dimanche 6 février 2011

Principe de non contraction

Le principe de non-contradiction tant étudié et suivi par Aristote semble indiquer qu'Aristote le métaphysicien situerait sa métaphysique dans les pas de l'ontologie. Plus pragmatique que Platon, moins idéaliste, mais tout aussi - philosophe. Philosophe ne signifie pas que l'on soit ontologue. Ceci pour une raison étymologique : si à la rigueur on pourrait parler d'ontologie nihiliste, dans un curieux oxymore, à la suite des travaux de Démocrite d'Abdère, il conviendrait plutôt de parler de mésontologie, à propos de ce qui est (paradoxalement) la science du non-être plus que de l'être...
Pourtant, à y bien regarder, ce principe de non-contradiction est étudié d'une manière logique; et la logique chez Aristote sert à étudier le langage là où les sophistes utilisaient la rhétorique. Procédé plus scientifique peut-être, mais assez parent, finalement... On pourrait noter un autre rapprochement fâcheux : les logiciens contemporains, ceux qui ont mis la logique au goût de la pensée, ont repris la démarche d'Aristote en lui conférant une portée plus radicale : prétendant le plus souvent remplacer l'illusion métaphysique au nom de la démarche logique. Les logiciens sont dans l'époque contemporaine des disciples encore plus radicaux d'Aristote, à tel point qu'ils en viennent à le considérer comme un philosophe classique. Curieuse manière d'ôter à l'ontologie sa démarche propre et à assimiler l'ontologie représentée par Platon et la métaphysique portée par le dissident Aristote...
Cette radicalité des logiciens contemporains peut être interprétée dans le cadre de l'histoire de l'immanentisme, qui constitue dès les origines (Spinoza) une radicalisation du nihilisme antique (on passe de la finitude au désir complet); dans ce processus de radicalisation, la logique servirait la réduction du désir complet à la logique excluant au nom de la raison le restant comme illusoire... Un des grands refrains des logiciens consiste à décréter avec prétention que la plupart des idées classiques reposent sur des préjugés, au nom de la critique soi-disant novatrice et objective du langage. Au final, cette critique détruit beaucoup et ne remplace par - rien.
Aristote revendique beaucoup le principe de non-contradiction justement pour montrer que sa pensée ne repose pas sur le nihilisme historique et rejeté des sophistes, mais qu'elle s'inscrit dans le champ de la philosophie, avec une différence majeure par rapport à l'héritage platonicien - mais dans le champ de la philosophie. Le but d'Aristote est d'inscrire le nihilisme dans la cohérence philosophique (le sérieux). Aristote prétend même réfuter les sophismes, qu'il nomme paralogismes notamment. Mais il reprochera à Platon d'user de paralogismes au nom du rétablissement du non-être. Cette simple référence (Platon rangé parfois dans la catégorie des sophistes) suffit à montrer qu'Aristote entend se situer dans un nihilisme qui réfute les options nihilistes passées (comme celles des sophistes) tout en s'opposant aux thèses ontologiques classiques personnifiées par le maître Platon.
L'outil du principe de non-contradiction sert à accréditer l'idée selon laquelle Aristote serait parvenu au plus haut degré de cohérence logique et physique - métaphysique. Le critère de la cohérence pour Aristote devient l'arme de la science dans le langage. Il prétend avoir perfectionné la rhétorique (notamment des sophistes) en en faisant la science de la logique. Il reproche des paralogismes et autres erreurs logiques chez Platon, qui s'ne tiendrait à l'arme du langage logique. Aristote entend montrer qu'il a amélioré (rationalisé) le verbe philosophique et surtout que le parti métaphysique qu'il incarne constitue une amélioration de la philosophie plus que du nihilisme.
Pour savoir si Aristote est parvenu à sa fin première, dépasser Platon, il suffit de constater qu'il fait montre d'une mauvaise foi consciente quand il réduit le sens du non-être chez Platon au faux, alors que Platon clairement définit le non-être comme l'autre. Aristote n'use pas de la sorte parce qu'il n'a pas compris la définition platonicienne, mais parce que la définition du faux lui permet de légitimer son nihilisme, alors qu'il est désarmé par la définition plus universelle et cohérente de l'autre - il peut contester la validité de l'Etre, mais sans définir en retour le non-être, alors que le faux introduit une faiblesse logique dans le système platonicien.
Le nihilisme d'Aristote le pousse à décréter que la logique est l'arme de la vérité à l'intérieur de l'être, alors que l'être est fini (il le mentionne dans ses recherches physiques, ce qui est un aveu terrible, puisque Aristote accorde une importance capitale à la science et que cette manière de considérer que l'être est fini et que la science est capitale au sein de l'être recoupe la démarche de Démocrite, en la dotant d'armes logiques et métaphysiques). Le principe de non-contradiction est utilisé comme une machine de guerre renforçant encore l'impression de cohérence du système aristotélicien, alors que cette cohérence n'affecte que partiellement le système aristotélicien et qu'elle se trouve radicalement détruite une fois que l'on sait que l'être est fini.
Le mode de pensée aristotélicien pourrait être taxé de dualisme antagoniste au sens où il exige une cohérence et une logique d'autant plus aiguisée, voire irréfutable que cette cohérence se trouve battue en brèche par l'opposition tacite du non-être. Le non-dit du non-être joue le rôle de l'incohérence face à la logique qui en dit toujours trop. Le principe de non-contradiction d'Aristote, loin de perfectionner l'ontologie par la logique (métaphysique), ne fait que repousser l'incohérence des bornes de l'être vers le non-être.
On prête à Aristote une logique qui l'opposerait à l'incohérence nihiliste incarnée par un Démocrite ou par les sophistes. C'est oublier que cette cohérence est finie; autrement dit, qu'elle se trouve au service de l'incohérence. Le principe de non contradiction d'Aristote n'abolit pas définitivement la contradiction pour promouvoir la cohérence; il abolit la contradiction dans la sphère du réel fini - pour repousser la contradiction un cran au-delà, au rayon du non-être. Le principe de non contradiction ne résout pas la contradiction, mais la repousse d'un cran. C'est une différance au sens derridien : on résout dans la mesure où l'on diffère (indéfiniment). C'est une stratégie nihiliste qui caractérise plus la démarche d'un Aristote que celle d'un déconstructeur et philosophe mineur comme Derrida.

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