En ce moment, un écrivain se trouve quasiment plus célébré que les nominés aux prix littéraires décernés par le milieu de la littérature - de l'édition. Cet écrivain prétend être opposé à la République des Lettres, en particulier aux éditeurs, et plus large encore, au système occidental dans son ensemble. Il a monté un système d'antiédition qui n'est qu'un avatar de l'autoédition. Il a versé dans le travers littéraire de son époque, l'autofiction. Il se réclame de l'anarchisme le plus vague, qui consiste à être contre le groupe et pour l'Individu.
Je veux parler de Nabe, le pseudonyme cachant à grand peine que notre écrivain est le fils de. Tu veux ou tu veux pas - perdre le fil? Retenant ce slogan symptomatique, Nabe a décidé qu'il voulait bien à condition qu'il ne veuille pas. Mal - plus que bien entendu, on ne retiendra rien de Nabe d'ici quelques décennies. Quand je pense qu'il ose se comparer à Bloy... Bloy qui est un écrivain mineur vaudra toujours plus qu'un écrivain salonnard, médiatique et faux opposant.
C'est en tant qu'il incarne la figure du faux, du symptôme du faux dans toutes ses dimensions, que Nabe intéresse. Au fond, Nabe a tout faux. Il raconte n'importe quoi. Il suffit de lire les interviews qu'il pond pour l'hebdomadaire ultralibéral conservateur de FOG ou dans l'hebdo ultralibéral de gauche (tendance Obama) Le Nouvel Observateur. Sa technique la plus drôle : la preuve qu'il est un opposant tient aux critiques qu'il provoque (et qu'il réfute sur le mode de la jalousie); mais si les gens qu'il critique décident de le soutenir, à l'instar de l'oligarque FOG, c'est la preuve à rebours que Nabe a du talent.
Nabe ne débite que ce genre de sophismes puérils où l'irrationnel le dispute à la mauvaise foi. On peut à bon droit poser la question de la valeur de Houellebecq, mais il est certain que Nabe ne sera qu'un feu de paille médiatique. Alors pourquoi parle-t-on autant de lui? Parce qu'il est utilisé par les milieux oligarchiques des médias pour singer l'opposant et prouver que l'on peut s'opposer au système tout en étant reconnu par le système.
Cette pantalonnade, destinée à prouver que FOG et ses comparses ne sont pas des oligarques, mais des démocrates libéraux, s'appuie sur une fausse opposition interne au sérail : Nabe est le pur produit du milieu oligarchique des Lettres. Si l'on étudie son opposition, elle est fumeuse. Nabe a eu le bon goût de défendre la VO du 911 au moment où elle est totalement démentie par de nombreuses sources officielles du sérail occidental.
L'imposture Nabe, qui repose sur la posture du faux opposant tressé de lauriers par ceux qu'il critique, exprime certes la récupération d'un système politique en fin de course qui essaye tant bien que mal de prolonger sa course folle en intégrant les plus grotesques de ses membres, fussent-ils des tartuffes et des incohérents. L'affaire n'est pas littéraire ou artistique. Elle est politique. Il serait insultant pour les écrivains d'accorder une valeur littéraire à l'impétrant - autre que celle de la subversion médiatico-politique.
Que ne constate-t-on que la publicité (au demeurant relative, et insultante dans cette relativité) orchestrée autour du cas Nabe (au sens où Nietzsche parlait d'un cas Wagner idiosyncrasique d'une certaine mentalité, et plus du tout musical) intervient au moment où les électeurs américains ont élu des libertariens fascistes, racistes et plus ultras que les ultralibéraux, notamment sur la question déjà extrémiste de l'individualisme? A l'heure actuelle, le principal (mais pas unique) promoteur de Nabe dans les médias se nomme FOG, qui est un cas d'école pour faire montre des passerelles entre le monde ultralibéral anglo-saxon et le monde français gangrené par la mentalité britannnique passée par l'Amérique.
Si Nabe ne s'est jamais prévalu de l'influence des libertariens sur son anarchisme, il a clamé à plusieurs reprises son admiration pour l'anarchisme le plus pur, le plus idéaliste, celui qui serait à la droite de l'extrême-droite et à la gauche de l'extrême-gauche. On l'a compris, Nabe se définit comme un individualiste forcené, qui estime que c'est sortir du système que de prôner plus d'individualisme pour contrer la faillite du système.
Évidemment, cette mentalité est typique d'un mondain parisianiste déconnecté des réalités, qui joue tout sur sa personne, son nom et qui ne sait que trop que le groupe qu'il dénonce ne le lâchera jamais tant qu'il le dénonce pour mieux le promouvoir. La preuve en ce moment, où Nabe en dénonçant le groupe en général fait de facto le jeu du groupe oligarchique auquel il appartient. Paradoxe du docte tox à l'intox. La correspondance politique entre l'anarchisme éthéré de Nabe et le libertarianisme comme prolongement extrémiste (fasciste) de l'ultralibéralisme de tendance friedmanienne indique qui est Nabe : non pas un fasciste au sens historique, mais un fasciste au sens où il se situe à l'extrême de l'ultralibéralisme zélateur de l'individualisme.
Je passe sur le couplet dépolitisation auquel Nabe sacrifie comme tout bon oligarque qui veut endormir son auditoire (ténu et romantisant malgré la publicité) et j'en reviens à la valeurlittéraire de Nabe. Pour évaluer ce qu'elle vaut, rappelons que Nabe est un recopieur, unrecycleur dont la technique consiste à parer l'existant d'une impression (au sens pictural) de nouveauté. Nabe fait dans l'autofiction? Qui ne voit que notre littérateur reprend la mode de son temps - et repompe la technique d'écrivains en panne d'imagination, dont le plus éminent est ce Matzneff qui dépasse relativement Nabe (un sous-Gide qui allie la mentalité oligarchique du Russe blanc avec la maladie du désir définissant l'autofiction et consistant à confondre le désir et l'imaginaire?
Nabe invente l'antiédition? Comment ne pas voir qu'il s'agit d'une resucée d'autoédition qui a pour caractéristique hilarante de conforter le milieu qu'on honnit et qu'on hennit- l'édition bourgeoise Gutenberg? Même le parrain FOG commet le lapsus à plusieurs reprises en présentant son poulain comme un autoédité dans la tradition d'ancêtres comme Dostoïevski ou Proust. Prout. Quant à l'invention sensée détrôner le modèle Gutenberg, elle y ramène furieusement, faisant de l'innovation Internet un moyen d'éloge au service de l'antiédition. Tu parles d'une escroquerie intellectuelle.
Un catalogue de paranoïa et de mégalomanie où la Toile serait au service d'une vulgaire araignée. Si l'on voulait réfléchir, il conviendrait de se demander en quoi la littérature est compatible avec Internet, pas en quoi Internet peut servir un écrivain - pas même la littérature. En parlant d'escroquerie, c'est sous ce vocable que les fanatiques de Nabe, qui animent son site Internet destiné à le servir comme un pacha, m'ont dénommé. Ils m'ont fait de l'honneur, ces esclaves à leur enclave, vieille supercherie où le style remplacerait le fond. Comment ne pas voir un bel exemple de projection?
L'escroquerie est perpétrée par celui qui passe à côté de son époque comme de son art. L'art consiste à identifier dans son temps le caractère universel du réel. Nabe passe furieusement et haineusement à côté d'Internet comme il passe à côté du 911. Nabe ne comprend pas plus la politique que l'art parce que dans tous les cas, il propose une approche oligarchique de tendance extrême. Quelque chose comme de l'hyperindividualisme. Notre navni surgit comme un symbole du génie littéraire alors que c'est le courant extrémiste des libertariens qui perce en Occident. Le symbole médiatique est consommé quand on retrouve sur un plateau télé de FOG Nabe face à (entre autres) Onfray.
Le philosophe qui est présenté par FOG le racoleur comme un grand nom de la critique freudienne, incarne le parti de l'ultragauche libertaire. Si Onfray est un grand penseur, on veut bien que Nabe soit un grand écrivain; sinon, on assiste à la mise en scène pathétique de deux égos aussi surdimensionnés que périmés, deux talents sous-dimensionnés, deux impostures calibrées, qui représentent deux fausses oppositions individualistes et médiatiques. Onfray exprime la position libertaire, Nabe la position crypto-libertarienne.
Nabe s'est tellement perdu dans les méandres scabreux de son autofiction, à force de raconter ses épisodes de cul (la praline) au nom de l'esthétique de l'immanence, du je-raconte-tout, qu'il ne se rend pas compte qu'il est instrumentalisé, et qu'on utilise son anarchisme mondain et creux aux fins de le tirer vers le libertarisme au moment où l'Occident en déconfiture bascule. Déjà que Nabe avait la réputation d'un écrivain d'extrême-droite plus ou moins talentueux, mais infréquentable, alors là, imaginez l'image pour la postérité.
Sans doute aurait-il été préférable de passer pour un extrémiste classique, un poujadiste ou un élitiste, que pour un libertarien. De toute façon, quand on se met en scène sous le fard de l'autofiction, on ne se raconte avec complaisance que dans la mesure où l'on déploie la panoplie de la complétude du désir, le mythe de cette hypertrophie du désir qui exprime rien moins que l'enflure de l'égo.
Matzneff exprime le mieux ce point de vue, bien au-dessus de Nabe, mais il n'est pas certain qu'être le meilleur dans la médiocrité soit un gage d'excellence. Matzneff se raconte, se la raconte, comme s'il était un inépuisable séducteur doublé d'une bête de sexe hors catégories... Si l'on consent à replacer les vantardises au rayon des trucs de l'autofiction, Matzneff affiche un dandysme de grand bourgeois qui vous donne la mesure d'un écrivain d'autofiction : un oligarque qui confond l'art avec le rang social.
Nabe, qui n'a rien inventé, mais qui brille en second se prenant pour un premier couteau, n'a pas compris que son milieu le laissait se bercer de douces illusions avec son mythe du grand écrivain puéril et tout à fait romantique pour mieux le manipuler. Nabe n'a pas compris que le Grand Ecrivain est une catégorie fantasmatique (de son petit désir de mondain) qui n'existe pas socialement. La catégorie du grand écrivain dont il se réclame, historiquement bourgeoise, n'est pas une catégorie esthétique, mais purement sociale. Encore un contresens chez notre trop-compris qui n'a rien compris et qui in petto se définit comme incompris.
Nabe, qui avoue avec vulgarité ne pas dédaigner la compagnie des péripatéticiennes plus littéralistes qu'analytiques ne se rend pas compte que son principal mérite est d'avoir prostitué l'art au social. Il n'accède de nos jours à une célébrité de mauvais aloi qu'en enfonçant le clou, pour parodier son titre racoleur et tonitruant : en se radicalisant dans l'autofiction à tendance libertarienne. Cette réduction de l'art au social n'est pas le propre de Nabe.
Nabe est un suiveur qui comme tous les suiveurs se flattent de création. Plus pâle il copie, plus il prétend créer. C'est ainsi que Nabe, dans une émission récente, alors qu'il lance une de ses envolées lyriques dont il aurait le secret, et qui rime avec l'esprit de plomb du racolage actif, se flatte d'écrire divinement bien. Il aurait dû lucidement corriger qu'il écrit - diablement bien.
Car sa conception du religieux, une forme obscurantiste et irrationnelle de mystique orthodoxe, comme son maître Matzneff, est tout à fait diabolique. Sa fascination pour Saint Jean et l'Apocalypse signifie qu'il adhère à la théorie du chaos créateur d'un Schumpeter, propagée dans les milieux néoconservateurs et libertariens. Mais... c'est la conception générale de l'immanentisme, selon lequel le désir est complet et l'infini l'incréé - laissant la place béante au néant nihiliste et dénié.
Dans cette conception, ce que l'on appelle le fond disparaît puisqu'il n'a plus d'existence. Le fond devient le style. Comment ne pas voir que cette rengaine est celle d'une époque opaque, celle de l'immanentisme terminal, surtout prégnant dans les milieux mondains qui croient d'autant plus représenter le monde qu'ils en sont coupés? C'est surtout la rengaine pressentie par Nietzsche, qui est le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré précédant notre période décadente. Nabe confesse aimer Nietzsche, mais c'est l'aveu qu'ils partagent les mêmes valeurs, même si Nabe est un vaniteux, quand Nietzsche savait écrire.
Il est dangereux de couper le fond de la forme. On arrive à des absurdités irrationalistes comme la définition que Rosset propose du réel à la suite du physicien Mach : ce qui est sans miroir. "Le réel est sans complément" signifie que la morale devient caduque (au profit de l'éthique), mais qu'en esthétique, seul le style compte. On peut être une parfaite ordure, on est un grand écrivain. Mieux : il faut être une parfaite ordure pour être un grand écrivain, car le grand style provient d'une vision amorale de la société - par-dessus bien et mal.
Il faut être un dominateur pour posséder un style divin. C'est du vocabulaire hypernietzschéen, selon lequel le surhomme est l'artiste créateur. Le surhomme est l'homme qui devient dieu. L'individu est magnifié dans son expression artistique. Cette apologie de la domination est incarnée par Matzneff, qui a l'égo tellement hypertrophié qu'il n'hésite plus à l'approche de la mort à se présenter comme un génie promis à l'immortalité. Si l'on peut douter que l'éloge de la pédophilie conduise à la grandeur artistique, il est certain que cet éloge du style complet participe des valeurs immanentistes selon lesquelles le désir est complet (et sans complément, cherchez l'erreur).
Rétablissons les évidences : un amoraliste est un immoraliste; un styliste est un autiste; l'autofiction hait la fiction (au profit des factions); l'antiédition favorise l'édition. En guise de verdict général, un Nabe estime que l'on est dans la mesure où l'on hait, soit que l'être signifie la haine. Cette erreur généralisée, qui porte à se tromper autant sur son temps que sur son art, à confondre l'art et le social, se manifeste dans la plus risible des postures de notre diariste antiédité par ses mauvais soins : confondre le people et le peuple.
Nabe croit sans doute que les peoples sont ces gens qui représentent des courants d'opinion. Leur élection médiatique et oligarchique repose sur leur représentativité et leur excellence. Trop content d'être un artiste people, Nabe ne se rend pas compte qu'il incarne la coupure entre l'oligarchie people et médiatisée et le peuple, dont le dégoût manifeste déjà la soif du changement et la fin d'une culture. L'autofiction est ainsi le démon de la tautologie ou plus exactement le démon de l'autotélisme.