Dans l'interview qu'il donne à Philosophie magazine (que j'ai déjà critiquée), le philosophe post-cartésien Marion croit bon de dresser l'éloge du scepticisme philosophique sur le mode de la certitude négative. Cette certitude négative rationnelle irait de pair avec la foi. Le besoin de certitude ne s'encombre pas d'esbroufe, puisqu'en l'occurrence la certitude est négative. Autant dire que la seule certitude serait l'incertitude, ce qui n'est déjà pas signe d'un raisonnement très sain.
Marion essaye à la suite de Pascal dont il se réclame de concilier la validité philosophique avec la foi, en distinguant le domaine de la pensée philosophique qui serait la certitude négative du domaine de la foi qui serait l'arationnel. L'arationnel engloberait la raison, mais la raison ne produirait que de la certitude négative. La certitude positive serait l'apanage de Dieu, qui du coup serait le maître de l'impossible. Cette présentation du christianisme permet au phénoménologue Marion de proposer l'exercice philosophique comme propédeutique à la foi.
La raison est philosophique quand la foi est arationnelle. A l'examen de cette définition, elle correspond en tous point au scepticisme que promeut Rosset, notamment dans son Principe de cruauté. Rosset dresse l'apologie du scepticisme, à ceci près que Rosset est un immanentiste terminal qui propose du scepticisme une version nihiliste patente s'arrêtant aux portes du scepticisme nihiliste, tandis que Marion propose au-delà le camp de la foi religieuse.
Quelle foi? Quelle religiosité? Le scepticisme de Rosset est mâtiné de nihilisme en ce qu'il suit la définition de la vérité inférieure - tandis que le scepticisme authentique décrète que la vérité est indécidable sur les questions ultimes, en particulier les questions d'ordre religieux. Le problème de Marion est de concilier l'héritage d'un Descartes, d'un Pascal et d'un Nietzsche. Concilier Nietzsche et Pascal n'est pas possible tant nous avons affaire à deux esprits religieux diamétralement opposés et inconciliables.
Pascal est tourné vers la foi catholique et sa réflexion amène à la foi; quand Nietzsche est un immanentiste tardif et dégénéré, qui propose de la religiosité la vision du déni et du masque. Quant à Descartes, notre Aristote moderne, héritier d'une tradition scolastique qu'il réforme pour mieux en reprendre le canevas, en la modernisant, il est le philosophe qui propose un compromis moderne balbutiant entre nihilisme et transcendantalisme, entre la tradition des sophistes et la tradition d'Aristote.
Descartes modernise l'aristotélisme en ce que la définition d'Aristote du réel n'est plus valide au début de la modernité. Descartes revisite et révise cette définition en y ajoutant le subterfuge du deux ex machina : selon Descartes, l'univers est mécaniste et l'arationalisme de Dieu est magique, miraculeux et incompréhensible. C'est vers cette démarche de miracle et de magie que se dirige Marion comme s'il ne restait que cette solution pour un esprit rationnel afin de définir la démarche religieuse et le divin.
Marion nous explique que Dieu est le maître de l'impossible et qu'à Dieu, rien d'impossible. Il définit le divin comme l'arationnel, mais un arationnel qui ne serait pas compréhensible du point de vue du rationnel limité et imparfait. L'imperfection et les limites du rationnel sont le cœur des deux grandes traditions : d'un côté, la tradition qui estime que l'imperfection n'empêche pas la connaissance; de l'autre, la tradition qui juge que la connaissance est impossible.
La connaissance est impossible signifie non que toute connaissance est impossible, mais que la connaissance de Dieu est impossible. C'est ici qu'il importe de ferrailler avec des croyants comme Marion en leur reprochant d'être des nihilistes plus ou moins masqués, moins habiles qu'opportunistes, qui confondent l'arationalisme et l'irrationalisme et qui estiment à tort que le religieux se distingue du philosophique en ce qu'il serait distinct du rationalisme (défini comme la spécificité de la démarche philosophique humaine).
Cette distinction entre rationalisme et arationalisme définit l'arationalisme comme ce qui englobe le rationalisme de manière unilatérale, mais qui coupe le rationalisme de l'arationalisme dans le sens du rationalisme (depuis le rationalisme). Cet arationalisme arbitraire et unilatéral tend vers l'irrationalisme et le nihilisme en ce que cet arationalisme empêche la connaissance rationnelle. Le cœur du débat oppose la connaissance rationnelle à l'irrationnelle. Le rationnel se trouve condamné à partir du schéma d'un scepticisme qui oscille entre deux pôles : d'un côté le nihilisme à la Rosset où le négatif est total; de l'autre la religiosité irrationnaliste d'un Marion qui propose à la suite (et au-dessus) du négatif pur - le religieux.
Ce religieux est très dangereux parce qu'il s'appuie sur l'irrationalisme : le scepticisme est une école doctrinale qui cache en son creux le nihilisme antique et atavique. Ce n'est pas un hasard si Rosset de nos jours se réfugie dans le scepticisme pour mieux fourbir son immanentisme terminal. Toute forme de religiosité qui s'appuie sur le négatif du rationalisme est en son tréfonds de nature irrationnelle. Ce religieux-là est impossible au sens où si Dieu est le maître de l'impossible, il restaure sous un nom moins inquiétant le principe du nihilisme.
Le Dieu de Marion n'est pas le Dieu des chrétiens. C'est un Dieu au service du nihilisme qui mène vers le néant et la destruction. Cette constatation impitoyable et inquiétante (diablement) se vérifie à partir du statut de la connaissance. Toute démarche religieuse qui s'écarte de la connaissance trahit l'essence du religieux. Le religieux historique, depuis les limbes du transcendantalisme, a été fondé pour rendre possible la connaissance. Tout type de religieux qui empêche la connaissance, qui la fige dans la catégorie nihiliste de l'impossible, est un religieux qui fait le jeu du nihilisme, quand il ne le sert pas explicitement.
Marion au bas mot fait le jeu du nihilisme et c'est un fort mauvais constat pour l'état du christianisme catholique séculaire, quand on sait la position de tête pensante qu'occupe Marion dans la pensée catholique française actuelle. La définition que Marion propose de l'impossible est un révélateur, mais le plus révélateur reste la formule de certitude négative. Obnubilé par le fait de trouver la certitude à la suite de Descartes, Marion qui en sait trop au sens fini, et qui n'en sait pas assez au sens infini, s'égare dans une formule qui escamote le problème : la certitude négative.
Cette certitude est à peu près aussi certaine que son correspondant oxymorique la certitude incertaine. La certitude incertaine ne veut rien dire et serait une formule nihiliste et explicitée si le nihilisme n'était cette pensée qui avance masquée et qui ne peut tenir que masquée - démasquée elle serait ridiculisée séante tenante du fait de son inconséquence exacerbée et patente. Pour autant cette manière de considérer le rationalisme comme négatif engendre l'impossibilité de la consistance et l'avènement du nihilsime.
Marion prétend que sur les questions dernières il n'est pas possible de produire une incertitude positive et que cette certitude positive serait l'apanage de la démarche scientifique qui parvient à cet état grâce à la réduction de son champ d'étude à un objet fort délimité. Dans cette conception, Marion croit retrouver les fameuses distinctions classiques, où le religieux englobe le philosophique, le scientifique s'y trouvant englobé. La science est positive mais incertaine; la science des sciences est certaine et négative.
Cette réconciliation se fait sur le dos de l'impossible et de l'irrationnel et c'est en quoi elle rend caduque la démarche de la connaissance. Elle aboutit pratiquement à une concpetion de la science qui produit des démarches positives, mais morcelées, de plus en plus étroites et isolées. L'expert est le représentant de ce savoir, qui est positif en tant que cette positivité s'appuie sur le négatif. C'est la principale critique qui rend cette conception inopérante : on ne trouve pas une solution mais on se débarrasse du problème en fondant la connaissance sur le négatif.
Du coup, les connaissances deviennent morcelées, éclatées tandis que la connaissance générale est négative. On ne peut fonder des connaissances scientifiques positives au sens où elles permettent un savoir unifié (même particulier) qu'à partir d'une conception générale de la connaissance qui soit positive. C'est ici que l'erreur de Marion est béante et pendante (énorme) : bien entendu, la connaissance générale doit être aussi positive qu'incertaine sans quoi la connaissance n'est pas possible, ou alors à l'état de morcèlement inexploitable.
Quand Marion avance que la connaissance générale philosophique n'est jamais certaine ou qu'elle n'avance pas, c'est faux : ce n'est pas parce que la connaissance n'est jamais certainement positive qu'elle n'est pas envisageable. Et elle est envisageable non pas à l'état de certitude positive (la connaissance du réel n'est pas possible pour une partie du réel), mais à l'état d'incertitude positive. Le statut qu'octroie Marion dans son système n'est viable que s'il le réserve en premier lieu à la connaissance d'un point de vue générale et seulement ensuite aux connaissances particulière est secondaire.
Les sciences ne peuvent bénéficier du statut d'incertitudes positives que si elles découlent d'une science des sciences qui soit d'un statut identique d'incertitude positive. Le rôle de la sciences des sciences est capital : toute conception du réel générale rejaillit sur les conceptions particulières. Toute science des sciences conditionne les sciences afférentes. La connaissance est possible dans un schéma où seul le quelque chose existe.
La connaissance est impossible dans un schéma où le néant se trouve rétablit en tant que positivité inconséquente. C'est ce que signifie la négativité. Qu'est-ce que la négation en tant que définition? Ce n'est pas seulement l'impossible au sens où le maître de l'impossible serait une conception de Dieu qui soit nihiliste (constat gênant pour un chrétien). La négation rend la connaissance caduque. Elle aboutit à l'irrationnel. Elle produit lé néant. Le résultat que propose Marion est des plus inquiétants : en validant la certitude négative, il valide le sens de la négation en tant que l'exercice de la négation avance qu'une chose n'est pas.
La négation libère l'espace du néant, même si cette action exclusive n'est pas conséquente. La négation pure soulève le problème irrésolu de la positivité. Marion croit résoudre le problème en optant pour la religion en lieu et place du nihilisme accepté (Dieu en lieu et place du néant inconséquente). Mais son Dieu se trouve contaminé par le nihilisme en ce qu'il est inconséquente. De lui, on ne pourrait rien dire ou presque, puisque sa positivité est déclarée inatteignable.
La catégorie du négatif est la catégorie du néant. Le négatif est le masque du néant. Le schéma ontologique nihiliste est dualiste au sens antagoniste - en ce qu'il oppose le réel au néant. On ne dépasse jamais le néant. Toute entreprise qui croit dépasser le néant en pactisant avec lui voit son dépassement contaminé par le néant. Cas d'un Hegel qui en proposant le dépassement du négatif est contaminé par ce négatif admis - par son schéma fixe, dans lequel le dépassement relève du cadre limité et défini de la thèse.
Cas d'un Marion qui contamine son image de Dieu par le pire des sacrilèges, par le blasphème au sens religieux : le néant se trouve prendre la place de Dieu à partir du moment où Dieu est rapporté au négatif de quelque manière que ce soit. Le propre de toute démarche religieuse d'obédience transcendantaliste est de rendre la connaissance possible. Un Marion rend la connaissance impossible. Sa démarche est intéressante pour deux raisons :
1) Elle souligne le sens du négatif qui est le néant nihiliste.
2) Elle indique que le religieux transcendantaliste encourage l'entreprise de connaissance en définissant la connaissance comme incertitude positive générale.
C'est vers cette solution qu'il convient de se diriger quand on a cerné à quelle impasse conduisait le négatif comme paravent du nihilisme. La connaissance positive n'est pas seulement possible pour la démarche scientifique propre et spécifique; elle n'est possible que si elle relie la démarche des sciences à la démarche générale de l'ontologie définie comme connaissance positive et incertaine. Le propre de la connaissance n'est pas d'apporter la certitude définitive, mais de proposer une incertitude positive qui fasse avancer l'ensemble. Il s'agit de proposer une définition du réel imparfaite, mais positive.
Dans cette cette perspective, toute dissociation de la connaissance générale et des connaissances particulières rend la connaissance impossible; toute négativité de la connaissance la rend impossible; toute négativité est nihiliste. Contre le nihilisme qui s'exprime avec préférence sous le masque du scepticisme plus ou moins travesti (le scepticisme original contient en son sein l'idée de négativité), il convient d'affirmer que seule la connaissance positive et incertaine permet d'avancer imparfaitement. Il n'est pas possible de parvenir à la certitude car pour une partie du réel la certitude ne peut être que négative, soit nihiliste.
Par contre, il est possible pour la partie humaine de proposer des interprétations positives qui pour incertaines n'en demeurent pas moins les garants de la connaissance. Le divin ne joue pas le rôle de repoussoir insurmontable, comme un maître pervers ou un tout-autre inatteignable; il est celui qui encourage la connaissance imparfaite, en mouvement. C'est cela le changement : l'imperfection de l'incomplétude. A l'opposé, la certitude partielle est une aberration qui aboutit à la destruction. Il est tragique que des thuriféraires du christianisme comme Marion jouent ce rôle, comme il est fatidique que le religieux puisse se présenter sous le masque de la construction (le transcendantalisme) alors qu'il sert la destruction (le nihilisme).
Marion essaye à la suite de Pascal dont il se réclame de concilier la validité philosophique avec la foi, en distinguant le domaine de la pensée philosophique qui serait la certitude négative du domaine de la foi qui serait l'arationnel. L'arationnel engloberait la raison, mais la raison ne produirait que de la certitude négative. La certitude positive serait l'apanage de Dieu, qui du coup serait le maître de l'impossible. Cette présentation du christianisme permet au phénoménologue Marion de proposer l'exercice philosophique comme propédeutique à la foi.
La raison est philosophique quand la foi est arationnelle. A l'examen de cette définition, elle correspond en tous point au scepticisme que promeut Rosset, notamment dans son Principe de cruauté. Rosset dresse l'apologie du scepticisme, à ceci près que Rosset est un immanentiste terminal qui propose du scepticisme une version nihiliste patente s'arrêtant aux portes du scepticisme nihiliste, tandis que Marion propose au-delà le camp de la foi religieuse.
Quelle foi? Quelle religiosité? Le scepticisme de Rosset est mâtiné de nihilisme en ce qu'il suit la définition de la vérité inférieure - tandis que le scepticisme authentique décrète que la vérité est indécidable sur les questions ultimes, en particulier les questions d'ordre religieux. Le problème de Marion est de concilier l'héritage d'un Descartes, d'un Pascal et d'un Nietzsche. Concilier Nietzsche et Pascal n'est pas possible tant nous avons affaire à deux esprits religieux diamétralement opposés et inconciliables.
Pascal est tourné vers la foi catholique et sa réflexion amène à la foi; quand Nietzsche est un immanentiste tardif et dégénéré, qui propose de la religiosité la vision du déni et du masque. Quant à Descartes, notre Aristote moderne, héritier d'une tradition scolastique qu'il réforme pour mieux en reprendre le canevas, en la modernisant, il est le philosophe qui propose un compromis moderne balbutiant entre nihilisme et transcendantalisme, entre la tradition des sophistes et la tradition d'Aristote.
Descartes modernise l'aristotélisme en ce que la définition d'Aristote du réel n'est plus valide au début de la modernité. Descartes revisite et révise cette définition en y ajoutant le subterfuge du deux ex machina : selon Descartes, l'univers est mécaniste et l'arationalisme de Dieu est magique, miraculeux et incompréhensible. C'est vers cette démarche de miracle et de magie que se dirige Marion comme s'il ne restait que cette solution pour un esprit rationnel afin de définir la démarche religieuse et le divin.
Marion nous explique que Dieu est le maître de l'impossible et qu'à Dieu, rien d'impossible. Il définit le divin comme l'arationnel, mais un arationnel qui ne serait pas compréhensible du point de vue du rationnel limité et imparfait. L'imperfection et les limites du rationnel sont le cœur des deux grandes traditions : d'un côté, la tradition qui estime que l'imperfection n'empêche pas la connaissance; de l'autre, la tradition qui juge que la connaissance est impossible.
La connaissance est impossible signifie non que toute connaissance est impossible, mais que la connaissance de Dieu est impossible. C'est ici qu'il importe de ferrailler avec des croyants comme Marion en leur reprochant d'être des nihilistes plus ou moins masqués, moins habiles qu'opportunistes, qui confondent l'arationalisme et l'irrationalisme et qui estiment à tort que le religieux se distingue du philosophique en ce qu'il serait distinct du rationalisme (défini comme la spécificité de la démarche philosophique humaine).
Cette distinction entre rationalisme et arationalisme définit l'arationalisme comme ce qui englobe le rationalisme de manière unilatérale, mais qui coupe le rationalisme de l'arationalisme dans le sens du rationalisme (depuis le rationalisme). Cet arationalisme arbitraire et unilatéral tend vers l'irrationalisme et le nihilisme en ce que cet arationalisme empêche la connaissance rationnelle. Le cœur du débat oppose la connaissance rationnelle à l'irrationnelle. Le rationnel se trouve condamné à partir du schéma d'un scepticisme qui oscille entre deux pôles : d'un côté le nihilisme à la Rosset où le négatif est total; de l'autre la religiosité irrationnaliste d'un Marion qui propose à la suite (et au-dessus) du négatif pur - le religieux.
Ce religieux est très dangereux parce qu'il s'appuie sur l'irrationalisme : le scepticisme est une école doctrinale qui cache en son creux le nihilisme antique et atavique. Ce n'est pas un hasard si Rosset de nos jours se réfugie dans le scepticisme pour mieux fourbir son immanentisme terminal. Toute forme de religiosité qui s'appuie sur le négatif du rationalisme est en son tréfonds de nature irrationnelle. Ce religieux-là est impossible au sens où si Dieu est le maître de l'impossible, il restaure sous un nom moins inquiétant le principe du nihilisme.
Le Dieu de Marion n'est pas le Dieu des chrétiens. C'est un Dieu au service du nihilisme qui mène vers le néant et la destruction. Cette constatation impitoyable et inquiétante (diablement) se vérifie à partir du statut de la connaissance. Toute démarche religieuse qui s'écarte de la connaissance trahit l'essence du religieux. Le religieux historique, depuis les limbes du transcendantalisme, a été fondé pour rendre possible la connaissance. Tout type de religieux qui empêche la connaissance, qui la fige dans la catégorie nihiliste de l'impossible, est un religieux qui fait le jeu du nihilisme, quand il ne le sert pas explicitement.
Marion au bas mot fait le jeu du nihilisme et c'est un fort mauvais constat pour l'état du christianisme catholique séculaire, quand on sait la position de tête pensante qu'occupe Marion dans la pensée catholique française actuelle. La définition que Marion propose de l'impossible est un révélateur, mais le plus révélateur reste la formule de certitude négative. Obnubilé par le fait de trouver la certitude à la suite de Descartes, Marion qui en sait trop au sens fini, et qui n'en sait pas assez au sens infini, s'égare dans une formule qui escamote le problème : la certitude négative.
Cette certitude est à peu près aussi certaine que son correspondant oxymorique la certitude incertaine. La certitude incertaine ne veut rien dire et serait une formule nihiliste et explicitée si le nihilisme n'était cette pensée qui avance masquée et qui ne peut tenir que masquée - démasquée elle serait ridiculisée séante tenante du fait de son inconséquence exacerbée et patente. Pour autant cette manière de considérer le rationalisme comme négatif engendre l'impossibilité de la consistance et l'avènement du nihilsime.
Marion prétend que sur les questions dernières il n'est pas possible de produire une incertitude positive et que cette certitude positive serait l'apanage de la démarche scientifique qui parvient à cet état grâce à la réduction de son champ d'étude à un objet fort délimité. Dans cette conception, Marion croit retrouver les fameuses distinctions classiques, où le religieux englobe le philosophique, le scientifique s'y trouvant englobé. La science est positive mais incertaine; la science des sciences est certaine et négative.
Cette réconciliation se fait sur le dos de l'impossible et de l'irrationnel et c'est en quoi elle rend caduque la démarche de la connaissance. Elle aboutit pratiquement à une concpetion de la science qui produit des démarches positives, mais morcelées, de plus en plus étroites et isolées. L'expert est le représentant de ce savoir, qui est positif en tant que cette positivité s'appuie sur le négatif. C'est la principale critique qui rend cette conception inopérante : on ne trouve pas une solution mais on se débarrasse du problème en fondant la connaissance sur le négatif.
Du coup, les connaissances deviennent morcelées, éclatées tandis que la connaissance générale est négative. On ne peut fonder des connaissances scientifiques positives au sens où elles permettent un savoir unifié (même particulier) qu'à partir d'une conception générale de la connaissance qui soit positive. C'est ici que l'erreur de Marion est béante et pendante (énorme) : bien entendu, la connaissance générale doit être aussi positive qu'incertaine sans quoi la connaissance n'est pas possible, ou alors à l'état de morcèlement inexploitable.
Quand Marion avance que la connaissance générale philosophique n'est jamais certaine ou qu'elle n'avance pas, c'est faux : ce n'est pas parce que la connaissance n'est jamais certainement positive qu'elle n'est pas envisageable. Et elle est envisageable non pas à l'état de certitude positive (la connaissance du réel n'est pas possible pour une partie du réel), mais à l'état d'incertitude positive. Le statut qu'octroie Marion dans son système n'est viable que s'il le réserve en premier lieu à la connaissance d'un point de vue générale et seulement ensuite aux connaissances particulière est secondaire.
Les sciences ne peuvent bénéficier du statut d'incertitudes positives que si elles découlent d'une science des sciences qui soit d'un statut identique d'incertitude positive. Le rôle de la sciences des sciences est capital : toute conception du réel générale rejaillit sur les conceptions particulières. Toute science des sciences conditionne les sciences afférentes. La connaissance est possible dans un schéma où seul le quelque chose existe.
La connaissance est impossible dans un schéma où le néant se trouve rétablit en tant que positivité inconséquente. C'est ce que signifie la négativité. Qu'est-ce que la négation en tant que définition? Ce n'est pas seulement l'impossible au sens où le maître de l'impossible serait une conception de Dieu qui soit nihiliste (constat gênant pour un chrétien). La négation rend la connaissance caduque. Elle aboutit à l'irrationnel. Elle produit lé néant. Le résultat que propose Marion est des plus inquiétants : en validant la certitude négative, il valide le sens de la négation en tant que l'exercice de la négation avance qu'une chose n'est pas.
La négation libère l'espace du néant, même si cette action exclusive n'est pas conséquente. La négation pure soulève le problème irrésolu de la positivité. Marion croit résoudre le problème en optant pour la religion en lieu et place du nihilisme accepté (Dieu en lieu et place du néant inconséquente). Mais son Dieu se trouve contaminé par le nihilisme en ce qu'il est inconséquente. De lui, on ne pourrait rien dire ou presque, puisque sa positivité est déclarée inatteignable.
La catégorie du négatif est la catégorie du néant. Le négatif est le masque du néant. Le schéma ontologique nihiliste est dualiste au sens antagoniste - en ce qu'il oppose le réel au néant. On ne dépasse jamais le néant. Toute entreprise qui croit dépasser le néant en pactisant avec lui voit son dépassement contaminé par le néant. Cas d'un Hegel qui en proposant le dépassement du négatif est contaminé par ce négatif admis - par son schéma fixe, dans lequel le dépassement relève du cadre limité et défini de la thèse.
Cas d'un Marion qui contamine son image de Dieu par le pire des sacrilèges, par le blasphème au sens religieux : le néant se trouve prendre la place de Dieu à partir du moment où Dieu est rapporté au négatif de quelque manière que ce soit. Le propre de toute démarche religieuse d'obédience transcendantaliste est de rendre la connaissance possible. Un Marion rend la connaissance impossible. Sa démarche est intéressante pour deux raisons :
1) Elle souligne le sens du négatif qui est le néant nihiliste.
2) Elle indique que le religieux transcendantaliste encourage l'entreprise de connaissance en définissant la connaissance comme incertitude positive générale.
C'est vers cette solution qu'il convient de se diriger quand on a cerné à quelle impasse conduisait le négatif comme paravent du nihilisme. La connaissance positive n'est pas seulement possible pour la démarche scientifique propre et spécifique; elle n'est possible que si elle relie la démarche des sciences à la démarche générale de l'ontologie définie comme connaissance positive et incertaine. Le propre de la connaissance n'est pas d'apporter la certitude définitive, mais de proposer une incertitude positive qui fasse avancer l'ensemble. Il s'agit de proposer une définition du réel imparfaite, mais positive.
Dans cette cette perspective, toute dissociation de la connaissance générale et des connaissances particulières rend la connaissance impossible; toute négativité de la connaissance la rend impossible; toute négativité est nihiliste. Contre le nihilisme qui s'exprime avec préférence sous le masque du scepticisme plus ou moins travesti (le scepticisme original contient en son sein l'idée de négativité), il convient d'affirmer que seule la connaissance positive et incertaine permet d'avancer imparfaitement. Il n'est pas possible de parvenir à la certitude car pour une partie du réel la certitude ne peut être que négative, soit nihiliste.
Par contre, il est possible pour la partie humaine de proposer des interprétations positives qui pour incertaines n'en demeurent pas moins les garants de la connaissance. Le divin ne joue pas le rôle de repoussoir insurmontable, comme un maître pervers ou un tout-autre inatteignable; il est celui qui encourage la connaissance imparfaite, en mouvement. C'est cela le changement : l'imperfection de l'incomplétude. A l'opposé, la certitude partielle est une aberration qui aboutit à la destruction. Il est tragique que des thuriféraires du christianisme comme Marion jouent ce rôle, comme il est fatidique que le religieux puisse se présenter sous le masque de la construction (le transcendantalisme) alors qu'il sert la destruction (le nihilisme).
1 commentaire:
Enregistrer un commentaire