samedi 7 juin 2008

Libheurtée

La liberté selon l'immanentisme consiste à définir le donné comme un aspect fini que se partageraient toutes les singularités. Ces singularités sont humaines, attention qui montre que l'immanentisme récuse l'anthropomorphisme pour mieux le réintroduire subrepticement. De ce point de vue, le réel apparaît comme une série de parts à diviser entre les singularités. Dans ce jeu de rôle où le donné est fini et suppose ainsi que chacun y obtienne son dû, on comprend que la liberté immanentiste soit définie comme accroissement de la puissance, par Spinoza, mais aussi par d'autres immanentistes qui lui emboîteront le pas et qui sont de l'assez petite bière.
Cette définition de la liberté n'est intrigante ou pénétrante que si on oublie ce qu'elle signifie vraiment de tragique et d'attristant : la domination, l'implacable et prévisible domination. Dans un monde donné, la vraie liberté consiste à accroître du plus possible sa zone d'influence et son territoire d'intervention. Rien d'étonnant dès lors à ce que tous les penseurs contemporains ne jurent que par cette postérité de la liberté qui est l'encouragement à toujours plus de domination dans un monde où la seule perspective se résume à cette outrageuse domination - à cette domination en tant qu'outrage.
Etre joyeux, c'est dominer; être triste, c'est être dominé. Restreindre sa part de réel - ou l'augmenter. Rien d'étonnant à ce que les immanentistes considèrent comme vertueux tous les coups pourvu qu'ils encouragent l'accroissement de la liberté immanentiste. La morale classique et transcendantale est de piètre qualité puisqu'elle agit selon la reconnaissance de l'absolu et de l'ailleurs.
Pour l'immanentiste, cet ailleurs n'existe pas et tout ce qui est est donné pour la singularité. La centralité du désir dans la thématique immanentiste est tout à fait conséquente si l'on s'avise que le désir est le centre névralgique du moteur immanentiste si la liberté consiste à accroître sa puissance. Etre libre, c'est précisément suivre les indications de son désir comme accélérer revient à suivre les variations de son moteur. Il resterait à sous-entendre que le turbo ou l'injection impliquent de brusques et pétaradantes accélérations, quand le vieux tacot suit son chemin poussif et poussiéreux.
Chacun fait comme il peut, et non comme il lui plaît, selon sa nécessité, et c'est en quoi l'immanentisme est aussi foncièrement inégalitaire et fataliste dans son plan et son déroulement. Mais cette nécessité est immanentiste dans la mesure où elle ignore sa principale question (la question qu'elle découvre précisément). L'immanentisme ne pose jamais la question du néant, parce qu'il la recouvre par une fausse résolution : le réel est tout, donc le néant n'existe pas.
Mais si l'on rétablit le néant dans ses prérogatives avec la question de l'extériorité, on se rend compte que le néant ressurgit de manière inexplicable et qu'il explique par contre toutes les déterminations de l'immanentisme, y compris quand ces déterminations sont censées expliquer l'immanence comme le remplacement de la transcendance. L'immanentisme est un gigantesque plan pour maîtriser le réel en évacuant tout ce que le réel comporte d'inquiétant et d'immaîtrisable.
Dans ce plan, la liberté est la valeur suprême en ce qu'elle signale que l'individu a atteint sa plénitude et que cette plénitude découle de la maîtrise de sa part donnée. Etre libre, c'est :
1) maîtriser sa part donnée;
2) augmenter cette part et augmenter ainsi la puissance de sa jouissance et de sa liberté.
On mesure le mensonge d'une telle définition de la liberté quand on s'avise que cette liberté repose sur une définition fausse du réel et une définition carrément inquiétante de la singularité. En outre, cette définition est simpliste et réductrice en ce qu'elle occulte le néant ou tout simplement le réel dans son insigne majorité, soit le réel qui n'est pas fini et qui échappe aux critères du donné.

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