+ (fini) et + (fini) = - (infini).
Les gens ne comprennent pas. En ce moment, le système s'effondre et les gens (la plupart) ne comprennent pas. C'est à la fois stupéfiant et coutumier : après tout, les exemples abondent où les passagers d'un Titanic fêtèrent leur naufrage imminent et leur mort effroyable. Mais pourquoi cette propension au suicide? Notre époque nous permet de répondre puisque nous vivons des temps d'apocalypse, à cette exception près que les temps derniers sont derniers pour le monde qui se meurt, pour ce monde-ci, pas pour le réel, encore moins pour l'homme.
L'effondrement actuel n'est pas l'effondrement de l'homme. Il signifie l'effondrement du système de l'impérialisme occidental. Le grand changement qui s'annonce est aussi une bonne nouvelle - au sens où la crise est une bonne nouvelle. Dès son étymologie. Changer un moribond est une bonne nouvelle. La crise permet de changer et de remonter la pente. Si les gens ne comprennent pas, ce n'est pas parce qu'ils refusent de voir quelque chose qu'ils auraient vu. Certes, ils se meuvent dans le déni le plus invraisemblable - témoin cette agitation folle autour de la Coupe du monde de football de juin/juillet 2010 alors que l'essentiel tient à l'effondrement de leur système politique, culturel et religieux.
Mais le plus improbable, déconcertant et pourtant réel dans ce qui se produit, dans cet aveuglement qui porte si bien son nom, c'est que les gens ne comprennent pas parce qu'ils ne voient pas. L'aveuglement est bien le fait de ne pas voir ce qu'on devrait pourtant voir de manière évidente. Ainsi de ces cocus qui arrivant à l'improviste et découvrant leur femme nue sous le lit avec l'amant dans le placard en concluent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes - pour le beau temps fixe de leur couple.
Cette réaction est incompréhensible pour Rosset parce que Rosset se trouve lui-même plongé dans l'aveuglement patent. Je veux dire : tout aveuglement est, au moins indirectement, de type ontologique (soit le dérivé philosophique du religieux). Revel ne comprenait pas pourquoi les gens aimaient si peu la liberté et tant la tyrannie. Revel n'arrivait pas à répondre à son énigme. C'est qu'il était libéral et croyait que la démocratie est d'obédience libérale!
Idem pour Rosset : son aveuglement ontologique tient à sa conception finie du réel. Dans cette conception, les gens réagissent de manière finie. Finie : figée, fixe, terriblement prévisible. La décroissance se trouve légitimée par son caractère nécessaire et inéluctable. Dans un monde fini, la diminution des biens du monde clos est inévitable. Les performances des membres ne peuvent que diminuer à mesure que le réel s'appauvrit. La décroissance se trouve légitimée et même ardemment défendue (comme l'expression de la sagesse).
Dans cette spirale sombre, qui incline au pessimisme (d'où l'humeur misanthrope de Schopenhauer, qui est moins un pessimiste qu'un thuriféraire de l'absurde), l'individu suit la décroissance ontologique. Son horizon décroît. Ses préoccupations décroissent. L'individualisme exacerbé traduit moins une mentalité d'enfant gâté qu'il ne sanctionne la phase terminale d'un processus qui devient explicite en s'explicitant.
L'aveuglement s'explique quand on comprend que l'on ne voit pas ce que l'on ne peut voir. S'étonnera-t-on qu'un myope ne voie pas certaines réalités lointaines pourtant largement visibles à des yeux sains? Il en va de même pour l'aveuglement : on ne demande pas à un myope ontologique de soudain discerner ce que des visions saines discerneraient avec évidence (et bonheur). Pourquoi Rosset en ontologie ne peut-il expliquer l'aveuglement comme Revel en politologie ne peut expliquer le goût étrange qu'il diagnostique (dans son égarement) pour la servitude?
Parce qu'ils sont myopes. Parce qu'ils adhèrent tous les deux à la définition du réel fini. Revel est un libéral d'obédience ultra, disciple de Hayek, qui adhère à l'athéisme et au libéralisme. Rosset est un immanentiste terminal qui se déclare le disciple de Spinoza, de Nietzsche et qui admire Aristote. Si l'on part du postulat selon lequel le Titanic ne peut pas couler parce qu'il a été scientifiquement (ce maître-mot) conçu pour ne pas couler, alors on ne voit pas le naufrage advenir, quand bien même son évidence survient de façon indiscutable.
L'erreur consiste à adhérer au positivisme (ou au scientisme) de l'époque. Idem avec l'effondrement systémique actuel : la plupart des gens ne le voient pas parce que la plupart des membres de ce système ont épousé avec servitude et fidélité la dégénérescence de ce système. Dans un système fini, on dégénère. Le système ne saurait dégénérer sans la dégénérescence connexe de ses membres. C'est faire montre d'hallucination duplicatoire que de dissocier les membres d'un système de l'état du système.
Les deux sont intimement liés. Pas de système sans membres. Pas de dégénérescence du système sans la dégénérescence de ses membres. Quand on rétablit l'unité du processus, on comprend que l'erreur actuel est d'adhérer au moins implicitement aux dogmes du libéralisme. Le point commun entre ces aveuglements qui vous poussent à ne pas voir la réalité la plus évidente, c'est qu'ils ne peuvent se produire qu'en régime de finitude.
C'est dans une conception finie que l'on peut dégénérer sans s'en rendre compte - tout en estimant que les valeurs dégénérées correspondent aux valeurs bénéfiques pour l'état du système. Ainsi des partisans de la décroissance ou des vertus écologiques malthusiennes qui pensent sincèrement (sincère ment) que le problème systémique tient au souci écologique et que seules des mesures écologiques relanceront la machine. L'erreur d'appréciation où l'on prend le plus pour le moins, une chose pour son contraire, s'explique parce que l'aveuglé se mouvant dans la finitude tient le mensonge (le fini) pour la vérité (l'infini).
Cette inversion généralisée ressortit dans toutes les catégories de l'ordonnation. L'aveuglement se trouve intimement lié à l'état du système. Les membres d'un système défendent bec et ongles son état et prônent des mesures qu'ils jugent bénéfiques pour cet état alors qu'elles sont néfastes au plus haut point (ainsi de la décroissance, encore une fois, qui ne peut qu'entériner l'effondrement systémique au lieu de sauver le système comme le prétendent ses partisans aveuglés).
Plus le système gît au bord du précipice, plus ses membres proposent des mesures salvatrices qui s'avéreront suicidaires si jamais elles étaient appliquées. Alors que les forces américaines envahissaient Bagdad lors de la deuxième guerre d'Irak, le porte-parole du régime de Saddam Hussein refusait tant de considérer la réalité qu'il s'enferra tout à fait dans son aveuglement caractérisé (et grandissant). Plus les forces américaines s'approchaient de la ville, puis du palais, puis de la télévision, plus il se murait (dans tous les sens du terme) dans son exaltation délirante de Saddam, annonçant que l'envahisseur n'avait jamais été si bien repoussé, et définitivement.
Cette farce se finit avec la seule tragédie qui soit : l'arrestation de l'impétrant, tant il est certain que le réel finit toujours par l'emporter - et avec usure. Tant que j'y suis avec cette morale de facture rossétienne (le meilleur de Rosset), il me souvient que Rosset cite dans Le Réel cette autre anecdote drolatique d'un quotidien contemporain qui commence par relater le dernier retour de Napoléon après exil de manière hostile pour, devant la réussite dudit projet et son arrivée imminente dans Paris, retourner casaque et se déclarer partisan enthousiaste de Napoléon dès la première heure.
Ces soutiens pour invraisemblables n'en sont pas moins avérés - et fréquents. Mais cette inversion de toutes les valeurs, pour parodier dans un sens inversé Nietzsche, si explicite et du coup drolatique lors des dernières heures d'un certain état, d'un certain ordre, d'un certain système, s'explique très bien dans une configuration ontologique de finitude. Plus le régime fini s'effondre, de manière prévisible, plus les solutions proposées par ses membres pour empêcher cet effondrement servent cet effondrement au nom même de l'inversion de toutes les valeurs. Le plus devient le moins du fait même qu'il est un plus fini, soit un moins infini.
Que les gens ne comprennent rien en ce moment n'est guère plus étonnant que l'insouciance fêtarde manifestée par les passagers lors de l'effondrement du Titanic. L'insigne majorité des membres du système en voie d'effondrement se meuvent dans un réel étriqué et moribond, hagard et détraqué, qui leur fausse la vue. Ils accordent leur attention à des futilités qui sont des dérivatifs autant que des dérives comme la Coupe du monde. Le plus étonnant autant que détonant, c'est que dans le moment où les membres manifestent le plus de sérieux ils font preuve du plus de frivolité.
De même : dans le moment où ils croient le plus s'opposer aux valeurs majoritaires, faisant preuve d'originalité et d'esprit critique, ils se montrent les plus moutonniers, serviles et conservateurs. On comprend la colère de l'ancien ministre des Affaires étrangères (et sans doute étranges) Roland Dumas contre la porte-parole des intérêts sionistes les plus extrémistes Élisabeth Lévy. Dumas lui lança en fin d'échange, comme un vieillard débonnaire et revenu de tout, qu'elle ne comprenait rien.
Qu'il avait raison! Qu'il est déstabilisant de discuter avec des gens qui ne comprennent rien, surtout quand ils détiennent des titres à la prétention intellectuelle! Si l'état de santé d'un système se mesure à l'aune de la santé mentale de ses élites intellectuelles, nous avons de quoi nous inquiéter en considérant le spécimen Lévy. Le sionisme est une idéologie en phase terminale et putride. Normal que ses zélateurs soient si éperdus.
Mais sa remarque valait au moins autant pour l'ensemble des membres du système impérailiste occidentaliste qui ne se limitent certainement pas aux partisans hagards de la cause sioniste. Une Élisabeth Lévy croit sauver le sionisme en l'enterrant de première : elle défend des mesures belliqueuses au nom de son opposition à la majorité qui condamne les crimes (irréfutables) d'Israël. Lévy se retrouve à défendre l'inverse de ce qu'elle devrait défendre si elle proposait des mesures réelles (lucides) de salut public.
Je me suis souvent demandé pourquoi les témoins (au sens également sinistre de martyrs) d'une période de troubles imminente acceptaient sans réagir ces troubles pourtant destructeurs et menaçants : c'est qu'ils ne les voient pas venir. Et ils n'ont aucun moyen de réaction parce qu'ils ne comprennent pas. Et ils ne comprennent pas parce qu'ils sont engoncés dans leur ontologie de la finitude. Finitude rime avec servitude. Revel se croyait rebelle au moment où il se montrait le plus conservateur, moutonnier et illusionné.
Le point commun entre Rosset l'immanentiste, Revel le libéral, les scientistes/positivistes du Titanic ou le porte-parole socialiste laïc baasiste (dégénéré) du régime d'Hussein Nabuchodonosor, c'est qu'ils souscrivent à des valeurs d'immanentisme. Tous accréditent cette définition tacite du réel fini, dans lequel le désir se trouve complet et l'infini fini. Tous sont des disciples (souvent ignorants) d'Aristote le sophiste métaphysicien, selon qui le réel est fini tant d'un point de vue physique qu'ontologique.
Au pays des aveugles, les borgnes sont rois : cette sage remarque, quoique scandaleuse pour la suffisance des insuffisants, souvent aveuglés par leurs titres et leurs mérites, indique que l'égarement enterre toutes les prétentions finies. Seul moyen de sauver sa mise : adhérer à des valeurs infinies et réprouver toutes les valeurs finies. Dans un système à l'agonie, où c'est la finitude qui est la maladie mortelle et incurable, on ne peut guérir qu'en se convertissant au changement. Rien n'est plus déstabilisant que de changer. Rien n'est plus déstabilisant que de recouvrer la vue.
C'est ce qu'exprime le mythe de la caverne de Platon : il est rare que les aveugles aveuglés ne s'accrochent pas à leurs certitudes erronées. Il est rare que ce ne soient pas de nouveaux témoins qui assurent le transition vers le changement. Le cas d'un saint Paul est rare : il est rare de changer depuis un point de vue conservateur; souvent ces conversions manifestent par leur exemple inattendu des cas d'avant-gardes.
Les premiers convertis sont des pionniers plus incompris qu'incompréhensibles. Leur caractère frappant va de pair avec le décalage (rien n'indiquait leur conversion). Plus ils sont inattendus et incompréhensibles, plus le changement en cours se révèle d'importance. Dans cette période d'aveuglement, ils sont ceux qui voient ce que personne ne voit. C'est ce qu'on appelle des visionnaires, voire des prophètes.
Les gens ne comprennent pas. En ce moment, le système s'effondre et les gens (la plupart) ne comprennent pas. C'est à la fois stupéfiant et coutumier : après tout, les exemples abondent où les passagers d'un Titanic fêtèrent leur naufrage imminent et leur mort effroyable. Mais pourquoi cette propension au suicide? Notre époque nous permet de répondre puisque nous vivons des temps d'apocalypse, à cette exception près que les temps derniers sont derniers pour le monde qui se meurt, pour ce monde-ci, pas pour le réel, encore moins pour l'homme.
L'effondrement actuel n'est pas l'effondrement de l'homme. Il signifie l'effondrement du système de l'impérialisme occidental. Le grand changement qui s'annonce est aussi une bonne nouvelle - au sens où la crise est une bonne nouvelle. Dès son étymologie. Changer un moribond est une bonne nouvelle. La crise permet de changer et de remonter la pente. Si les gens ne comprennent pas, ce n'est pas parce qu'ils refusent de voir quelque chose qu'ils auraient vu. Certes, ils se meuvent dans le déni le plus invraisemblable - témoin cette agitation folle autour de la Coupe du monde de football de juin/juillet 2010 alors que l'essentiel tient à l'effondrement de leur système politique, culturel et religieux.
Mais le plus improbable, déconcertant et pourtant réel dans ce qui se produit, dans cet aveuglement qui porte si bien son nom, c'est que les gens ne comprennent pas parce qu'ils ne voient pas. L'aveuglement est bien le fait de ne pas voir ce qu'on devrait pourtant voir de manière évidente. Ainsi de ces cocus qui arrivant à l'improviste et découvrant leur femme nue sous le lit avec l'amant dans le placard en concluent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes - pour le beau temps fixe de leur couple.
Cette réaction est incompréhensible pour Rosset parce que Rosset se trouve lui-même plongé dans l'aveuglement patent. Je veux dire : tout aveuglement est, au moins indirectement, de type ontologique (soit le dérivé philosophique du religieux). Revel ne comprenait pas pourquoi les gens aimaient si peu la liberté et tant la tyrannie. Revel n'arrivait pas à répondre à son énigme. C'est qu'il était libéral et croyait que la démocratie est d'obédience libérale!
Idem pour Rosset : son aveuglement ontologique tient à sa conception finie du réel. Dans cette conception, les gens réagissent de manière finie. Finie : figée, fixe, terriblement prévisible. La décroissance se trouve légitimée par son caractère nécessaire et inéluctable. Dans un monde fini, la diminution des biens du monde clos est inévitable. Les performances des membres ne peuvent que diminuer à mesure que le réel s'appauvrit. La décroissance se trouve légitimée et même ardemment défendue (comme l'expression de la sagesse).
Dans cette spirale sombre, qui incline au pessimisme (d'où l'humeur misanthrope de Schopenhauer, qui est moins un pessimiste qu'un thuriféraire de l'absurde), l'individu suit la décroissance ontologique. Son horizon décroît. Ses préoccupations décroissent. L'individualisme exacerbé traduit moins une mentalité d'enfant gâté qu'il ne sanctionne la phase terminale d'un processus qui devient explicite en s'explicitant.
L'aveuglement s'explique quand on comprend que l'on ne voit pas ce que l'on ne peut voir. S'étonnera-t-on qu'un myope ne voie pas certaines réalités lointaines pourtant largement visibles à des yeux sains? Il en va de même pour l'aveuglement : on ne demande pas à un myope ontologique de soudain discerner ce que des visions saines discerneraient avec évidence (et bonheur). Pourquoi Rosset en ontologie ne peut-il expliquer l'aveuglement comme Revel en politologie ne peut expliquer le goût étrange qu'il diagnostique (dans son égarement) pour la servitude?
Parce qu'ils sont myopes. Parce qu'ils adhèrent tous les deux à la définition du réel fini. Revel est un libéral d'obédience ultra, disciple de Hayek, qui adhère à l'athéisme et au libéralisme. Rosset est un immanentiste terminal qui se déclare le disciple de Spinoza, de Nietzsche et qui admire Aristote. Si l'on part du postulat selon lequel le Titanic ne peut pas couler parce qu'il a été scientifiquement (ce maître-mot) conçu pour ne pas couler, alors on ne voit pas le naufrage advenir, quand bien même son évidence survient de façon indiscutable.
L'erreur consiste à adhérer au positivisme (ou au scientisme) de l'époque. Idem avec l'effondrement systémique actuel : la plupart des gens ne le voient pas parce que la plupart des membres de ce système ont épousé avec servitude et fidélité la dégénérescence de ce système. Dans un système fini, on dégénère. Le système ne saurait dégénérer sans la dégénérescence connexe de ses membres. C'est faire montre d'hallucination duplicatoire que de dissocier les membres d'un système de l'état du système.
Les deux sont intimement liés. Pas de système sans membres. Pas de dégénérescence du système sans la dégénérescence de ses membres. Quand on rétablit l'unité du processus, on comprend que l'erreur actuel est d'adhérer au moins implicitement aux dogmes du libéralisme. Le point commun entre ces aveuglements qui vous poussent à ne pas voir la réalité la plus évidente, c'est qu'ils ne peuvent se produire qu'en régime de finitude.
C'est dans une conception finie que l'on peut dégénérer sans s'en rendre compte - tout en estimant que les valeurs dégénérées correspondent aux valeurs bénéfiques pour l'état du système. Ainsi des partisans de la décroissance ou des vertus écologiques malthusiennes qui pensent sincèrement (sincère ment) que le problème systémique tient au souci écologique et que seules des mesures écologiques relanceront la machine. L'erreur d'appréciation où l'on prend le plus pour le moins, une chose pour son contraire, s'explique parce que l'aveuglé se mouvant dans la finitude tient le mensonge (le fini) pour la vérité (l'infini).
Cette inversion généralisée ressortit dans toutes les catégories de l'ordonnation. L'aveuglement se trouve intimement lié à l'état du système. Les membres d'un système défendent bec et ongles son état et prônent des mesures qu'ils jugent bénéfiques pour cet état alors qu'elles sont néfastes au plus haut point (ainsi de la décroissance, encore une fois, qui ne peut qu'entériner l'effondrement systémique au lieu de sauver le système comme le prétendent ses partisans aveuglés).
Plus le système gît au bord du précipice, plus ses membres proposent des mesures salvatrices qui s'avéreront suicidaires si jamais elles étaient appliquées. Alors que les forces américaines envahissaient Bagdad lors de la deuxième guerre d'Irak, le porte-parole du régime de Saddam Hussein refusait tant de considérer la réalité qu'il s'enferra tout à fait dans son aveuglement caractérisé (et grandissant). Plus les forces américaines s'approchaient de la ville, puis du palais, puis de la télévision, plus il se murait (dans tous les sens du terme) dans son exaltation délirante de Saddam, annonçant que l'envahisseur n'avait jamais été si bien repoussé, et définitivement.
Cette farce se finit avec la seule tragédie qui soit : l'arrestation de l'impétrant, tant il est certain que le réel finit toujours par l'emporter - et avec usure. Tant que j'y suis avec cette morale de facture rossétienne (le meilleur de Rosset), il me souvient que Rosset cite dans Le Réel cette autre anecdote drolatique d'un quotidien contemporain qui commence par relater le dernier retour de Napoléon après exil de manière hostile pour, devant la réussite dudit projet et son arrivée imminente dans Paris, retourner casaque et se déclarer partisan enthousiaste de Napoléon dès la première heure.
Ces soutiens pour invraisemblables n'en sont pas moins avérés - et fréquents. Mais cette inversion de toutes les valeurs, pour parodier dans un sens inversé Nietzsche, si explicite et du coup drolatique lors des dernières heures d'un certain état, d'un certain ordre, d'un certain système, s'explique très bien dans une configuration ontologique de finitude. Plus le régime fini s'effondre, de manière prévisible, plus les solutions proposées par ses membres pour empêcher cet effondrement servent cet effondrement au nom même de l'inversion de toutes les valeurs. Le plus devient le moins du fait même qu'il est un plus fini, soit un moins infini.
Que les gens ne comprennent rien en ce moment n'est guère plus étonnant que l'insouciance fêtarde manifestée par les passagers lors de l'effondrement du Titanic. L'insigne majorité des membres du système en voie d'effondrement se meuvent dans un réel étriqué et moribond, hagard et détraqué, qui leur fausse la vue. Ils accordent leur attention à des futilités qui sont des dérivatifs autant que des dérives comme la Coupe du monde. Le plus étonnant autant que détonant, c'est que dans le moment où les membres manifestent le plus de sérieux ils font preuve du plus de frivolité.
De même : dans le moment où ils croient le plus s'opposer aux valeurs majoritaires, faisant preuve d'originalité et d'esprit critique, ils se montrent les plus moutonniers, serviles et conservateurs. On comprend la colère de l'ancien ministre des Affaires étrangères (et sans doute étranges) Roland Dumas contre la porte-parole des intérêts sionistes les plus extrémistes Élisabeth Lévy. Dumas lui lança en fin d'échange, comme un vieillard débonnaire et revenu de tout, qu'elle ne comprenait rien.
Qu'il avait raison! Qu'il est déstabilisant de discuter avec des gens qui ne comprennent rien, surtout quand ils détiennent des titres à la prétention intellectuelle! Si l'état de santé d'un système se mesure à l'aune de la santé mentale de ses élites intellectuelles, nous avons de quoi nous inquiéter en considérant le spécimen Lévy. Le sionisme est une idéologie en phase terminale et putride. Normal que ses zélateurs soient si éperdus.
Mais sa remarque valait au moins autant pour l'ensemble des membres du système impérailiste occidentaliste qui ne se limitent certainement pas aux partisans hagards de la cause sioniste. Une Élisabeth Lévy croit sauver le sionisme en l'enterrant de première : elle défend des mesures belliqueuses au nom de son opposition à la majorité qui condamne les crimes (irréfutables) d'Israël. Lévy se retrouve à défendre l'inverse de ce qu'elle devrait défendre si elle proposait des mesures réelles (lucides) de salut public.
Je me suis souvent demandé pourquoi les témoins (au sens également sinistre de martyrs) d'une période de troubles imminente acceptaient sans réagir ces troubles pourtant destructeurs et menaçants : c'est qu'ils ne les voient pas venir. Et ils n'ont aucun moyen de réaction parce qu'ils ne comprennent pas. Et ils ne comprennent pas parce qu'ils sont engoncés dans leur ontologie de la finitude. Finitude rime avec servitude. Revel se croyait rebelle au moment où il se montrait le plus conservateur, moutonnier et illusionné.
Le point commun entre Rosset l'immanentiste, Revel le libéral, les scientistes/positivistes du Titanic ou le porte-parole socialiste laïc baasiste (dégénéré) du régime d'Hussein Nabuchodonosor, c'est qu'ils souscrivent à des valeurs d'immanentisme. Tous accréditent cette définition tacite du réel fini, dans lequel le désir se trouve complet et l'infini fini. Tous sont des disciples (souvent ignorants) d'Aristote le sophiste métaphysicien, selon qui le réel est fini tant d'un point de vue physique qu'ontologique.
Au pays des aveugles, les borgnes sont rois : cette sage remarque, quoique scandaleuse pour la suffisance des insuffisants, souvent aveuglés par leurs titres et leurs mérites, indique que l'égarement enterre toutes les prétentions finies. Seul moyen de sauver sa mise : adhérer à des valeurs infinies et réprouver toutes les valeurs finies. Dans un système à l'agonie, où c'est la finitude qui est la maladie mortelle et incurable, on ne peut guérir qu'en se convertissant au changement. Rien n'est plus déstabilisant que de changer. Rien n'est plus déstabilisant que de recouvrer la vue.
C'est ce qu'exprime le mythe de la caverne de Platon : il est rare que les aveugles aveuglés ne s'accrochent pas à leurs certitudes erronées. Il est rare que ce ne soient pas de nouveaux témoins qui assurent le transition vers le changement. Le cas d'un saint Paul est rare : il est rare de changer depuis un point de vue conservateur; souvent ces conversions manifestent par leur exemple inattendu des cas d'avant-gardes.
Les premiers convertis sont des pionniers plus incompris qu'incompréhensibles. Leur caractère frappant va de pair avec le décalage (rien n'indiquait leur conversion). Plus ils sont inattendus et incompréhensibles, plus le changement en cours se révèle d'importance. Dans cette période d'aveuglement, ils sont ceux qui voient ce que personne ne voit. C'est ce qu'on appelle des visionnaires, voire des prophètes.
2 commentaires:
Bonjour,
Merci pour tes réflexions, tes offensives avisées contre toutes les formes de fatalismes et l'espoir que laisse inspirer les voies de salut que tu n'hésite pas à détailler. Je ne suis ni philosophe, ni même étudiant, à vrai dire très anodin, mais je suis régulièrement les interventions de larouche et de cheminade et je dois dire que leurs propositions me semblent les plus pertinentes du moments, mais j'ai la sensation qu'il leur manque quelques chose que j'ai grand peine à définir, un petit quelque chose de glacé qui m'empêche d'adhérer avec un élan complètement décomplexé. Je ne saurais le définir clairement. Je suis au Québec et vient de Suisse et me confronte à de nombreux décroissant, en particulier Louis Marion, philosophe reconnu au Québec, disciple de Freitag, et qui a intitulé sa dernière intervention "ni dieu, ni maître, ni machine". Selon lui, le mouvement larouche n'est rien de moins que sectaire et il peine à intégrer les idées larouchistes à ses réflexion sous prétexte du culte quasi divinatoire des larouchistes envers leur "idole".
Alors j'aurais quelques questions: tout d'abord, que penses-tu clairement du mouvement de larouche et de solidarité et progrès? Enfin que pense-tu de mode de recrutement du mouvement larouchiste et des éventuels préjugés sur le sectarisme de l'ensemble? Enfin, si tu avais une critique à faire du mouvement, de l'idéologie larouchiste, quelle serait-elle? Je t'imagine très occupé pour développer longuement sur mes quelques questionnement, mais si ca devait t'intéresser d'expliciter ton rapport à ce mouvement, alors je suis preneur.
Merci beaucoup pour tes textes et bonne continuation.
Samuel Frund
Samuel,
J'ai essayé de répondre du mieux à tes questions en te donnant mon point de vue.
A bientôt.
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