lundi 15 novembre 2010

Libres à rien

Il va falloir distinguer dans le mouvement politique dit Tea party aux Etats-Unis deux réalités : - d'un côté le mécontentement populaire et dépolitisé des citoyens américains, qui sont confrontés à la réduction drastique de leur niveau de vie et qui y répondent par un mécontentement viscéral et peu conscient;
- de l'autre, le fait que cette vague de mécontentement populaire émerge sous la forme d'une politisation proche des cercles d'extrême-droite libertariens, ultraconservateurs, fanatiques religieux, etc.
J'aimerais en préambule donner le lien vers une interview à mon avis instructive de l'historien Kaspi, un spécialiste des Etats-Unis :
http://www.lepost.fr/article/2010/11/03/2291417_elections-americaines-un-votre-contre-obama-mais-pas-pour-les-republicains.html
Kaspi a le mérite de distinguer entre une protestation dépolitisée et populaire et une politisation libertarienne qui a valeur de récupération. La plupart des Américains qui sont furieux après les conséquences de la tiers-mondisation des Etats-Unis, pour reprendre le terme employé par l'historienne démocrate Huffington, ne sont pas des libertariens ou des extrémistes de quelque acabit que ce soit.
Par ailleurs, la réponse libertarienne, que l'on dénomme aujourd'hui Tea party, et que l'on range de plus en plus sous la bannière principale de l'aile dure du parti républicain, consiste à récupérer la protestation face à la politique ultralibérale de gauche d'Obama pour mieux la discréditer. Du coup, les contestataires deviennent des extrémistes, des fanatiques et des durs. Si c'est vrai concernant les récriminations libetariennes d'un Rand Paul, fils de Ron Paul, il est à noter que nos libertariens apportent une parodie d'alternative, puisqu'ils proposent une extrémisation de la politique ultralibérale.
Les libertariens sont les extrémistes des ultralibéraux, et il est normal de les classer à l'extrême-droite de l'échiquier politique actuel, bien qu'ils soient proches des fascistes néoconservateurs et ultralibéraux (non reconnus comme fascistes, ce qui en dit long sur l'état de putréfaction du système politique américain et plus généralement occidental). Mais ce qui est intéressant et concomitant, c'est le fait que l'on cherche à discréditer toute opposition à la politique d'Obama comme extrémiste pour mieux réduire les alternatives à deux grands choix : soit les conservateurs républicains de plus en plus souvent extrémistes; soit les progressistes démocrates de plus en plus ultralibéraux.
C'est déformer le problème en empêchant qu'émergent de véritables solutions de changement, nouvelles et originales. Pourtant, dans cette configuration périmée et suicidaire, il est certain que les deux alternatives fixes mènent au désastre prévisible et finiront par ressembler de plus en plus à la même politique hypocrite et stérile. L'arnaque électoraliste et stratégique consiste à faire croire que si l'on est pour le changement, l'on ne peut qu'être en faveur du faux progressisme en place, incarné par Obama. La récupération du progrès sous la bannière sclérosée de ce qui existe déjà est une trahison du changement et du progrès véritables.
Il est vrai que l'idée de progrès a déjà été subvertie et pervertie par le libéralisme, qui a réussi depuis cinquante ans à investir le socialisme et le trotskisme et à laisser entendre que le progrès lucide passait par le kéynésianisme - tendance correspondant en gros à ce qu'on appelle parti démocrate aux Etats-Unis - et se trouvant à l'heure actuelle incarnée par le narcissique et protonéronien Obama. Le véritable scandale consiste à présenter comme extrémiste, sous la bannière libertarienne du Tea party, ce qui est une mouvance informe, spontanée, de contestation sociale et politique.
Le fond du problème par ces temps de crise consiste à empêcher que n'émergent de nouvelles idées politiques et que les velléités de changement ne passent pas le cap de l'informel, découragées par l'étiquette d'extrémiste, ou rabattues vers les périmées idées en place, véritablement conservatrices, véritablement ultralibérales - et faussement progressistes. Je pense au parti d'Obama, à cet ultralibéralisme de gauche qui ne dit pas son nom et qui remplace les questions politiques par des bluettes sociétales (qu'il est difficile d'admettre qu'un métisse faussement noir comme Obama puisse trahir ses idéaux de gauche, alors qu'on l'assimilerait par antiracisme au messianisme politique d'un Martin Luther King!).
L'émergence du Tea party libertarien ne signale pas la validation électorale de l'extrémisme symbolisé par Rand Paul ou le Cato Institute. Il indique un mouvement informel de ras-le-bol des Américains, qui ne parviennent pas à identifier des véritables solutions alternatives et qui se réfugient en premier lieu dans l'apolitisme, l'abstention et le pessimisme plus ou moins cynique (sinistre). Cette récupération de l'apolitisme par l'extrémisme politique indique le refus du changement, soit le conservatisme le plus pernicieux; mais aussi le fait selon lequel dans une situation de crise, ce sont les extrémistes qui sont portés en avant pour mieux discréditer les solutions de changement modérées, viables, encore inconnues.
Autrement dit :
- toute contestation émane forcément d'un point de vue extrémiste, ce qui est une manière de refuser la contestation, une position typiquement conservatrice;
- la contestation se trouve disqualifiée parce que le mouvement progressiste existerait déjà; peu importe qu'il s'agisse en l'occurrence d'un faux progressisme récupéré. D'où : si les progressistes sont déjà représentés (par Obama dans le contexte), alors toute velléité de changement et de progrès supplémentaire se révèle superfétatoire, portée par l'extrémisme.
- quant à l'instrumentalisation du mouvement dépolitisé de contestation sociale baptisé Tea party et assimilé à des revendications extrémistes principalement libertariennes, il est intéressant de constater que ces revendications, en tant qu'extrémisme, sont manipulées par des groupes ultralibéraux qui se trouvent au pouvoir, ce qui fait que l'opposition à la politique d'Obama revendique des mesures qui vont au-delà de ce qu'un ultralibéral de gauche comme Obama peut oser et qui servent les partis qu'elles prétendent critiquer (en gros le progressisme trop étatiste).
Moralité de cette émergence manipulée et délirante des extrémistes libertariens et autres ultraconservateurs en réaction à l'ultralibéralisme de gauche maquillé en progressisme : il est temps que ce système vermoulu change vraiment et qu'apparaissent des idées nouvelles et des propositions nouvelles. Car les gens face à la crise ne comprennent rien à la situation - ou si peu. De la même manière que les dépolitisés ne peuvent comprendre une situation politique de crise; de la même manière que les déculturés ne peuvent saisir une situation de crise culturelle; de même les libertariens ne peuvent entendre la question de la liberté en tant que problème collectif et pas seulement individualiste, qui plus est forcené et souvent débile.

J'ajoute en lien l'interview de Kaspi dont j'ai déjà donné le lien.

Elections américaines : "un vote pour Obama mai pas pour les républicains".


Barack Obama, USA

Barack Obama, USA | REUTERS/© Larry Downing / Reuters

Les Américains ont voté mardi pour renouveler une partie des membres de la Chambre des représentants, de leurs sénateurs et de leurs 50 gouverneurs. Si le camp de Barack Obama - les démocrates - a perdu la majorité à la Chambre des représentants, il conserve une courte avance sur les républicains au Sénat. Ce scrutin est néanmoins une défaite pour le président américain. Les Américains ont-ils tourné la page "Yes we can" d'Obama ? Comment interpréter l'entrée du Tea party au Congrès ? Sur Le Post, André Kaspi, historien français et spécialiste des États-Unis, nous répond. Peut-on dire que les républicains ont gagné ces élections ? "Je ne peux pas vous dire qui a gagné, par contre je peux vous dire qui a perdu. Ce sont les démocrates et plus particulièrement Barack Obama. Les résultats ne sont pas non plus une catasptrophe pour lui, dans la mesure où les républicains n'ont pas la majorité au Sénat. Disons que la casse est limitée. Par contre à la Chambre des représentants, il s'agit bien d'un changement important". Les électeurs se sont-ils déplacés en masse ou y a-t-il eu une forte abstention ? "Même si nous n'avons pas encore d'estimation, il y a vraisemblablement une abstention très forte. Cela tient, à mon sens, à deux raisons. A chacune des élections législatives, les Américains hésitent à se déplacer. Et cette fois-ci, les républicains ont tiré profit de l'abstention des électeurs démocrates. Ce dernier point est tout de même à modérer car 40% des Américains ne sont ni démocrates ni républicains, ils changent de camp selon les élections". Le changement est-il maintenant du côté des républicains ? "Certains points de la politique d'Obama ne sont pas passés, c'est évident. L'accroissement du déficit fédéral, les dépenses de santé, la difficile communication de la Maison blanche sont autant éléments qui n'ont pas été bénéfiques au président américain. Mais on ne peut pas dire que le programme républicain enchante la société américaine. Le vote d'hier est davantage contre Obama que pour les républicains." Comment Obama fera-t-il pour composer avec les républicains pour faire passer ses réformes ? "Il a annoncé que 70% de son projet avait déjà été adopté. Pour le reste, vous savez, les Américains regardent surtout deux aspects : la reprise économique et la lutte contre le chômage. Or ces deux éléments ne dépendent qu'en partie des républicains et des démocrates, l'environnement économique joue aussi sont rôle. Ce qui est certain c'est que s'il y a une reprise, elle sera attribuée à Obama, et s'il n'y en a pas, il sera tenu pour responsable". Quelle interprétation faites-vous de l'entrée des populistes du Tea party au Congrès ? "Il faut tout d'abord rappeler que le Tea party n'est pas un parti politique mais un mouvement. Aux Etats-Unis, le mot "parti" n'a pas la même signification qu'en France. Il signifie "expédition". Le Tea party n'est pas une force dominante, il est simplement un élément important et visible du mécontentement des Américains envers deux choses : l'augmentation des dépenses fédérales et le rôle excessif de Washington dans le fonctionnement du pays".

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