Comme nous brûlons de lancer la Coupe du monde de football, un petit mot sur le ballon rond. Pas sur tel ou tel débat, telle ou telle composition, tel ou tel joueur. On s'en fout. Pour définir le football de l'heure, on pourrait lancer : dopage et trucage. Il suffira de citer deux ouvrages réalisés par des Anglais, alors que le football est un sport crée par des Anglais. Le premier porte sur les arcanes corrompus de la FIFA (Carton rouge, Andrew Jennings). Le second sur le trucage dans l'histoire du football, en Asie du sud-est comme en Europe (Comment truquer un match de foot?, Declan Hill).
On parle peu de dopage, pas de trucage, mais le trucage est le fondement du football-spectacle-business. Hill rappelle que les graves présomptions de trucage qui sont liées au développement des paris (notamment par Internet) ne remontent nullement à la Coupe du monde 2002 ou aux frontières des footballs d'Asie du Sud-est. L'histoire du football d'après-guerre est entachée par les scandales majeurs de trucage. Si l'on truque le sport, son spectacle s'apparente à un combat de catch, où l'important tient moins dans le résultat (joué d'avance) que dans la manière (matière de ce qu'on donne à voir).
Dans le sport, la manière importe plus que le fond. Le football est le sport le plus populaire du monde. Cet engouement intervient durant le vingtième siècle, quand l'immanentisme tardif et dégénéré au pouvoir fait montre de sa virulence paroxystique (notamment les deux guerres mondiales). La popularité invraisemblable du sport intervient lors d'une période où l'on a besoin de promouvoir la morale de l'immanentisme tardif (et dégénéré). Que promeut le sport? L'hygiène du corps, l'individu fort, une sorte de surhomme physique, le culte du sensible et de la forme.
Cette morale affiche un décalage impressionnant avec sa pratique, à tel point qu'on peut parler de tartuferie monumentale et généralisée dans l'exercice du football (comme emblème du sport médiatique). La réalité du sport, ce n'est pas cette sainteté physique et cette pureté d'apparence. C'est le mensonge, la destruction et la violence. Le sport représente la quintessence pratique de la morale immanentiste tardive telle que Nietzsche la résume avec sa douceur caractéristique : le culte de l'apparence et le refus des arrières-mondes (même caricaturés comme dans le cas de la critique délirante du platonisme).
La fascination des athlètes s'écroule quand on rappelle l'identité de ces athlètes. Le malaise autour du trucage est insoluble : car si le trucage est avéré, le fondement du sport (le jeu) s'effondre radicalement et définitivement. Pour le dopage, c'est plus ambivalent, car certains escompteront qu'en légalisant le dopage, ils parviendront à résoudre le problème de l'incompatibilité entre ce que le sport montre et ce qu'il accomplit. Las, le ver est dans le fruit dès le dopage : en accroissant la quantité on détruit la qualité.
Le culte du sport indique le culte de l'apparence. Son principe est d'instaurer le mensonge (la contradiction insoluble) entre ce qui est et ce qui apparaît en insinuant que ce qui est se résume à ce qui apparaît. Le sport est la promotion incarnée de l'immanentisme. Le mensonge de l'immanentisme est incarné dans l'évolution inquiétante du sport, où les athlètes se montrent de plus en plus des robots instrumentalisés (l'homme-bête) par les dirigeants du spectacle (ainsi des révélations inquiétantes d'un Jennings à propos de la FIFA et de ses dirigeants méphistophéliques).
Aux abords de la Coupe du monde, le football n'étant que le sport le plus populaire l'intérieur d'un vaste chantier où tous les sports populaires suscitent l'enthousiasme fanatique, les milliards que charrie ce sport-business n'illustrent pas seulement que le sport représente l'ultra-libéralisme le plus indécent, celui qui conforte les inégalitarismes les plus exacerbés : non seulement l'écart entre la moyenne des footballeurs et les mieux payés est invraisemblable; mais encore les supporters de football se recrutent souvent parmi les plus pauvres et les plus fanatiques des pays qu'ils représentent.
Bientôt, selon la logique des dirigeants, les équipes nationales seront remplacées par des équipes représentant des marques de multinationales. Espérons que le système se sera effondré d'ici là, sinon nous vivrons dans un monde diabolique. Soit dit en passant, le fanatisme est réservé certaines Lumières (obscures et voltairiennes) pour désigner le fanatisme religieux. Si je réprouve le fanatisme religieux, je constate que le fanatisme prend d'autres formes suivant que Dieu est ou n'est pas la fin ultime.
Dans des religions immanentistes qui détruisent les représentations traditionnelles du divin, ce sont les formes diaboliques qui prennent la place laissée vacante. Le fanatique de football est un adorateur de cultes ataviques (et antiques) qui dressent l'apologie débridée du corps. Le diabolisme d'une manière générale tend à remplacer le culte du divin par le culte d'objets physiques (le corps dans le sport) afin de mieux promouvoir la propagande du réel nihiliste.
Dans ce jeu de dupes, la promotion inconditionnelle du jeu évoque l'interdiction du jeu par les monothéismes. L'interdiction du jeu s'explique par le remplacement qu'il opère entre l'explication divine de la liberté et le hasard. Dans le sport, en particulier le football, le jeu est régenté par deux grandes forces qui remplacent le divin et découlent de l'immanentisme :
1) le hasard au sens où le cours du jeu demeure inexplicable et irrationnel;
2) l'humain au sens où c'est le désir qui régente les actions humaines.
Selon cet archétype, le sportif est l'incarnation de l'individu surhumain, capable dans le cadre symbolique du jeu d'atteindre aux plus hautes sphères de décision et de pouvoir. L'incroyable aura dont jouissent les sportifs découle moins de leurs revenus colossaux (et disproportionnés) que de ce pouvoir dont ils sont investis et dont ils ont les plus grandes peines à gérer l'influence. D'une manière générale, les sportifs font preuve d'une bêtise qui est typique de ce qu'on attend d'eux : la surface remplaçant l'intériorité, leur absence d'intelligence se trouve largement compensée par la performance de leurs muscles.
Le jeu joue pour l'enfant le rôle capital de l'ordonnancement non seulement à l'intérieur du monde dans lequel il naît (au sens étymologique), mais de la société humaine. Jouer, c'est acquérir et intégrer les us et coutumes en commençant par découvrir les objets, puis en leur donnant un rôle social. Le jeu est façonné par l'homme et si l'enfant aime tant jouer, c'est qu'il y trouve le moyen d'assouvir son inclination pour l'ordonnancement.
Mais le jeu est l'incarnation archétypale de l'ontologie immanentiste. Dans l'ontologie immanetiste, le seul réel est réduit au sensible. Dans le jeu, le réel est réduit aux contours - du jeu. Ces contours se trouvent édictés par le désir humain, qui est la grande affaire de l'immanentisme. Pas étonnant que le système immanentiste s'effondre quand on constate que la réduction mène à la désintégration. Prenez les sports, n'importe quel sport, le football en particulier, comme la quintessence de cette réduction.
Le sport est la pratique du jeu collectif, dans lequel les participants sont dopés par des dirigeants truqueurs et supportés par des fanatiques décérébrés. Comme si ce tableau consternant ne suffisait pas, le sport passionne d'autant plus (au sens de déchaînement et d'obsession) qu'il est déjà périmé. Après les multiples scandales de dopage, le cyclisme se voit discrédité. Le cœur n'y est plus, même au sein des fanatiques de la Grande Boucle qui font semblant de ne pas voir ce que tout le monde désormais a vu. Problème : les autres sports soumis aux cadences infernales du spectacle médiatique subissent les mêmes outrages, bientôt révélés, à mesure que l'effondrement progresse, que le néant gagne du terrain (sans vilain jeu de mots).
Le sort qui attend le football est identique à la désaffection (et la désaffectation) qui commence à frapper le cyclisme. Plus l'immanentisme s'effondrera, plus le sport le suivra, dans un effet de causalité dont il est difficile de distinguer l'écheveau originel. Le sport constitue un excellent indicateur de l'état du système immanentiste car la morale immanentiste se trouve toute entière injectée (telle une hormone de croissance) dans la pratique sportive. Quand vous contemplez un match insipide de football-spectacle lors d'une manifestation sportive prestigieuse comme la Coupe du monde, ne songez pas seulement au sort qui attend le football à la suite du cyclisme.
Le sort du sport. Le porc du sport. Au lieu de réduire, agrandissez. L'immanentisme s'effondre parce que son fonctionnement n'est pas pérenne. Son processus n'est pas viable. Le sport fournit un excellent indicateur de l'état dans lequel se trouvent les acteurs comme les spectateurs. Tous plongent de plus en plus, bien qu'ils n'aient jamais représenté que le spectacle navrant de ce que représente le sport - lui-même représentant fidèle de l'état de l'immanentisme. Le cours de l'immanentisme, au sens du cours de la Bourse, se trouve coté dans le sport (en décote). La Coupe du monde offrira un spectacle du niveau actuel du football-business. Il se pourrait bien que ce soit l'un des derniers de ce tonneau (idyllique et hypocrite). Le système immanentiste s'effondre, mais aussi, surtout, les supporters en auront assez.
2 commentaires:
Quand on a vu exploser de joie Michel Platini avec la Juventus de Turin au Eysel après la mort de 39 spectateurs et des centaines de blessés. Le plus bas avait été atteint.
Vous avez raison, mais même avant, le dopage dans le Calcio ou le trucage en Angleterre sont des fléaux.
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