire et d'univoque (de simpliste sans doute). Mais si l'on approfondit ce modèle classique, l'on corrige l'erreur en adjoignant l'incomplétude d'une part; l'enversion d'autre part.
L'enversion implique la prise de conscience (la réalisation) que le modèle de l'être n'est pas le modèle ultime, même sur le mode du prolongement subliminal et sublimé. Au contraire, ce modèle, loin d'être complet, est incomplet dans sa version sensible parce que la version idéale ou parfaite n'existe pas - ou à l'état d'approximation qui a le mérite de conserver l'infini mais qui assène une complétude fantasmatique.
Cette incomplétude n'est pas la loi de la partie qui serait prolongée et dépassée par la complétude parfaite du tout. Le tout n'existe pas, il n'est que la réunion (inexistante et abstraite) de ses parties : il n'est que des incomplétudes et des imperfections. Le modèle de l'être est complété par le modèle du néant. L'enversion se nourrit de cet autre apport : si le nihilisme perdure depuis l'avènement de l'homme, c'est parce qu'il pose une question pertinente à laquelle il répond de manière destructrice et dangereuse : qu'est-ce que le néant? Le transcendantalisme à cause de son défaut de modèle élude la question et n'accepte de réserver au néant qu'une portion congrue ou un rôle marginal, sous des identités masquées (comme le hasard).
Le modèle de l'enversion concilie le support du transcendantalisme (il n'est que de l'être, il n'est pas de rien) avec la trame du nihilisme (il est quelque chose qui n'est pas de l'être et qui est du néant pur). Le néanthéisme propose le modèle de l'enversion comme intégration de la question du néant dans la problématique de l'être. Du coup, le modèle de l'être éclate en une indéfinité d'ordres finis et incomplets, mais cette incomplétude suppose son complément en envers (et non en miroir) : le néant infini et insécable.
Le réel prend un sens qui vaut définition : le réel, c'est ce qui comporte un sens. Le sens peut se développer, s'adapter à chaque situation, suivre la dynamique énoncée par Platon et Leibniz. Le propre du réel, c'est de s'adapter à n'importe quelle forme - pourvu qu'elle découle du quelque chose. Réaliser, c'est plus encore que partir du quelque chose incomplet pour se diriger vers le quelque chose complet et incompréhensible, partir du néant et de l'enversion, qui consiste à diminuer, pour produire des ordres incomplets et finis.
L'idée que la réalisation soit l'appel à des modèles de réel qui ne se résument pas au sensible immédiat s'explique par l'enversion plus que par le prolongement. Le sens de réaliser dans son acception cinématographique est instructive car l'art cinématographique survient à la fin du transcendantalisme comme la transition de l'expression artistique vers le néanthéisme. Le réalisateur désigne l'art de proposer un montage d'images de telle sorte qu'elle produit un défilé filmique qui exprime au mieux une certaine touche de réel.
Signe (qui fait sens) que le réel n'est pas le donné unique et nécessaire qui existerait presque avant la partie, au point de l'enfermer dans un rôle presque déjà joué (écrit); mais qu'il peut se composer parce qu'il n'est pas écrit à l'avance. Le seul moyen que rien ne soit écrit à l'avance réside dans l'incomplétude. C'est l'ensemble des parties qui font le réel parce que le seul moyen pour le réel d'être est d'être selon la partition infinie et indéfinie des parties. Réaliser, c'est faire le réel, produire le réel, composer le réel, d'une manière qui peut être recomposée parce qu'elle est toujours à réaliser. Si l'on réalise cette vérité profonde, le réel prend une tournure plus réaliste, moins nihiliste - en devenir.
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