mardi 28 octobre 2008

Les pieds dans l'eau

Alors que tout l'élan classique consiste à fonder la volonté générale pour justement dépasser le fondement destructeur de l'individu, l'immanentisme finit par avouer piteusement qu'il n'est pas parvenu à trouver un nouveau fondement et à accomplir sa révolution. Ce qu'il nommait avec grandiloquence mutation n'était en fait qu'un leurre : il en revient au fondement de l'individu et abandonne la volonté générale.
De ce point de vue, Rousseau est typiquement un penseur des Lumières en ce qu'il croit vraiment à l'idéal politique des Lumières, soit à l'idéal politique immanentiste. Il estime vraiment que la révolution immanentiste peut s'accomplir et que cette révolution peut déboucher sur une volonté générale révolutionnaire, c'est-à-dire une volonté générale mutante et supérieure au concept classique de volonté générale.
La volonté générale qu'invoque Rousseau est une volonté générale idéale, parfaite et mutante : elle est si utopique que même Rousseau finit par convenir qu'elle ne saurait s'accomplir telle quelle. Elle prend la forme de la mutation, puisqu'elle invoque le principe de la démocratie contre l'aristocratie, principalement de type monarchique. Elle débouchera sur la Révolution française en Europe et elle ne fait que suivre les révolutions libérales d'Angleterre et des Amériques.
Rousseau appartient encore à l'idéal immanentiste, tant il est certain que les Lumières sont le carrefour idéaliste de l'immanentisme. Avant elles, l'immanentisme luttait contre le transcendantalisme, si bien que les idéalistes immanentistes passaient pour des saints en butte aux persécutions du pouvoir. Les Lumières, appellation typique de la propagande, signalent un profond changement, qui s'appuie sur le Progrès technique et scientifique : l'immanentisme arrive au pouvoir!
Rousseau s'intègre dans ce schéma. Il est le plus grand penseur des Lumières avec Kant, en ce qu'il est celui qui schématise la réalisation ou la concrétisation de l'idéalisme immanentiste. Avant Rousseau, l'idéal immanentiste n'avait jamais pu se répliquer politiquement, c'est-à-dire qu'il demeurait une opposition ou une alternative théorique. Rousseau est celui qui prétend donner ses lettres de noblesse politiques à l'immanentisme, ce qui signifie que l'immanentisme possède désormais les moyens de ses ambitions et va renverser le pouvoir en place pour prendre sa place.
Rousseau est fou en ce qu'il ne se rend pas compte que l'alternative qu'il propose est désaxée et que l'immanentisme ne peut mener qu'à une grande catastrophe après de grandes espérances. C'est d'ailleurs un peu ce qu'annonce la vie de Rousseau : de grandes espérances donnant sur une catastrophe, ou la folie en tant que désir des délires.
C'est ce qui attend l'immanentisme en tant que délire du désir. Il convient de comprendre que le moment des Lumières est le moment par excellence où l'idéalisme prend forme, s'incarne et se réalise. En l'occurrence, il s'agit de l'immanentisme qui prétend bien entendu à un idéalisme très ambigu, si l'on se souvient de l'association oxymorique que ne manquent pas de provoquer les termes d'immanence et d'idéalisme.
Rousseau est le personnage central de ce dispositif politique en ce qu'il se voit confier la redoutable mission de programmer la réalisation et l'incarnation politiques de l'idéalisme immanentiste. Ce ne pouvait être qu'un fou, en l'occurrence esprit paranoïaque voire schizophrène, à qui allait revenir la redoutable tâche de rendre légitime un mouvement de fond qui n'était pas seulement politique, mais qui, porté par l'idéal scientifique et technique, relève de l'idéal ontologique et religieux.
Mais je m'aperçois que je voulais discourir de l'individu et de l'individualisme et que j'ai été amené par esprit de digression à évoquer la figure tutélaire de Rousseau, l'un des pères intellectuels fondateurs des révolutions immanentistes qui sont censées avoir balayé une fois pour toutes les monarchies pour imposer les régimes démocratiques et libéraux. Grâce et raison soient rendues à Rousseau : il est bien le père de l'immanentisme idéaliste qui s'incarne dans le passage au pouvoir politique, si bien que son génie ne pouvait qu'être mêlé inextricablement et intimement à la folie. En effet, soutenir l'immanentisme, c'est se montrer fou.

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