Ce n'est pas le pire qui est à venir, c'est le réel.
Au moment où la crise financière internationale est sur le point de croître dans l'intensité, probablement au courant des mois de grandes vacances (juillet/août), il est important de ne pas plonger dans le pessimisme. Il est vrai que les probabilités d'hyperinflation, de guerre et les faillites apocalyptiques des États ne laissent pas insensibles. Face au péril visible, ou évident, il est frappant de constater l'absence de réactivité des peuples, comme s'ils se trouvaient drogués par de puissants anxiolytiques les rendant apathiques, incapables de prendre des mesures adéquates.
Le pessimisme pourrait sembler une réaction enfin circonstanciée, comme si par une humeur sombre l'on prenait la mesure de la gravité de la situation internationale. A y bien regarder, le pessimisme n'est jamais que l'envers du fatalisme indifférent (ou autiste) qui frappe les populations en situation de danger imminent. C'est la réaction invraisemblable et pourtant vérifiable qui toucha les passagers du Titanic qui pour la plupart se montrèrent résignés au point de penser à autre chose (s'intéresser à des sujets dérisoires et rejeter le sujet urgent), voire poussèrent le déni jusqu'au point de fêter leur naufrage (où l'on voit que l'exercice de la fête présente des relents mortifères et suicidaires).
Que dirait-on d'une bête traquée par des chasseurs et qui déciderait de ne plus se sauver, de ne plus se cacher, de ne plus réagir, qui se coucherait au beau milieu d'une clairière pour une sieste réparatrice - ou qui déciderait d'agir comme si elle n'avait jamais été pourchassée à mort? Un tel déni engendre la pitié du spectateur : ce genre de réactions désaxées ou inadaptées indique une telle panique qu'elle tourne à l'impuissance, soit à l'incapacité de faire face au problème par des mesures appropriées.
C'est ce qu'on appelle la fuite en avant. Refuser la réalité au motif qu'elle est inacceptable est la caractéristique conjointe de toutes les attitudes qui se révèlent inadaptées face à une situation de crise - a fortiori quand elle est grave, comme c'est le cas à l'heure actuelle. Le pessimisme exprime la solution du pire. Le choix du pire. C'est le postulat (faux de surcroît) selon lequel la somme des maux dépasse la somme des biens, soit que l'homme est condamné à la destruction. On ne sait pas bien si cette doctrine assez incohérente stipule explicitement que le chaos est la fin du processus de n'importe quel ordre - ou si elle estime que le mal qui entache toute action supporte un certain coefficient de maintien de l'ordre (un certain minimalisme ontologique qui irait de pair avec le pessimisme).
Il est certain que l'immanentisme conduit au pessimisme. Quand les commentateurs de Schopenhauer, au premier rang desquels l'immanentisme terminal Rosset, essayent coûte que coûte d'expliquer que leur Schopenhauer serait moins pessimiste qu'absurde, ils croient déplacer le problème : ils le renforcent - plutôt. Car le pessimisme consiste à estimer que le pire triomphe. Le pire : le désordre. Le désordre l'emporte dans cette conception. Ce désordre implique le démantèlement de l'ordre.
C'est l'actualisation ontologique du concept physique d'entropie, concept qui possède quelque pertinence dans le domaine de la thermodynamique, mais qui se révèle aberrant si on l'étend à une considération ontologique. On ne fait pas de la philosophie en prolongeant des hypothèses physiques finies vers l'infini. Pour le pessimisme, son extension et sa vivacité ne sont possibles que dans un horizon où l'ordre s'épuise, s'appauvrit et où les possibles se raréfient au point de fondre vers l'unicité.
Le pessimisme exprime l'épuisement des possibles qui fondent la réalité sensible et qui en s'amenuisant rendent cette réalisation de plus en plus problématique. Le pire correspond à la nécessité, soit à la solution favorable au désordre : celle qui précède l'ordre. Sans doute les nihilistes tiennent-ils depuis leurs limbes que le désordre total n'est pas ontologiquement possible, soit qu'un ordre minimaliste est indestructible; car leur ontologie repose sur le dualisme antagoniste être fini/néant positif et infini.
L'apologie du désordre ne se fait pas avec pour but d'anéantir l'ordre (et l'homme), mais de le cantonner à l'unicité. Cette unicité coïncide avec son minimalisme. On ne peut avoir un ordre unique que si cet ordre est déjà délabré au point d'avoir détruit les autres possibles et de s'avancer sous les oripeaux de la nécessité et de l'unicité. Mais cette unicité n'est pas ontologique puisqu'elle cohabite avec l'infini du néant nihiliste. Qu'est-ce que cette unicité qui coïncide avec le minimalisme?
C'est l'idée que le sensible ne peut s'expliquer que si l'infini est le néant et que le fini est l'unique. C'est dans cette optique que s'abat le pessimisme, qui en édictant que seul le pire survient propose une grille de lecture ontologique qui est fort proche du nihilisme. Un Nietzsche réfutait son pessimisme au motif qu'il proposait la mutation du réel. Un Rosset disciple de Nietzsche réfute tout autant le pessimisme de Cioran (et de ses épigones mondains et soi disant misanthropes) au motif que son tragique renvoie à l'acceptation du réel tel qu'il est.
Ce tragique est fort proche du pessimisme au sens où la frontière est mince entre la nécessité unique et la nécessité unique du pire. Le pessimiste accepterait le pire en tant que pire alors que le tragique décréterait que le pire est le meilleur (message d'un Rosset). Cette position ressortit de la perversion consistant à décréter sans aucun changement autre que l'arbitraire que le feu rouge est vert. Rosset qui rappelle la perversité d'Althusser se jugeant libre alors qu'il est prisonnier dans un camp allemand (libre d'autant plus qu'il est prisonnier) ne propose guère mieux que cette perversion qu'il relève (justement) chez son maître Althusser.
On pourrait lui appliquer cette citation de Paulhan qu'il cite fréquemment, selon lequel de mémoire puisque pour l'instant je ne retrouve plus la citation, mademoiselle Anaïs était d'autant plus musicienne qu'elle ignorait tout de la musique. Cette inconséquence du pessimisme (le pire l'emporte en tant que le pire est l'unique et le nécessaire) se trouve condamnée par le tragique au motif qu'il subsume l'inconséquence mieux dissimulée du tragique. Le pessimisme ne fait qu'entériner l'acceptation du pire comme solution unique, quand le tragique transforme ce pire en un unique attirant et positif : le meilleur des mondes est aussi le seul; l'acceptation implique la transformation du négatif en positif; la complétude est possible (voire jouissive dans le cas du désir complet).
Le pessimisme reconnaît le mal quand le tragique décrète que c'est le bien. Mais c'est une opération de magie nulle au sens où il s'agit toujours du même produit. Il ne suffit pas de décider par l'opération du saint désir que le produit est bien pour qu'il change de valeur. Cette opération de désir fantasmatique (ou de volonté) confond l'ordre des souhaits avec l'ordre du réel. Le pessimisme est la position la plus lucide à l'intérieur de l'erreur immanentiste d'obédience nihiliste en ce sens qu'il comprend que la posture tragique défendue par Nietzsche (la mutation ontologique) n'est pas possible.
La mode pessimiste actuelle n'est pas dénuée de tout fondement. Elle consiste à allier de manière oxymorique la lucidité et l'illusion, puisque la réaction pessimiste est seulement la plus lucide à l'intérieur de l'erreur nihiliste. Autrement dit : le postulat selon lequel l'unicité du réel (rapporté au sensible) est nécessaire ne devient le pire que si ce postulat est juste. Comme il est évidemment faux, le pessimisme exprime la perversion de l'erreur consistant à rendre cette erreur juste coûte que coûte.
Le plus juste dans la plus faux exprime le plus faux autant que le plus fou : aussi bien le plus pervers. La perversion est l'essence (cardinale) du nihilisme en ce que l'axiome nihiliste renverse le sens classique (il n'est de réel que quelque chose) par le dualisme antagoniste (le néant est l'infini et coexiste à côté du réel sensible et fini). L'expression du fatalisme signifie que le destin (le fameux fatum si cher à Nietzsche) est écrit à l'avance.
Par qui? Ce serait une question dérangeante à poser, mais un fataliste n'est pas en mesure d'y répondre. Il se situe en retrait du pessimiste puisque le pessimiste explique que le pire survient quand le fataliste considère la seule détermination des choses. Les choses sont écrites à l'avance : postulat indémontrable du fataliste et faille béante de son raisonnement. Le pessimisme se montre plus cohérent que le fatalisme en ce qu'il propose une réponse lacunaire au fatalisme : si les choses sont écrites à l'avance, c'est parce que seul le pire survient.
Nietzsche proposera une solution encore plus définitive en prétendant résoudre les insuffisances du pessimisme absurde (de son maître Schopenhauer) par l'adjonction de la mutation ontologique. Tragique en ce que cette mutation est impossible. Mais le pessimisme ne résout nullement le problème fondamental laissé ouvert par le fatalisme : qui écrit les choses à l'avance? Ces écoles au fond parentes, quoique différentes, postulent toutes l'unicité du réel et sa nécessité. Mais en expliquant que c'est le pire qui survient, le pessimisme n'explique pas davantage pourquoi le pire survient ou pourquoi le pire est écrit à l'avance.
Si l'on suit Schopenhauer, sa manière de s'arrêter aux portes de l'absurde bloque l'explication et rend l'absurde inexplicable. Nietzsche n'explique pas davantage puisque son dépassement par la volonté de puissance rend l'explication proposée aussi incompréhensible que problématique (la volonté de puissance n'étant qu'un concept assez trouble et peu développé par le Nietzsche conscient). Rosset qui est le disciple de Schopenhauer et de Nietzsche (plus encore de Nietzcshe que de Schopenhauer, et plus de Spinoza que de Nietzsche) propose quant à lui d'en rester aux limbes de la mutation ontologique en acceptant le réel tel qu'il est.
Il s'agira moins de transformer le monde de l'homme en monde du surhomme (créateur et artiste) que de décréter que le monde tel qu'il est est parfait, complet, adorable. Nietzsche incarne le changement impossible, soit le changement qui n'est pas du changement. Les immanentistes de l'ère tardive (et dégénérée) comprenant que l'immanentisme mène à la ruine sont contraints d'invoquer le changement pour trouver une alternative à la faillite de leur système théorique.
Du coup, ils se scindent en deux types de changement : ceux qui estiment que le changement est possible dans ce monde (les progressistes) et ceux qui estiment que le changement n'étant pas possible das ce monde l'est par contre par l'obtention d'un autre monde qui serait ce monde-ci tout en n'étant plus tout à fait ce monde-ci (les idéalistes pragmatiques). Ce raisonnement des plus tortueux cherche à créer un idéalisme de type immanentiste qui n'étant pas concevable en tant que tel dresse l'apologie de l'inconséquence.
Le changement de type nietzschéen est aussi inconséquent qu'impossible. Une fois que l'on a compris cette impossibilité radicale (sanctionnée par les faits), le projet de changement immanentiste laisse place au désenchantement, qui engendre trois conceptions :
1) la perversion désenchantée et tragique (telle celle propagée par un Rosset);
2) le pessimisme;
3) le fatalisme.
Au fond, ces trois positions sont fort proches. Par ordre décroissant, elles vont de la plus grande inconséquence (de type explicite et sincère) à une inconséquence qui se voudrait conséquente, soit à une irrationalité parée des atours de la rationalité. Dans la crise systémique que nous vivons, crise de nature immanentiste, il est naturel que l'effondrement des possibles accouche de réactions voisines comme le pessimisme, qui ont pour point commun d'entériner l'unicité du réel et d'aller à l'encontre de la doctrine de la multiplicité des possibles.
Toutes au fond confortent l'immanentisme et aggravent la crise. Selon le fatalisme, on ne peut rien y faire (sans autre raison). Selon le pessimisme, seule la solution du pire est envisageable (fragilité moins explicite mais quand même palpable). Selon le tragique, l'explication à tout cela est inexplicable mais réalisable : il suffit de décréter au niveau de son désir (de sa volonté) que l'on en a envie - et l'impossible devient possible. Témoin de cette inconséquence, l'incapacité de Rosset de produire la moindre définition de sa notion de réel alors que le réel est le fondement de sa pensée.
Si l'on reprend l'idée que le réel est constitué d'une multiplicité de possibles et que la réalisation sensible découle de cette multiplicité, non de la nécessité ou de l'unicité, les options comme le pessimisme ambiant actuel (ou le fatalisme fort répandu) s'expliquent par leur adhésion à l'immanentisme terminal. Le piège spécifique du pessimisme s'éclaire face à l'hypothèse des possibles multiples (l'idée que le réel n'est ni uniciste, ni nécessaire en tant que la nécessité serait corrélée à l'unicité) : le pessimisme apparaît comme la réaction la plus cohérente une fois entériné le postulat (faux) de l'unicité (fausse) répandu par l'immanentisme.
Rien d'étonnant à la mode pessimiste actuelle, qui commence en philosophie avec Cioran et qui se poursuit à notre époque d'effondrement systémique avec les idées médiocres et obtuses sur la crise (tout est fichu, clament les immanentistes repentis pour cautionner leurs dérives). Le pessimisme est le meilleur moyen pour le citoyen occidental de se dédouaner de toute responsabilité dans la crise. Le pessimisme est la réaction logique de la logique illogique de type immanentiste : le pessimisme cautionne l'unicité du réel tout en dédouanant le citoyen d'agir dans la crise.
Si on lui rappelle l'hypothèse plus cohérente de la multiplicité des possibles, soit que l'histoire n'est pas écrite d'avance, que le déterminisme n'est jamais complet, que le libre-arbitre est une hypothèse supérieure à la nécessité, le pessimiste s'écroule : ce n'est pas le pire qui est à venir, c'est le réel. Ce n'est le pire, c'est le meilleur au sens où l'actualisation des possibles multiples permet l'amélioration du réel par la concurrence. Mais il serait fortement réducteur de définir le réel à l'aune du seul sensible : le propre du réel dans l'hypothèse des possibles multiples, c'est de comporter des dimensions dont le sensible n'est qu'une expression.
Chez l'homme, est réel ce qui fait sens. Dès lors le pessimisme étant ce qui ne fait pas sens et même ce qui obstrue le sens au point de le condamner à l'unicité sclérosante et débilitante, le pessimisme sanctionne le stade terminal précédant la mort du sens. Le pessimisme définit le stade de l'illusion la plus avancée avant la disparition du sens. Avant la disparition de l'illusion. L'illusion n'est pas tant l'incarnation du néant nihiliste que la destruction des possibles. A ce titre, le pessimisme est la quintessence de la destruction des possibles.
Au moment où la crise financière internationale est sur le point de croître dans l'intensité, probablement au courant des mois de grandes vacances (juillet/août), il est important de ne pas plonger dans le pessimisme. Il est vrai que les probabilités d'hyperinflation, de guerre et les faillites apocalyptiques des États ne laissent pas insensibles. Face au péril visible, ou évident, il est frappant de constater l'absence de réactivité des peuples, comme s'ils se trouvaient drogués par de puissants anxiolytiques les rendant apathiques, incapables de prendre des mesures adéquates.
Le pessimisme pourrait sembler une réaction enfin circonstanciée, comme si par une humeur sombre l'on prenait la mesure de la gravité de la situation internationale. A y bien regarder, le pessimisme n'est jamais que l'envers du fatalisme indifférent (ou autiste) qui frappe les populations en situation de danger imminent. C'est la réaction invraisemblable et pourtant vérifiable qui toucha les passagers du Titanic qui pour la plupart se montrèrent résignés au point de penser à autre chose (s'intéresser à des sujets dérisoires et rejeter le sujet urgent), voire poussèrent le déni jusqu'au point de fêter leur naufrage (où l'on voit que l'exercice de la fête présente des relents mortifères et suicidaires).
Que dirait-on d'une bête traquée par des chasseurs et qui déciderait de ne plus se sauver, de ne plus se cacher, de ne plus réagir, qui se coucherait au beau milieu d'une clairière pour une sieste réparatrice - ou qui déciderait d'agir comme si elle n'avait jamais été pourchassée à mort? Un tel déni engendre la pitié du spectateur : ce genre de réactions désaxées ou inadaptées indique une telle panique qu'elle tourne à l'impuissance, soit à l'incapacité de faire face au problème par des mesures appropriées.
C'est ce qu'on appelle la fuite en avant. Refuser la réalité au motif qu'elle est inacceptable est la caractéristique conjointe de toutes les attitudes qui se révèlent inadaptées face à une situation de crise - a fortiori quand elle est grave, comme c'est le cas à l'heure actuelle. Le pessimisme exprime la solution du pire. Le choix du pire. C'est le postulat (faux de surcroît) selon lequel la somme des maux dépasse la somme des biens, soit que l'homme est condamné à la destruction. On ne sait pas bien si cette doctrine assez incohérente stipule explicitement que le chaos est la fin du processus de n'importe quel ordre - ou si elle estime que le mal qui entache toute action supporte un certain coefficient de maintien de l'ordre (un certain minimalisme ontologique qui irait de pair avec le pessimisme).
Il est certain que l'immanentisme conduit au pessimisme. Quand les commentateurs de Schopenhauer, au premier rang desquels l'immanentisme terminal Rosset, essayent coûte que coûte d'expliquer que leur Schopenhauer serait moins pessimiste qu'absurde, ils croient déplacer le problème : ils le renforcent - plutôt. Car le pessimisme consiste à estimer que le pire triomphe. Le pire : le désordre. Le désordre l'emporte dans cette conception. Ce désordre implique le démantèlement de l'ordre.
C'est l'actualisation ontologique du concept physique d'entropie, concept qui possède quelque pertinence dans le domaine de la thermodynamique, mais qui se révèle aberrant si on l'étend à une considération ontologique. On ne fait pas de la philosophie en prolongeant des hypothèses physiques finies vers l'infini. Pour le pessimisme, son extension et sa vivacité ne sont possibles que dans un horizon où l'ordre s'épuise, s'appauvrit et où les possibles se raréfient au point de fondre vers l'unicité.
Le pessimisme exprime l'épuisement des possibles qui fondent la réalité sensible et qui en s'amenuisant rendent cette réalisation de plus en plus problématique. Le pire correspond à la nécessité, soit à la solution favorable au désordre : celle qui précède l'ordre. Sans doute les nihilistes tiennent-ils depuis leurs limbes que le désordre total n'est pas ontologiquement possible, soit qu'un ordre minimaliste est indestructible; car leur ontologie repose sur le dualisme antagoniste être fini/néant positif et infini.
L'apologie du désordre ne se fait pas avec pour but d'anéantir l'ordre (et l'homme), mais de le cantonner à l'unicité. Cette unicité coïncide avec son minimalisme. On ne peut avoir un ordre unique que si cet ordre est déjà délabré au point d'avoir détruit les autres possibles et de s'avancer sous les oripeaux de la nécessité et de l'unicité. Mais cette unicité n'est pas ontologique puisqu'elle cohabite avec l'infini du néant nihiliste. Qu'est-ce que cette unicité qui coïncide avec le minimalisme?
C'est l'idée que le sensible ne peut s'expliquer que si l'infini est le néant et que le fini est l'unique. C'est dans cette optique que s'abat le pessimisme, qui en édictant que seul le pire survient propose une grille de lecture ontologique qui est fort proche du nihilisme. Un Nietzsche réfutait son pessimisme au motif qu'il proposait la mutation du réel. Un Rosset disciple de Nietzsche réfute tout autant le pessimisme de Cioran (et de ses épigones mondains et soi disant misanthropes) au motif que son tragique renvoie à l'acceptation du réel tel qu'il est.
Ce tragique est fort proche du pessimisme au sens où la frontière est mince entre la nécessité unique et la nécessité unique du pire. Le pessimiste accepterait le pire en tant que pire alors que le tragique décréterait que le pire est le meilleur (message d'un Rosset). Cette position ressortit de la perversion consistant à décréter sans aucun changement autre que l'arbitraire que le feu rouge est vert. Rosset qui rappelle la perversité d'Althusser se jugeant libre alors qu'il est prisonnier dans un camp allemand (libre d'autant plus qu'il est prisonnier) ne propose guère mieux que cette perversion qu'il relève (justement) chez son maître Althusser.
On pourrait lui appliquer cette citation de Paulhan qu'il cite fréquemment, selon lequel de mémoire puisque pour l'instant je ne retrouve plus la citation, mademoiselle Anaïs était d'autant plus musicienne qu'elle ignorait tout de la musique. Cette inconséquence du pessimisme (le pire l'emporte en tant que le pire est l'unique et le nécessaire) se trouve condamnée par le tragique au motif qu'il subsume l'inconséquence mieux dissimulée du tragique. Le pessimisme ne fait qu'entériner l'acceptation du pire comme solution unique, quand le tragique transforme ce pire en un unique attirant et positif : le meilleur des mondes est aussi le seul; l'acceptation implique la transformation du négatif en positif; la complétude est possible (voire jouissive dans le cas du désir complet).
Le pessimisme reconnaît le mal quand le tragique décrète que c'est le bien. Mais c'est une opération de magie nulle au sens où il s'agit toujours du même produit. Il ne suffit pas de décider par l'opération du saint désir que le produit est bien pour qu'il change de valeur. Cette opération de désir fantasmatique (ou de volonté) confond l'ordre des souhaits avec l'ordre du réel. Le pessimisme est la position la plus lucide à l'intérieur de l'erreur immanentiste d'obédience nihiliste en ce sens qu'il comprend que la posture tragique défendue par Nietzsche (la mutation ontologique) n'est pas possible.
La mode pessimiste actuelle n'est pas dénuée de tout fondement. Elle consiste à allier de manière oxymorique la lucidité et l'illusion, puisque la réaction pessimiste est seulement la plus lucide à l'intérieur de l'erreur nihiliste. Autrement dit : le postulat selon lequel l'unicité du réel (rapporté au sensible) est nécessaire ne devient le pire que si ce postulat est juste. Comme il est évidemment faux, le pessimisme exprime la perversion de l'erreur consistant à rendre cette erreur juste coûte que coûte.
Le plus juste dans la plus faux exprime le plus faux autant que le plus fou : aussi bien le plus pervers. La perversion est l'essence (cardinale) du nihilisme en ce que l'axiome nihiliste renverse le sens classique (il n'est de réel que quelque chose) par le dualisme antagoniste (le néant est l'infini et coexiste à côté du réel sensible et fini). L'expression du fatalisme signifie que le destin (le fameux fatum si cher à Nietzsche) est écrit à l'avance.
Par qui? Ce serait une question dérangeante à poser, mais un fataliste n'est pas en mesure d'y répondre. Il se situe en retrait du pessimiste puisque le pessimiste explique que le pire survient quand le fataliste considère la seule détermination des choses. Les choses sont écrites à l'avance : postulat indémontrable du fataliste et faille béante de son raisonnement. Le pessimisme se montre plus cohérent que le fatalisme en ce qu'il propose une réponse lacunaire au fatalisme : si les choses sont écrites à l'avance, c'est parce que seul le pire survient.
Nietzsche proposera une solution encore plus définitive en prétendant résoudre les insuffisances du pessimisme absurde (de son maître Schopenhauer) par l'adjonction de la mutation ontologique. Tragique en ce que cette mutation est impossible. Mais le pessimisme ne résout nullement le problème fondamental laissé ouvert par le fatalisme : qui écrit les choses à l'avance? Ces écoles au fond parentes, quoique différentes, postulent toutes l'unicité du réel et sa nécessité. Mais en expliquant que c'est le pire qui survient, le pessimisme n'explique pas davantage pourquoi le pire survient ou pourquoi le pire est écrit à l'avance.
Si l'on suit Schopenhauer, sa manière de s'arrêter aux portes de l'absurde bloque l'explication et rend l'absurde inexplicable. Nietzsche n'explique pas davantage puisque son dépassement par la volonté de puissance rend l'explication proposée aussi incompréhensible que problématique (la volonté de puissance n'étant qu'un concept assez trouble et peu développé par le Nietzsche conscient). Rosset qui est le disciple de Schopenhauer et de Nietzsche (plus encore de Nietzcshe que de Schopenhauer, et plus de Spinoza que de Nietzsche) propose quant à lui d'en rester aux limbes de la mutation ontologique en acceptant le réel tel qu'il est.
Il s'agira moins de transformer le monde de l'homme en monde du surhomme (créateur et artiste) que de décréter que le monde tel qu'il est est parfait, complet, adorable. Nietzsche incarne le changement impossible, soit le changement qui n'est pas du changement. Les immanentistes de l'ère tardive (et dégénérée) comprenant que l'immanentisme mène à la ruine sont contraints d'invoquer le changement pour trouver une alternative à la faillite de leur système théorique.
Du coup, ils se scindent en deux types de changement : ceux qui estiment que le changement est possible dans ce monde (les progressistes) et ceux qui estiment que le changement n'étant pas possible das ce monde l'est par contre par l'obtention d'un autre monde qui serait ce monde-ci tout en n'étant plus tout à fait ce monde-ci (les idéalistes pragmatiques). Ce raisonnement des plus tortueux cherche à créer un idéalisme de type immanentiste qui n'étant pas concevable en tant que tel dresse l'apologie de l'inconséquence.
Le changement de type nietzschéen est aussi inconséquent qu'impossible. Une fois que l'on a compris cette impossibilité radicale (sanctionnée par les faits), le projet de changement immanentiste laisse place au désenchantement, qui engendre trois conceptions :
1) la perversion désenchantée et tragique (telle celle propagée par un Rosset);
2) le pessimisme;
3) le fatalisme.
Au fond, ces trois positions sont fort proches. Par ordre décroissant, elles vont de la plus grande inconséquence (de type explicite et sincère) à une inconséquence qui se voudrait conséquente, soit à une irrationalité parée des atours de la rationalité. Dans la crise systémique que nous vivons, crise de nature immanentiste, il est naturel que l'effondrement des possibles accouche de réactions voisines comme le pessimisme, qui ont pour point commun d'entériner l'unicité du réel et d'aller à l'encontre de la doctrine de la multiplicité des possibles.
Toutes au fond confortent l'immanentisme et aggravent la crise. Selon le fatalisme, on ne peut rien y faire (sans autre raison). Selon le pessimisme, seule la solution du pire est envisageable (fragilité moins explicite mais quand même palpable). Selon le tragique, l'explication à tout cela est inexplicable mais réalisable : il suffit de décréter au niveau de son désir (de sa volonté) que l'on en a envie - et l'impossible devient possible. Témoin de cette inconséquence, l'incapacité de Rosset de produire la moindre définition de sa notion de réel alors que le réel est le fondement de sa pensée.
Si l'on reprend l'idée que le réel est constitué d'une multiplicité de possibles et que la réalisation sensible découle de cette multiplicité, non de la nécessité ou de l'unicité, les options comme le pessimisme ambiant actuel (ou le fatalisme fort répandu) s'expliquent par leur adhésion à l'immanentisme terminal. Le piège spécifique du pessimisme s'éclaire face à l'hypothèse des possibles multiples (l'idée que le réel n'est ni uniciste, ni nécessaire en tant que la nécessité serait corrélée à l'unicité) : le pessimisme apparaît comme la réaction la plus cohérente une fois entériné le postulat (faux) de l'unicité (fausse) répandu par l'immanentisme.
Rien d'étonnant à la mode pessimiste actuelle, qui commence en philosophie avec Cioran et qui se poursuit à notre époque d'effondrement systémique avec les idées médiocres et obtuses sur la crise (tout est fichu, clament les immanentistes repentis pour cautionner leurs dérives). Le pessimisme est le meilleur moyen pour le citoyen occidental de se dédouaner de toute responsabilité dans la crise. Le pessimisme est la réaction logique de la logique illogique de type immanentiste : le pessimisme cautionne l'unicité du réel tout en dédouanant le citoyen d'agir dans la crise.
Si on lui rappelle l'hypothèse plus cohérente de la multiplicité des possibles, soit que l'histoire n'est pas écrite d'avance, que le déterminisme n'est jamais complet, que le libre-arbitre est une hypothèse supérieure à la nécessité, le pessimiste s'écroule : ce n'est pas le pire qui est à venir, c'est le réel. Ce n'est le pire, c'est le meilleur au sens où l'actualisation des possibles multiples permet l'amélioration du réel par la concurrence. Mais il serait fortement réducteur de définir le réel à l'aune du seul sensible : le propre du réel dans l'hypothèse des possibles multiples, c'est de comporter des dimensions dont le sensible n'est qu'une expression.
Chez l'homme, est réel ce qui fait sens. Dès lors le pessimisme étant ce qui ne fait pas sens et même ce qui obstrue le sens au point de le condamner à l'unicité sclérosante et débilitante, le pessimisme sanctionne le stade terminal précédant la mort du sens. Le pessimisme définit le stade de l'illusion la plus avancée avant la disparition du sens. Avant la disparition de l'illusion. L'illusion n'est pas tant l'incarnation du néant nihiliste que la destruction des possibles. A ce titre, le pessimisme est la quintessence de la destruction des possibles.
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