Je retranscris de manière aussi fidèle que possible cette discussion télévisée entre Ferry (secondée à peu près par le politologue de la gauche libérale Gauchet) et Todd. Todd n'exprime pas le point de vue du protectionnisme éclairé, contrairement aux allégations éclairées de Ferry Luc, mais d'un protectionnisme éthéré, qui en n'abordant ni l'opposition impérialisme/protectionnisme, ni la question du statut du protectionnisme de nature mondialisée ne peut qu'hypothéquer le protectionnisme sur l'autel d'un libéralisme mondialiste dévoreur de ses enfants (les peuples).
Ferry : si l'on avait dit à Hugo les progrès que l'Occident a faits, Hugo serait tombé de sa chaise : nous vivons dans une époque qui jamais dans l'histoire et la géographie n'a été aussi soucieuse de justice sociale et de droits de l'homme.
Les hommes politiques européens sont mous, c'est la réalité qui est dure.
Dans les dix ans qui viennent, le problème c'est le développement et la concurrence des Chinois et des Indiens (2.5 milliards) par rapport à l'Occident.
Comment faire entrer nos vieux États providences dans la mondialisation sans faire de casse?
Cette question n'est ni de droite ni de gauche. Les dirigeants européens ne sont pas des salauds, mais ont cette question en tête. C'est le cas de Cameron en GB, qui cherche à éviter la catastrophe absolue.
On va perdre 20 à 25 % de nos revenus dans les quinze années qui viennent.
Cette question tient à la dureté de la mondialisation, pas à la droite ou la gauche européennes.
Il faudrait être fou pour croire cette seconde option!
Très pessimiste sur les dix ans qui viennent.
Todd rappelle que les conditions de la globalisation actuelle (la concurrence mondiale) ont été décidées par les élites politiques et économiques occidentales depuis les années 60. La baisse du niveau de vie des populations occidentales a été organisée par ces dirigeants.
Pourquoi le protectionnisme est-il impensable? Question philosophique plus qu'économique.
Ferry : Comment reprendre la main sur le cours du monde?
L'Europe, le G 20, qui est le cockpit du monde?
Ferry n'accepte pas le système mais n'a aucun pouvoir sur les Indiens et les Chinois.
Todd : la région de plus grande puissance économique, c'est l'Europe, pas la Chine et l'Inde.
Ferry : le protectionnisme est difficile, la décroissance introduit la morale dans un système intenable.
Pierre Nora a raison : l'ingouvernabilité des démocraties. Dans un univers globalisé, nous n'avons aucun pouvoir sur le développement de la Chine et de l'Inde.
Les leviers de la politique nationale sont impuissants face aux marchés mondialisés.
Donc le protectionnisme national est impuissant.
Colère de Ferry quand on l'accuse de défaitisme (bordel!).
Ne pas lui prêter des raisonnements stupides.
Selon Gauchet, erreur grossière de calcul : les Européens coûtent trop cher et ne rapportent pas assez par rapport aux Chinois et aux Indiens.
Todd : le problème des dirigeants européens, c'est la folie (par rapport à la rigueur ou aux retraites).
Je ne voudrais pas taper sur Luc Ferry le faux intellectuel, un produit de l'histoire de la philosophie. Produit scolaire, produit académique, produit brillant - produit cassé. Ferry illustre ce que veut dire la médiocrité de l'excellence, la répétition mimétique et diabolique de l'élitisme. Ferry ne comprend rien. Je l'ai déjà noté, je le répète. Il est un oxymore ambulant et un péripatéticien pédant. Avant de me focaliser sur son erreur centrale, j'aimerais relever les principales énormités de son discours.
Quand il ouvre la bouche, tout est faux. Il est le symbole de l'effondrement du niveau intellectuel autant que du système. Il appartient à la cohorte de ces porte-voix d'un modèle idéologique qui se trouve dépassé et déphasé par l'effondrement de ce système. Sans être allé jusqu'aux énormités d'un idéologue comme Fukuyama, qui estimait que la fin de l'histoire était arrivée avec le règne unique du libéralisme, Ferry est un conservateur de la démocratie libérale et laïque qui ne supporte pas l'effondrement du libéralisme.
Du coup, il bascule dans le - pessimisme. Il le dit lui-même : nous nous trouvons condamnés dans la décennie prochaine à un effondrement inéluctable de nos revenus d'Occidentaux. Seule lui importe la question de l'Occident en tant qu'impérialisme. Il disjoncte quand il essaye de trouver une parade à son impasse mentale : l'insulte et l'agressivité. Son juron : "bordel" exprime rien moins que l'état de chaos qui l'anime. Quand il réclame que Todd cesse de lui prêter des raisonnements stupides, Ferry ne s'énerve pas pour rien. Il s'énerve parce qu'il s'aperçoit de l'impensable, de l'inacceptable (selon lui) : qu'il est effectivement stupide. Lui que sa femme et la cohorte germanopratine des intellectuels stipendiés par le système trouvait si intelligent!
Le raisonnement de Ferry est figé, fixe, répétitif, moutonnier, stéréotypé, tel celui d'un bon élève qui connaît par cœur sa leçon consciencieusement apprise (sur le bout des ongles ses auteurs fixes de l'agrégation de philosophie), qui est capables d'idées fixes, pas d'idées neuves. C'est pourtant le moment d'innover : c'est dans un moment de crise que l'on jauge de la valeur des âmes. Les positions qui ont effectivement de la valeur sont celles qui proposent quelque chose de viable (et de neuf) pour faire face à la tempête.
Dans ce cadre, la position de Ferry est remarquable en ce qu'elle est dénuée de propositions : à l'en croire, on ne peut que subir la domination. Domination du réel, domination des hommes. Lui-même s'avoue pessimiste. En réalité, son pessimisme émane d'un impérialisme réaliste. Réaliste en ce qu'il a intégré que le cycle de l'impérialisme menait tôt ou tard (vite) vers l'effondrement et la décrépitude - et qu'il n'y a rien à faire dans le cadre strict de l'impérialisme pour changer la situation. On peut soit accepter les choses, soit changer de cadre. Comme Ferry est farouche partisan du cadre impérialiste, il choisit sans sourciller la position de l'impérialisme conservateur - voire réactionnaire. Il nous explique avec emphase qu'il faut être dur.
Le réel est dur. Les Européens ne sont pas assez durs. Traduction : pas assez impérialistes. Les Europénes sont envisages du simple point de vue des dirigeants : toujours le tropisme oligarchique. Comment appelle-ton l'individu tourné (névrotiquement?) vers le passé? La question que pose Ferry est emblématique de sa manière de ne rien comprendre au cours des choses (d'où l'imposture de sa présence sur un plateau de télévision où il serait venu pour livrer sa réflexion intellectuelle alors qu'il est un excellent médiocre délivrant le message oligarchique occidental en France) : comment selon lui et pour l'Occident reprendre la main sur le cours du monde? Encore de l'impérialisme. Impérialisme à prisme unilatéral : occidental. Les solutions que notre Ferry livre sont centrées sur la problématique européenne, avec comme outil de domination le prévisible G 20, qui est selon ses vues impérialistes le cockpit du monde.
Resterait à trouver le pilote : appel du pied à l'impérialisme de facture occidentaliste. Ferry est démasqué : c'est le point de vue d'un Keynes et de ses épigones (les économistes monétaristes) qu'il reprend, en bon copieur zélé, soit l'impérialisme britannique qui a toujours exigé que le monde soit dirigé, dominé d'une férule de fer - par ses bons soins. Le souci de Ferry porte exclusivement sur l'avenir de l'Europe, ce qui en dit long sur son obsession larvée. Son bouc émissaire tout aussi obsessionnel est la Chine, qu'il allie prudemment à l'Inde pour désigner un ennemi régional asiatique plus large. Ses préoccupation stratégiques rejoignent celles du géopoliticien américain Brzezinski, qui est le conseiller d'Obama et un proche de Kissinger aux États-Unis.
Le progressisme qu'il propose n'est rien d'autre qu'une ruse pour prolonger la domination (l'impérialisme) européenne. La vraie crainte de Ferry concerne moins l'effondrement de cette forme d'impérialisme que son déménagement (inéluctable) vers des contrées plus accueillantes - comme certaines provinces d'Asie du sud est ou la Chine. Luc Ferry exprime le point de vue d'un intellectuel occidental moyen, brillant et mondain, qui se montre fasciné par l'impérialisme à condition que cet impérialisme soit le sien : impérialisme occidental qui est pour le moment britannique et qui pourrait être d'une autre teneur pourvu qu'il demeure occidental. L'obsession de Ferry est de ne pas perdre la main.
Son pessimisme tient moins à l'effondrement de l'impérialisme britannique qu'au fait qu'il puisse quitter l'Occident. Comme tous les intellectuels fascinés par l'impérialisme, Ferry exprime le point de vue (repris par une bonne part des élites) que l'impérialisme est inévitable : soit on domine, soit on est dominé. Mais il convient de subsumer comme dirait Kant, le philosophe que Luc Ferry révère tant, l'erreur centrale que représente Ferry. Cette erreur est couramment répandue chez les intellectuels couronnés des brillants diplômes, mais dénués d'idées, le signe que tous attendent de la haute pensée. Moyennant quoi ces diplômes sanctionnant un champ de savoir délimité, ils indiquent la mauvaise direction de cette pensée finie : la pensée qui cautionne l'impérialisme et qui se manifeste comme soif de domination alliée au nihilisme latent travesti en érudition.
C'est contre cette pédanterie qu'il faut s'élever car ces diplômes considérés comme des bréviaires de création (ce qu'ils ne sauraient être) détruisent la pensée et la création quand ils sont mal considérés (pris pour ce qu'ils ne sont pas dans la hiérarchie des valeurs, eux qui sont assujettis au travail de création). Du coup, les représentants officiels des idées détruisent les idées en les traitant comme de pures répétitions passées. L'historien de la philosophie croit que la philosophie consiste à répéter les idées du passé. Il nie la création alors que le propre de l'idée tient dans la création. L'historien de la philosophie est un commentateur passéiste et dépassé qui croit que le monde est figé; le créateur comprend que le réel étant infini, il ne peut que suivre le changement.
Sans doute peut-on expliquer l'adhésion de Ferry au monde figé par sa formation sclérosante d'historien de la philosophie. C'est rageant d'être un brillant médiocre : car il est d'autant plus dur d'admettre sa médiocrité (la répétition pure) que l'on se trouve paré des plus brillants titres universitaires et de la reconnaissance sociale pour ses facultés intellectuelles. La propre femme de Luc Ferry ne s'extasie-t-elle pas devant son génie de mari? Luc n'a-t-il pas tous les jours la preuve de son excellence en contemplant le luxe dans lequel il vit et la haute tenue sociale de ses intimes (tous nimbés du prestige mondain comme lui)?
A y bien regarder, cette position qui est excellente socialement est à proscrire formellement d'un point de vue idéel qualitatif : n'en déplaise à sa réputation impressionnante et impeccable, Ferry est un piètre philosophe, qui est utilisé du fait de son prestige social par les courants de l'oligarchie pour tenir le discours impérialiste qui convient par temps de crise. C'est triste d'être le porte-parole d'intérêts financiers et de jouer le jeu du perroquet soi-disant objectif et détaché des intérêts et des engagements. On est au mieux un pantin, plus lucidement une marionnette. Ferry accepte son statut parce qu'il n'est pas attiré par les idées, mais par le prestige social des idées.
C'est un arriviste, ce qu'indique sa carrière de politicien dont les cercles de soutien sont impérialistes et oligarchiques. Mais la carrière publique se fonde sur la conception théorique que l'on a du réel. La conception politique de l'impérialisme n'est possible que par une théorie du réel qui soit fixe et figée. Finie. Dans le cas d'un commentateur de philosophie qui répète un savoir gelé, c'est une théorie sclérosée. Ferry s'appuie en tant que commentateur diplômé brillant de philosophie sur l'idée que le monde est fixe.
Le savoir est fixe car le monde est fixe. Dans ce cas, la Terre ne tourne pas rond! On démasque l'imposture travestie en postulat indépassable dans l'idée centrale que développe sans cesse Ferry : non seulement l'impérialisme est indépassable en politique, mais l'expression de la mondialisation est indépassable. Ferry prend le concept de mondialisation dans un sens fixe et figé. La mondialisation (ou la globalisation) est juste à condition de considérer qu'elle constitue la fin ultime du développement de l'humanité. L'homme s'est bloqué une fois pour toutes aux portes closes et indépassables du monde! L'homme est le maître du monde. Le reste du réel est inhumain et inhabitable. Le caractère indépassable de la mondialisation va de pair avec le caractère indépassable de la pensée : on répète depuis Aristote (que Ferry admire fort).
Si l'on entend la mondialisation comme un processus, l'idée de globalisation est présente dès le début de l'histoire (humaine) : la période actuelle n'est qu'une étape transitoire vers l'espace. La conception considérant que cette étape est la fin fige le développement humain à ce stade de mondialisme. On comprend que des impérialistes britanniques propagent cette idée fausse : leur intérêt est de profiter de ce stade qu'ils dominent (plus des pieds que de la tête). En théorie, c'est une idée absurde qui reviendrait à affirmer haut et fort que le présent est devenu l'éternité inchangée et inchangeable.
Luc Ferry propage des idées absurdes. Peut-être y croit-il et sans doute a-t-il intérêt (au sens sensible sinon matériel) à y croire. Il n'empêche qu'en défendant une théorie fausse, il dessert l'Occident qu'il prétend servir et il dessert l'homme (pour un humaniste devenu pessimiste de choc chic ce n'est pas brillant). Il sert quelques factions financières; plus leurs laquais les politiciens et leurs porte-paroles (dont il fait partie). C'est ainsi qu'il dédouane de toutes responsabilités les hommes politiques avec une impudence qui n'est banalisée que par les dérivés d'une époque devenue folle : comme s'il n'existait qu'un type de politique auquel les politiciens devaient se conformer! C'est la négation de la politique et la définition du fatum ou de la nécessité selon les règles de l'asservissement et de l'esclavage incontournables.
Voilà à quoi aboutissent les positions politiques quand elles sont fondées sur des idées fausses. Le préjugé de Ferry concernant la fixité du réel (cette fameuse autant que fumeuse mondialisation figée dans son libéralisme incontrôlable et irrationnel) rejaillit (avec usure) dans son conservatisme exacerbé. Au final, le jugement du protectionniste Todd est juste : effectivement, les dirigeants sont en train de sombrer dans la folie plus encore que la malhonnêteté. Luc Ferry suit ce mouvement. Il le répète. Il suffit de l'écouter pour s'en rendre compte. Est-il possible de tomber si bas, à un niveau intellectuel, mais aussi dans la vulgarité? Tels sont les nihilistes terminaux : des gens exsangues rabâchant des idées épuisées.
(Dans un prochain billet, je traiterai de la questions de Todd Jr. : Pourquoi le protectionnisme est-il impensable? Todd remarque justement qu'il s'agit d'une question plus philosophique qu'économique).
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