dimanche 12 juin 2011

Polysémie des nationalismes

A partir du commentaire que propose Oligarchie dans le post précédent, j'aimerais revenir sur un point capital pour comprendre l'histoire du libéralisme, histoire intégrale et non pas la propagande historiographique qui nous est livrée en lieu et place. A chaque fois que le libéralisme s'effondre dans sa jeune histoire monte le nationalisme, qui apparaît comme une alternative postlibérale, voire antilibérale au libéralisme. Pourtant, si l'on observe le programme nationaliste, il se caractérise par des mesures ultralibérales (ou apparentées) qui ne sauraient en aucun cas constituer une quelconque alternative au libéralisme, amis plutôt conforter de manière inavouable le libéralisme terminal en proposant un programme de fausse opposition et de vrai extrémisme.
Le nationalisme sanctionne la phase terminale du libéralisme par la production de propositions violentes, destructrices et instables. Le nationalisme constitue selon le mot de De Gaulle la haine des autres pays (quand le patriotisme exprimerait l'amour de son propre pays). Il s'agit de dominer, même si cette domination peut être la domination collégiale de plusieurs pays, l'entente alternationaliste entre plusieurs pays. Le propre du nationalisme est d'apparaître comme un processus idéologique qui revendique la domination au sens politique, avec cette particularité que le politique ici se trouve réduit à l'idéologique : il s'agit de dominer dans une optique politique finie et fixe, soit condamnée à l'échec.
Le libéralisme peut se présenter comme une doctrine idéologique (politique) saine et progressiste si l'on valide la viabilité de sa main invisible. Mais quand on s'avise que la main invisible repose sur la fumisterie irrationaliste, le libéralisme est une doctrine commerciale légitimant l'impérialisme (de la Compagnie des Indes britanniques) qui prétend devenir une idéologique sanctionnant le libéralisme Le libéralisme se produit historiquement dans un monde ordonné, ce qui revient à dire que le libéralisme exprime la possibilité de dominer dans un monde ordonné et viable. L'ultralibéralisme qui suit, qui se manifeste théoriquement chez Hayek & Cie. (et que d'aucuns font remonter à Walras), prend acte de l'effondrement du monde suite à la domination qui le désordonne, mais n'est pas une doctrine qui pervertirait le libéralisme et le renierait.
Au contraire, l'ultralibéralisme comme son nom l'indique est la gradation du libéralisme et peut tout à fait être revendiqué par certains penseurs libéraux dès les débuts du libéralisme. La tentation extrémiste à l'intérieur du libéralisme est inhérente au libéralisme. L'ultralibéralisme explicité de Hayek et de ses collègues de la Société du Mont-Pèlerin ne fait que prendre acte d'une tendance consubstantielle au libéralisme : la domination la plus débridée et virulente existe dans le libéralisme dès le départ. Elle se trouve tempérée par l'irrationalisme accommodant et spécieux de la main invisible, puis quand ce deux ex machina disparaît, l'ultralibéralisme exprime le visage le plus extrémiste du libéralisme : la domination sans fard et sans atténuation.
La proximité de l'ultralibéralisme et du nationalisme montre le visage du nationalisme : il survient non pas pour proposer une alternative viable au libéralisme exsangue et en phase terminale; mais pour promettre un prolongement qui est le prolongement du libéralisme sous couvert de lutte contre lui. C'est ce qu'on constate avec le fascisme italien sous Mussolini, qui est un allié explicite des cercles financiers italiens, notamment rassemblés autour de l'ancienne République de Venise. La promotion inconditionnelle et violente de la nation pourrait donner l'impression que le nationalisme se situe aux antipodes du libéralisme.
Il n'en est rien, car le libre-échange et le protectionnisme nationaliste sont les deux faces de la même médaille : il s'agit de manière complémentaire d'instaurer la domination d'élites qui dans le cadre strict du nationalisme sont des élites circonscrites à un pays (par exemple l'Italie); alors que dans le cas libéral, ces élites oligarchiques sont transnationales et aujourd'hui mondialistes. Mais dans le cas historique des fascismes, on constate une alliance de fait des élites des différents pays d'Occident par exemple, notamment entre les élites américaines, anglaises, françaises, allemandes et italiennes (avec d'autres ramifications), ce qui montre que le projet de l'alternationalisme, de proposer une alternative au mondialisme ultralibéral par des alliances nationalistes entre différents pays alliés, non seulement n'est pas du tout nouveau, mais est consubstantiel à tout projet nationaliste.
Le nationalisme diffère de l'ultralibéralisme en ce qu'il se présente comme défense de la domination, quand il existe encore une certaine inclination à l'expansion dans l'ultralibéralisme. Peut-être faudra-t-il proposer un schéma dans lequel plus le libéralisme sévit, plus il détruit; et plus il détruit, plus il penche vers des réponses croissantes et extrémistes. Du coup, l'ultralibéralisme au pluriel relève de ces catégories de réponse, quand le nationalisme bascule dans un état encore plus virulent et décroissant dans l'effondrement systémique : le nationalisme prend acte de la destruction de l'extérieur de son pays, et institue la domination à l'intérieur de ce qui reste avec une thématique de sauvegarde et de survie tout à fait particulière et pathologique (qui recouperait certains élans de l'écologie majoritaire néo-malthusienne).
La parenté extrémiste et terminale du nationalisme par rapport au processus libéral est une évidence qui est d'autant plus tue que le secret de cette omerta tient à l'angoisse de la disparition : il est inacceptable pour un esprit bien né en pays libéral de penser à la fin du libéralisme. A la rigueur, on veut bien faire semblant de sacrifier à cette question, à condition que l'on rétablisse in fine le libéralisme dans les fondements déniés, comme c'est le cas avec la théorie marxienne. Non seulement le nationalisme exprime la fin de l'entreprise libérale en tant que fin du rêve de domination, mais encore cette apothéose, loin de conduite au nirvana durable, signe immanquablement et sinistrement la disparition de la domination - en tant que tout processus de destruction conduit inévitablement à sa disparition.
C'est le constat que nous fournit le nationalisme : le nationalisme n'est en aucun cas une forme stable, donnant lieu à des expressions croissantes et pérennes. On vérifie que toute entreprise de destruction qu'occasionne la domination revient au final à l'autodestruction. Impossible de détruire sans s'autodétruire, du fait de l'unité du réel. Alors que les partisans de l'impérialisme et autres formes légitimées de destruction penchent en faveur de la multiplicité du réel, comme un Aristote durant l'Antiquité, c'est la preuve de l'unité fondamentale du réel, qui implique que toute action concerne autant son auteur que l'ensemble de ses bénéficiaires.
Dernière remarque : la polysémie du nationalisme. Car tout ce qui vient d'être dit de particulièrement sévère sur le nationalisme concerne l'alternative nationaliste dans un Etat-nation déjà fixé (et dans un état passablement délabré). Mais l'on trouve aussi le nationalisme antérieur à l'Etat-nation et exigeant son avènement. Cas d'hommes politiques comme Nacer, Abbas, Lumumba, Sankara en Afrique qui ont tous pour point commun de vouloir sortir du néo-colonialisme par la création d'un Etat-nation. Kadhafi paye sans doute aujourd'hui très cher le fait d'avoir différé cette mutation de la monarchie tribaliste et colonisée libyenne en une pseudo-démocratie encore rivée au tribalisme antinomique avec l'Etat-nation et par contre remarquablement compatible avec l'impérialisme colonialiste.
Le nationalisme anti-colonialiste ne doit pas être confondu et amalgamé avec le nationalisme exprimant l'impérialisme exacerbé et réfuté. Là encore, il s'agit d'une revendication politique qui est transitoire puisqu'il s'agit d'instaurer le passage d'un Etat colonisé vers un Etat-nation qui constitue à l'heure actuelle la forme la plus moderne et républicaine de la volonté générale. Peut-être est-ce la raison qui explique l'attrait persistant du nationalisme en période de troubles et de dangers politiques : la confusion entre le nationalisme vers l'Etat-nation et le nationalisme de pure domination à l'intérieur de l'Etat-nation permet de prêter (fort provisoirement) au nationalisme générique et indéfini une légitimité idéaliste (romantico-adolescente) qui à l'examen s'effondre.

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