dimanche 5 juin 2011

La forêt cache l'arbre

Après le coup de DSK accusé de viol après de multiples affaires de moeurs (sexe violent aux frontières du viol), nous pouvions avoir l'impression tenace et lucide selon laquelle certain puissants avaient sombré dans l'oligarchie en se croyant au-dessus de la loi. Nous avions un aperçu de ce que pouvait être la réalisation effective des envolées romantico-lyriques d'un Nietzsche à propos de l'amoralisme. Loin d'amener à l'état supérieur d'un surhomme créateur de ses propres valeurs, l'amoralisme conduit de manière assez prévisible et expérimentale à l'oligarchie.
Signe que la corruption de la morale publique arrive à des sommets si avancés qu'ils ne peuvent donner lieu qu'à un grand changement passant par un bon coup de balai, voilà désormais qu'en France certains anciens ministres se trouvent accusés de pédocriminalité ou pédomanie : Jack Lang, ancien affidé de Mitterrand ou Douste-Blazy, autre ministre de la culture du temps de Raffarin et Chirac. Toutes ces affaires, avérées ou imprécises, indiquent que les élites se croient au-dessus des lois, perdent les repères qu'offre la morale désormais tant décriée par la mode d'inspiration nietzschéenne et deviennent folles (il est possible que les nombreux coups de folie sexuelle de DSK relèvent du traitement psychiatrique plus que pénitentiaire).
Il serait cependant dangereux de se laisser contaminer par la mode libérale de la privatisation tous azimuts du public, oubliant que ces cas, aussi représentatifs et lourds soient-ils, sont des arbres qui cache la forêt. Difficile de ne pas voir qu'un DSK était encore plus un prédateur public que privé par les fonctions et le programme qu'il appliquait contre les peuples ruinés depuis le FMI. La forêt, ce ne sont pas des affaires privées douloureuses et ignobles (fort fantasmatiques aussi) comme la pseudo-pédophilie, terme mal choisi quand on sait qu'il renvoie à l'amour des enfants (pédomanie serait un terme plus approprié). La forêt, ce sont les affaires publiques et politiques.
Bien entendu, le fondement du politique est le religieux, dans une acception monothéiste et avec sa variante philosophique. Il n'est pas possible de condamner les crimes privés de représentants politiques sans consacrer la prééminence du public sur le privé. Au lieu de s'en tenir à des masques comme le viol, demandons-nous pourquoi un DSK pouvait être un ultralibéral de gauche pratiquant une politique de prédation des États en faillite, tout en passant pour un modèle de réussite et de compétence politiques jusqu'à son arrestation pour des motifs privés.
Les gens en sont venus à trouver plus grave que l'on viole une victime plutôt que l'on pratique des politiques criminelles politiques, à l'échelle de millions, voire de milliards de personnes. On se focalise jusqu'à hystérie sur le viol ou la pédomanie. Aussi répugnants (et fantasmés) ces vices soient-ils, ils ne peuvent qu'amener à considérer que les pires violences sont politiques et que la violence actuelle la plus abjecte n'est pas la pédophilie. C'est la pratique oligarchique et ultralibérale consistant à renflouer les intérêts financiers en assassinant les peuples. Cette pratique conduira à la mort et à la souffrance de milliards de personnes.
Le système politique libéral est à un point de dégradation telle (avant sa chute définitive, imminente et souhaitable) qu'il en est à utiliser comme dérivatifs le viol et les pires crimes pourvu qu'ils soient privés. Un romancier américain mineur, qui symbolise plus la folie du système qu'il ne la dénonce, a écrit un roman fameux et prémonitoire en 1991 : American Psycho. Patrick Bateman est un golden boy beau, riche et célèbre, aimant la fête et ne rechignant pas à l'usage de la cocaïne pour rester dans les soirées en forme optimale. Mais notre modèle de réussite est aussi un psychopathe qui à l'abri de son luxueux appartement trouve son seul (véritable) plaisir à tuer les faibles, en particulier les animaux, les femmes et les pauvres.
L'histoire prophétique de Bateman recoupe celle de DSK dans les grandes lignes : la performance qui passe pour le modèle relève du monstrueux. Le financier riche et ultralibéral pratique des méthodes si destructrices dans le public qu'il est dans le privé un psychopathe dont la criminalité privée caricaturale renvoie à la criminalité publique non reconnue. Nous en sommes au point où la reconnaissance de la criminalité publique est déniée et où l'on préfère pour retarder le moment de la prise de conscience nécessairement universelle renvoyer vers des parades privées comme le viol. Malheureusement, la rédemption collective passe par le changement politique et public. Le seul moyen d'enrayer un système fou est de changer de système.
Si nous sommes gouvernés par des malades mentaux, pervers en particulier dans leur sphère privée, c'est que le système libéral est profondément pervers dans son expression publique. Si la main invisible qui régule le libéralisme n'existe pas, c'est que le libéralisme est en réalité pervers et qu'il cache sa soif de domination destructrice derrière la masque réconfortant de la main invisible. Tel est l'arbre qui cache la forêt. L'arbre est pervers parce que la forêt est perverse. DSK/Bateman est pervers parce que le système de la spéculation financière qui porte le système libéral est pervers. Rien ne sert de s'attarder sur l'affaire DSK ou la future affaire scandaleuse incriminant un haut dirigeant mondialiste et/ou occidental, si l'on ne change pas de système politique et de ligne publique. Le libéralisme génère des monstres à son image, à mesure qu'il en est arrivé à un point de non retour : sucer le sang des peuples pour tenter désespérément de survivre (de moins en moins longtemps).
Il est temps de renverser la privatisation du public en supériorité du public, en comprenant que l'existence du public n'est pas physique, mais qu'elle ressortit d'une forme de réel en enversion - de structure différente de la structure physique immédiatement connaissable. La pérennisation du public n'est pas un luxe ou un artifice inutiles, mais la condition sine qua nonde la conservation et du développement de l'homme. La supériorité du public sur le privé passe par leur différenciation, pas par leur prolongement, comme c'est le cas actuellement. Le prolongement pervers aboutit sous prétexte de protéger le public à le privatiser.

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