jeudi 23 octobre 2008

Défi(n)ance

On entend sans cesse bruire les pires rumeurs sur la crise de confiance qui serait l'explication à la crise financière, aimable euphémisme pour désigner la crise qui est bel et bien une crise systémique, donc non passagère et transitoire. La confiance, ce mot admirable, expliquerait ainsi tout sans être l'explication de quoi que ce soit, puisque nous vivons à une époque où l'inexplicable tient de maître-mot aux évènements et aux faits.
On se rappellera de l'intervention de l'historien Veyne, expliquant sans rire que l'Empire romain avait disparu un jour de déveine et qu'en aucun cas la chute de l'Empire romain ne pourrait s'expliquer causalement par le phénomène pourtant bien connu de la décadence. La décadence n'existerait pas : entendons bien que ce déni s'explique seulement parce que la cause explicable est trop cruelle et que le faux analyste préfère l'absence d'explications aux explications cruelles. Mieux vaut s'en tenir à l'inexplicable, soit au déni, que d'accéder à l'évidence de la décadence contemporaine. Il est trop cruel de comprendre que la décadence romaine présente des similitudes avec la décadence occidentale. Ergo : la décadence n'existe pas.
La confiance est un peu comme la sécurité, dont elle est un mot voisin, sinon parent : on l'invoque comme si elle était un fondement acceptable. Expliquer la crise par la disparition de la confiance, c'est ainsi expliquer (le réel) par l'inexplicable. C'est se moquer du monde. En conséquence de quoi nous allons sans tarder rétablir l'explication dans ses prétentions raisonnables.
Étymologiquement, la confiance, con-fidere, renvoie au fait de se fier ensemble ou de croire ensemble. La confiance désigne l'acte de foi, l'adhésion au réel qui transcenderait toute possibilité d'explication de ce réel. En gros, on éprouve de la confiance quand on adhère au réel au nom d'une foi dans le réel qui n'est pas explicable par l'argumentation rationnelle ou par quelque explication factuelle que ce soit.
Précisément, la confiance qu'on invoque si souvent est un terme éminemment religieux, qui renvoie à la foi. Foi en quoi? Quelle religiosité que cette religiosité d'une époque qui se targue d'avoir dépassé la religion, le religieux, la religiosité? Les analystes officiels parlent de la sortie de la religion, mais c'est accorder une trop grande confiance ou une confiance superficielle dans leur époque et dans la mentalité dominante contemporaine. C'est bel et bien la religion de la négation de la religion, la religion de l'immanentisme, qui s'exprime dans ses crédos indirects et masqués, comme la confiance ou la sécurité. Loin d'avoir dépassé la religion, les rivages du trascendantalisme n'ont été quittés que pour la crise immanentiste, qui est une crise religieuse, dan la mesure où elle laisse place à une forme de religiosité, le déni du religieux.
Avoir confiance, c'est croire ensemble autant que croire à l'ensemble. La confiance dénote l'idée de la communauté. Sans confiance, l'esprit communautaire s'effondre; avec la confiance, l'esprit de la communauté se recrée. C'est une conception assez mystique qui montre pour ceux qui en douteraient que leur sortie de la religion s'apparente plutôt à une forme religieuse spécifique, qui est l'immanentisme travesti.
Selon l'immanentisme, le réel renvoie au fini. Le reste n'est que néant. Le néant existe en tant que néant. Dans cette conception de l'existence, la confiance s'exprime quand l'homme croit dans le fini. La croyance dans le fini permet au fini de prospérer. L'absence de croyance dans le fini accélère la prolifération du néant et la destruction du réel. La confiance est ainsi l'expression de la croyance dans l'immanentisme, soit dans cette conception du monde qui est une conception gnostique assez classique, dont le propre est de séparer le réel en tant que fini et le néant en tant qu'infini.
D'ailleurs, si l'on examine les grands penseurs de l'immanentisme, à commencer par le saint de l'immanentisme, ce Spinoza que les monothéistes abhorrèrent tant, ils font du désir le centre de leur doctrine. Un pessimiste comme Schopenhauer parlera de volonté, mais la différence tient au fond à peu de choses et de frais (c'est-à-dire que dans la bouche d'un commentateur spécialiste de son penseur les spécificités teindront lieu de différences essentielles et capitales).
Placer le désir au centre du monde, c'est admettre implicitement que l'édification et la constitution du réel sont dépendantes au premier chef de l'état du désir, autrement dit de la décision humaine. Ce que le désir veut engendre l'ordonnation du réel, quand ce que le désir fuit provoque la destruction du réel.
Si cette thèse est partiellement juste, sa partiellité devient partialité quand on en fait une thèse cardinale, ou encore une thèse fondamentale. L'immanentisme est incapable d'expliquer l'ordonnation ou l'édification du réel, donc il s'en remet à l'irrationalisme de la méthode Coué, soit à sa propre faculté ordonnatrice et démiurgique de création du réel. Avoir confiance, c'est créer le réel signifie : désirer, c'est créer.
La méthode Coué consiste à instaurer fallacieusement, par le seul mécanisme de son désir ou de sa volonté. Cette faillite du désir exprime la frustration d'un enfant gâté, qui ne supporte pas que ça lui résiste et qui préfère pour contourner la résistance et la difficulté rapporter l'entreprise de création générale, ou entreprise divine, à ses seule facultés.
Evidemment, il ne suffit pas de désirer pour créer, ce qui revient à afformer qu'il ne suffit pas de vouloir pour être. Le désir humain n'est jamais qu'une infime partie de l'ensemble réel. Le désir est pris en flagrant délit et flagrant délire de démesure chaque fois qu'il sort de ses véritables attributions pour s'attribuer un pouvoir totalement disproportionné avec le réel.
C'est dans ce contexte de folie latente que la confiance est à comprendre et à relier avec l'immanentisme. Confiance immanentiste qui diffère de la confiance classique et transcendantaliste en ce que la confiance classique exprime le mystcise ed qui croit et adhère au rée, quand l'adhésion au réel immanentiste suppose une confiance démesurée, douée de création et de démiurgie.
Bien entendu, la critique à adresser à l'immanentisme tient en premier lieu à sa dangerosité. Une telle thèse centrée sur le désir humain outrepasse de très loin les facultés humaines. Prêter à l'homme des réalisations qu'il ne peut pas réaliser, c'est au fond la pire démesure. Tandis que l'homme s'arroge un droit qui le dépasse, il détruit ce à quoi il prétend et qui lui échappe. Il détruit ainsi le réel qu'il croit posséder et dont il n'est qu'un étrange étranger.
La confiance est irrationnelle dans un sens péjoratif, au sens où l'on peut avancer que le réel peut s'expliquer et que l'inexplicable cache nécessairement un déficit explicatif ou un déni explicatif - ou les deux, le plus souvent. Avoir confiance dans le sens immanentiste, c'est avoir confiance dans le fini. C'est connexement que la confiance désigne la faculté de créer du réel, soit de créer du fini par la confiance, soit par le désir de type immanentiste dont le spinozisme ou le nietzschéisme offrent une perspective patente.
Cette croyance est impossible, ce qui suffit à montrer que la confiance immanentiste ne tient pas la route. On peut la définir comme de l'irrationnel et/ou de l'inexplicable. Ses prétentions sont outrées et démesurées. Alors que la confiance classique consiste à croire dans le réel, la confiance immanentiste prétend tout bonnement être à l'origine et être l'auteur de la création du réel. C'est bien entendu absurde et c'est la raison pour laquelle ni la confiance, ni sa perte ne peuvent expliquer la crise immanentiste actuelle en tant que crise systémique, pas davantage que les exigences de sécurité ne peuvent aboutir à la sécurité effective ou à la confiance effective, puisque l'insécurité est le destin de l'immanentisme tardif et dégénéré, que nous subissons comme un déclin inéluctable et nécessaire.
Tout au plus la perte de confiance est-elle une explication hâtive et inexpliquée de la décadence, une manière tacite d'admettre la décadence sans pour autant la reconnaître. On perd confiance en immanentisme quand la perte de confiance immanentiste signale l'effondrement du système. La confiance étant l'explication postérieure et fausse de la création, la destruction est ainsi hâtivement expliquée par la perte. Perte de foi et sentiment d'insécurité : millénarisme? matérialisme? Que nenni, mon bon prince, immanentisme, soit diabolisme et nihilisme.

Aucun commentaire: