vendredi 25 février 2011

Alibye


Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que la Libye, après un (petit) demi siècle de dictature militaro-ploutocratique, s'embrase soudainement et que ce bon colonel K. (encore un K. passablement inquiétant, comme Kissinger ou Kouchner) affiche à la farce du monde qu'il est un détraqué pas seulement sexuel? On ne parle jamais de la terrible crise alimentaire actuelle née de la spéculation sur les matières premières. C'est cette crise alimentaire qui constitue la cause première et vérifiable des émeutes partout dans le monde, colères qui ne sont pas circonscrites seulement aux pays arabo-musulmans.
Quand on s'avise que la Libye est fortement influencée dans son fonctionnement politique par le rôle des tribus ataviques, quand on y ajoute que l'AQMI, sorte de nébuleuse régionale inopinée et soudaine d'al Quaeda s'est fendue d'un communiqué de soutien aux rebelles libyens,
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/24/libye-al-qaida-au-maghreb-apporte-son-soutien-total-aux-manifestants_1484428_3212.html
on se rend compte que dans un contexte d'effondrement généralisé et mondialisé, certaines forces financières jouent la carte de la déstabilisation et du chaos pour maintenir coûte que coûte leur pouvoir. Soit ils dégagent; soit ils promeuvent le chaos.
Il est fort à parier que la voix ventriloque de l'AQMI indique que les financiers qui tiennent l'Empire britannique ont décidé de lancer le chaos dans leurs dominions et que les révoltes succèdent aux révoltes. Pas d'instantanés et de clichés; juste un processus. On déforme la dynamique du processus en la découpant en instants isolés et rendus fixes. Après l'information succulente selon laquelle le défunt potentat égyptien Moubarak avait placé des sommes colossales dans des établissements financiers à capitaux londoniens et suisses, voilà désormais que la piste Kadhafi mène à son tour aux piliers de l'Empire britannique.
http://www.rue89.com/2011/02/23/un-don-du-fils-kadhafi-gene-la-london-school-of-economics-192001
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/02/22/97002-20110222FILWWW00522-la-lse-coupe-les-liens-avec-la-libye.php
On sait souvent que le Colonel se targue d'être l'ennemi de l'Occident, un peu moins depuis qu'il a renoué le fil diplomatique récemment avec les pires organes occidentaux, dont le FMI (en particulier depuis 2003). Proche d'intérêts pétroliers italiens, au point paraît-il d'inspirer les délires érotico-sexuels de l'ultramafieux Berlusconi, Kadhafi relève plus encore du coeur de l'Empire britannique. Son fils pressenti pour être son successeur, le sympathique Seif al-Islam, aurait offert en janvier 2010 un don à la London School of Economics, l'une des fabriques à experts socio-économiques les plus prestigieuses de l'Empire britannique. Don qui se trouve désormais refusé, depuis que l'odeur du Colonel est devenu pour le moins embarrassante avec sa décision de tirer par tous les moyens sur son peuple contestataire.
Quand remarquera-t-on enfin que l'Empire britannique a autant besoin de mercenaires soi-disant contestataires que d'affidés loyaux? On a autant besoin autour de la City de Londres d'experts pontifiants en ultralibéralisme tendance Friedmann que de barbus islamistes et autres tyrans de tous poils. Kadhafi entre dans cette dernière catégorie peu reluisante. Il est un vieux relais vitupérant entrant dans la catégorie typique des opposants sous la coupe de l'Empire britannique. Tous ceux qui prétendent s'opposer aux Etats-Unis en ne proposant rien d'alternatif (avec sérieux, hein) sont des serviteurs plus ou moins conscients et plus ou moins cinglés de l'Empire véritable d'ordre factionnel, avec pour particularité de s'en prendre aux Etats-nations.
Sans aller jusqu'à oser qu'un Ahmadinejad serait illuminé (encore que), il est patent qu'Oussama était moins instable que manipulable et que Kadhafi présente des troubles sévères du comportement (encore un paranoïaque et un psychopathe au pouvoir). Le lien entre le fils-héritier (putatif) du Colonel et la LSE a valeur d'aveu, comme dans le cas Moubarak avec les lieux des placements financiers : encore un serviteur de l'Empire qui s'effondre.
Surtout pas un opposant authentique. On ne peut être un rebelle constructif et tirer sur son peuple. Preuve que Kadhafi est un tyran sanguinaire et qu'il règne par la brutalité la plus violente. Comment fonctionne l'Empire? Il a besoin de soutiens autant que d'opposants. Que l'on constate la présence occidentale importante en Libye, notamment autour du pétrole (la Libye posséderait les plus grosses réserves prouvées de pétroles en Afrique). Une première preuve que le régime du Colonel pactise avec les intérêts impérialistes qu'il prétend combattre.
Le panarabisme de Kadhafi est une blague qui n'appelle guère d'autres commentaires que l'escroquerie de la fausse opposition dénuée d'alternative. L'autre signe évident, c'est qu'au moment où le système financier international se désintègre, le régime soi-disant révolutionnaire (et en fait tyrannique) de Kadhafi s'effondre en Libye. Signe qu'il était soutenu par divers éléments de l'Empire britannique financier et industriel et qu'il n'était qu'un opposant postiche, tout comme Oussama est un faux chef terroriste qui fait le jeu quasiment explicite des intérêts britanniques, via divers relais, dont les désormais démasqués Saoudiens (et leur wahhabisme dément et simpliste).
Une vraie question à poser, au lieu de prendre comme acquises et indiscutables les révoltes en Libye, serait d'interroger l'origine des aides militaires massives qui ne peuvent manquer d'être apportées aux insurgés. Pourquoi cette révolte armée a-t-elle les moyens de se développer? Comment se fait-il que ces révoltes aient commencé près de la région la plus riche en pétrole (autour de Benghazi)? Ne relie-t-on pas Kadhafi à sa politique récente de réajustement structurel et de dérégulation ultralibérale telle qu'elle est pratiquée depuis 2003? La rhétorique psychotique du Colonel contre les attaques terroristes orchestrées par Oussama et al Quaeda en dit long sur l'identité des déstabilisateurs du régime libyen.
On pourrait encore mentionner d'autres faits troublants, comme les liens entre certains groupes de révolte contre Kadhafi et des services secrets occidentaux (CIA par exemple) - ou le fait plus ancien que Kadhafi, qui ne cessa de fustiger Israël et le sionisme, fut protégé à maintes reprises par le Mossad et par les dirigeants israéliens, ce qui en dit long sur sa compromission, peut-être aveugle et désaxée, mais majeure, avec l'ennemi occidental qu'il prétend combattre. Oui, Kadhafi est un pion de l'impérialisme britannique et ses contrôleurs le lâchent comme tous leurs satrapes régionaux, pour mieux instaurer en lieu et place du potentat jusqu'au-boutiste la politique affreuse et abominable du chaos.
Outre qu'il est explicite que l'alternative panarabique de Kadhafi repose sur la farce sanglante (comme c'étai le cas avec Saddam), le ferment de révolte n'est pas circonscrit à l'Orient fantasmatique. Nous assistons en ce moment à des manifestations prononcées en Inde,
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2011/02/23/007-inde-manifestation-inflation_chomage.shtml
en Grèce,
http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/02/23/violences-lors-de-la-premiere-greve-generale-de-l-annee-en-grece_1484348_3214.html
et même dans un Etat en faillite des Etats-Unis :
http://www.solidariteetprogres.org/article7449.html
Les populations ne s'insurgent pas subitement et sans explication contre des dictateurs au profil assez similaire, installés, protégés ou reconnus par l'Occident, corrompus et violents. Les émeutes suivent l'hyperinflation des matières premières qui frappent les plus pauvres de plein fouet et sans aucune mesure de contrôle.
J'avais récemment fait état de la faim qui menace les pauvres de plus en plus nombreux de Madagascar. Cette situation économique générale et catastrophique est à relier avec le chaos politique qui s'en suit (et qu'on présente avec un cynisme révoltant comme des révolutions populaires et structurées dans les médias d'Occident). Tant que le chaos frappe les marges de l'Empire, les dégâts demeurent secondaires, quoique terribles; à partir du moment où le coeur de l'Empire est frappé, l'effondrement s'accélère et la dynamique du processus de désintégration prend une tournure plus radicale, comme c'est le cas dans un incendie.
Nous nous trouvons dans une situation particulièrement sévère où le coeur de l'Empire commence à être touché explicitement. Si nous ne réagissons pas en profondeur, en démantelant les cartels financiers autour de la City de Londres et en se servant comme point de départ et référence d'analyse de l'outil de travail de la Commission américaine Angelides, nous pourrions basculer dans un gouffre dont nous ne ressortirions pas avant une bonne nuit de ténèbres. Bien entendu, une fois encore, si nous en restons à une interprétations déformée où nous amalgamons l'Empire financier britannique avec l'Empire américain fantasmatique et les intérêts financiers américains sous la coupe effective de l'Empire britannique, nous ne pouvons comprendre la situation ni prendre les mesures adéquates pour y remédier.
Nous ne pouvons relier la chute du régime Kadhafi avec celle de ses protecteurs du système financier. Nous continuons à passer à côté de l'essentiel : si les dirigeants occidentaux n'ont pas vu venir ces révoltes impressionnantes, qui n'en sont qu'à leurs prémisses, c'est parce qu'après avoir été les complaisants contrôleurs de ces régimes corrompus, ils sont incapables de prendre la mesure de l'effondrement actuel, qui traduit la disparition du système libéral qu'ils servent et qu'ils défendent - à l'image d'un Sarkozy en France. Quand comprendra-t-on que la crise économico-financière que nous endurons est irrémédiable et que le seul moyen d'en sortir est de quitter le libéralisme en mettant en faillite les intérêts privés qui le composent?

P.S. : je voudrais finir en constatant que les chutes de Moubarak et de Kadhafi sonnent comme le signe de l'inéluctable renversement d'Israël dans la région. De toute façon, Israël, qui est soutenu, après avoir été créé, par des piliers de l'Empire britannique, ne peut survivre à l'effondrement programmé de cet Empire. C'est une excellente nouvelle pour les Palestiniens martyrisés et pour tous ceux qui ne supportent pas dans l'expression du néo-colonialisme l'expression quasi abrupte de la loi du plus fort. Espérons seulement que la disparition de l'Israël sous sa forme actuelle ne se terminera pas par des massacres vengeurs, mais par la constitution d'un Etat-nation pacifique et laïque inspiré du modèle de la société libanaise passée.

2 commentaires:

Éric Fantasio a dit…

Voilà un commentaire intéressant qui semble presque anormalement pondéré venant de toi.

Salut !

Koffi Cadjehoun a dit…

Ce qui se passe dans le monde autour de la spéculation alimentaire est tellement énorme que j'en deviens pondéré???