mercredi 22 juin 2011

La régulation de la dérégulation


A écouter Marc Roche le 9 juin, honorable correspondant pour le journal français ultralibéral de gauche Le Monde, les financiers qui dirigent le monde (maintenant que l'oukase est devenue criante) tourneraient de manière fixe et identifiée autour de la banque d'affaires américaine Goldmann Sachs. On tient le méchant de service (le journaliste dit carrément : le Dark Vador de la crise). Peut-être est-ce dû à un article retentissant dans le Rolling Stones de 2010 - ou à la faillite de la Grèce. Peut-être à d'autres magouilles de cette banque, notamment dans les successives administrations américaines des deux bords politiques démocrate ou républicain.
Toujours est-il que Marc Roche joue le rôle des financiers de la City de Londres en adoptant la stratégie après tout atavique du bouc émissaire en partie coupable : l'incrimination fondamentale et finaliste de Goldmann Sachs réhabilite le vieux préjugé de l'impérialisme américain via l'impérialisme financier de Wall Street (voire de Chicago). Habile stratégie pour divertir l'auditoire avec un bouc émissaire complaisamment offert en pâture, alors qu'une analyse irréfutable indique que le centre de la finance mondialiste se situe non à Wall Street mais à la City de Londres. Goldmann Sachs y tient d'ailleurs des bureaux fort importants, à tel point qu'on a pu entendre l'intervention sur France Inter d'un certain Yoël Zaoui, directeur de de Goldmann Sachs Europe de son état, élu en 2008 "meilleur banquier de l'année" par la communauté française de Londres. Roche préfère incriminer la perfidie nominale du trader français Fabrice Toure, alors qu'elle n'est que représentative et métonymique de l'ensemble du fonctionnement des banques internationales (pas seulement les banques d'affaires).
Le mérite principal de Roche est de dédouaner la City en culpabilisant Wall Street - oubliant le principal enseignement de la mascarade : que les agissements de Wall Street découlent de manière subordonnée des stratégies ourdies par la City et ses déclinaisons off-shores. Roche travaille ainsi pour les intérêts de la City en incriminant la banque d'affaires américaine Goldmann Sachs de tous les maux et par ricochet la place financière (au demeurant fort puissante) de Wall Street (oubliant les liens de subordination que Goldmann Sachs entretient avec les banques londoniennes).
La réduction du réel s'accompagne de l'accroissement du niveau ultime de ce qui a été réduit, par compensation et dédouanement. Le dernier niveau réduit étant tel qu'il est inférieur à l'espace manquant produit par l'opération de réduction, il convient pour combler le manque d'accroître le dernier niveau réduit de telle sorte que l'opération de maquillage deviendra crédible pour la plupart de ceux qui préfèrent toujours s'en tenir au plus immédiat que de creuser derrière la surface et de s'enquérir que l'iceberg est plus important sous l'eau qu'au-dessus. Idem avec le réel : ce qui est caché (au sens d'involontairement caché, soit d'inconnu) est de loin supérieur à ce qui est connu, la connaissance de ce qui est connu fût-elle en agrandissement incontestable au fil des millénaires.
Mais le discours propagandiste au sens de réducteur que tient Roche reprend les poncifs visant à conforter le système financier oligarchique au prétexte qu'on en dresse une critique qui se veut courageuse et pugnace, alors qu'elle est fausse et partiale :
1) l'argutie de la faillite impossible de certains organismes financiers, qui seraient trop gros pour disparaître : commode moyen de rendre théoriquement impensable ce qui émarge au rayon du bon sens, comme si le fondement financier actuel transatlantique appartenait au fondement ontologique et ne pouvait être changé, voire liquidé, sans que le réel change de texture, voire de couleur. C'est bien entendu une vision terroriste du problème (empêcher de penser au problème en le rendant inextricable), qui au surplus n'empêchera pas la faillite programmée de ces intérêts soi-disant intouchables, mais qui la rendra bien plus douloureuse, voire chaotique.
2) Poursuivant avec le raisonnement selon lequel la finance folle internationale est dirigée par des établissements financiers trop gros, Roche reprend l'idée de casser ces établissements pour les rendre de taille plus humaine. C'est un argument typique lancé par certains stratèges de la City aux fins de poursuivre leur prédation financière en faisant mine de moraliser les marchés. Roche travaille ici pour les établissements financiers de la City contre les dérives notamment perçues à Wall Street sans préciser que les dérives de Wall Street sont étroitement surveillées par la City et que le véritable démantèlement passe par la mise en faillite générale du système transatlantique, y compris celui fondamental de la City, pas par la réduction des banques "too big to fail". Au moins le réductionnisme échevelé de Roche devient-il explicite avec cet appel au morcellement, dont on voit mal en quoi il encouragerait des pratiques plus morales dans un système qui d'essence est immoral.
3) La proposition reprise ici par Roche de diminuer la taille des banques d'affaires permet de laisser entendre que ce serait une mesure pérenne pour résoudre le problème de la spéculation folle qui mène les pays à la faillite. C'est un bobard grossier, qui permet de recouvrir la véritable proposition du Glass-Steagall lancée par Roosevelt par cette mesurette qui est encore pire que la mesure prise par Obama (c'est peu dire). Obama et ses conseillers à la solde des financiers de Wall Street (c'est dire le progressisme échevelé de ces politiciens véreux) ont proposé sous la conduite de Volcker (un ancien de la FED) un faux Glass Steagall qui en gros encourage la spéculation financière sous prétexte de la canaliser, en empêchant des mécanismes superficielles au lieu de réguler le fonctionnement structurel et fondamental. On ne divise pas les banques universelles en banques de dépôt et banques de spéculation, mais on établit cette différence à l'intérieur des mêmes organismes, légitimant le modèle immoral et prédateur de la banque universelle. Ce modèle aboutit à une surenchère spéculative et n'est que de la poudre aux yeux.
4) Pour finir, Roche en bon apôtre de la City diagnostique une reprise de l'économie mondiale sous l'égide de la spéculation financière coordonnée par la City. Malheureusement, notre vaillant pharisien se trompe. Il n'y aura pas de reprise et tant que l'économie demeurera gouvernée par le spectre myope du libéralisme monétariste, elle s'effondrera dans le chaos jusqu'à la disparition. Le seul moyen est d'en sortir en mettant en faillite les intérêts financiers et en reprenant de bonnes vieilles méthodes de gestion comme le Glass-Steagall. Les financiers utilisent comme stratégie de diversion et de propagande deux principales techniques reprises par le porte-parole journalistique Roche :
a) le bouc émissaire réducteur comme Goldmann Sachs ou en filigrane l'impérialisme américain;
b) le faux Glass-Steagall, soit la fausse régulation bancaire qui loin de réguler les spéculations folles conduit à les accroître en rendant la régulation interne, soit en la confiant au bon vouloir des banquiers. Autant compter sur la bonté du criminel, de l'empoisonneur ou de l'esclavagiste. Quelques jours après cette intervention télévisée de Roche, le 15 juin (preuve que Roche répète les stratégies auxquelles il assiste en spectateur privilégié à la City), le ministre des Finances britannique Osborne a proposé le modèle du pseudo Glass-Steagall à la sauce Volcker (séparation interne entre spéculation et dépôt) lors d'un discours à la City de Londres.
Roche a commenté cette mesurette capitale (en ce qu'elle prend la place du vrai Glass-Steagall) avec sa soif de la fausse critique légitimant sa fascination prononcée pour les oligarques de la finance et véritables maîtres de la finance mondialiste que sont les Lords de la City (et non les parvenus arrivistes de Wall Street) : "Le lobby de la City se frotte les mains. A ses yeux, [cette] solution évite le scénario cauchemar : l’éclatement des grandes enseignes universelles comme ce fut le cas avec le Glass-Steagall Act aux Etats-Unis dans les années 1930". Roche approuve la stratégie de la City et se pose comme l'un de ses propagateurs principaux en France.

Aucun commentaire: