vendredi 3 octobre 2008

Liste à jour

On entend souvent les insupportables raseurs du journalisme propagandiste et officiel seriner et siffler que l'essor par la bulle Internet des journalistes-citoyens est un mythe qui encourage les pires bobards et autres délires conspirationnistes. Bien entendu, la haine étonnante et démesurée des journalistes assermentés contre Internet et ses utilisateurs conséquents s'explique par le fait qu'Internet a démasqué leurs méthodes mensongères et à la botte du pouvoir.
Comprendre le journalisme d'aujourd'hui, c'est intégrer que ce journalisme est la voix du pouvoir. Voilà qui n'implique pas que tous les journalistes sont des asservis conscients, mais que la mentalité et les méthodes du journalisme conduisent inexorablement à ce constat cuisant d'échec mat. Maintenant demeure une part de vérité inexpugnable dans les reproches adressés par les journalistes officiels aux journalistes amateurs d'Internet. Ce reproche n'est certes pas valable dans sa formulation, mais il peut être adressé ainsi : en prétendant faire du vrai journalisme, réformer le journalisme, nos journalistes protestants sont dans la peau de ces chrétiens protestants qui prétendaient restaurer le vrai esprit du christianisme. Quand on examine leur cheminement, on est obligé de constater que le protestantisme institutionnalisé contient ses succès et ses failles, mais qu'il ne peut se prévaloir de la réussite de son programme théologique révolutionnaire.
Il en va de même pour les journalistes : quelles que soient leurs intentions et leurs motivations, des journalistes demeureront des journalistes et ne pourront échapper aux méthodes du journalisme. Entendons-nous bien, tout n'est pas négatif dans le journalisme, tant s'en faut. Mais un journaliste reste indexé aux faits. Il ne pense pas en tant que journaliste. Il n'imagine pas en tant que journaliste. Quand un journaliste estime, comme c'est le cas de nombreux journalistes aujourd'hui, qu'il incarne la plus haute forme de la pensée, ce journaliste sombre dans la pensée immanentiste la plus réductrice.
Réformer le journalisme ne peut mener qu'à un constat d'échec luisant. C'est tromper les gens avec un faux espoir et un fausse marchandise. La camelote était la même, bien qu'elle prétendît être de nature et de contenu différents. C'est pourquoi toutes les démarches de rénovation du journalisme sont des démarches trompeuses, non pas qu'elles soient mensongères consciemment, mais qu'elles se trompent sur leur programme. Au mieux, elles ne peuvent que prolonger un peu le fonctionnement d'un corps malade et moribond.
Les nouveaux journalistes font ainsi de la médecine de l'acharnement thérapeutique. Quand un excellent réseau d'information comme Voltaire sort de l'ornière propagandiste, il serait trompeur d'espérer que le journalisme voltairien, dans tous les sens du terme, restaure l'esprit du journalisme. Car le journalisme ne peut mener qu'à cet esprit du journalisme qui est l'expression de la pensée immanentiste.
Ce n'est pas qu'il faille s'insurger contre la démarche remarquable d'un site qui ose enfin faire du vrai journalisme d'investigation : c'est le fait de penser comme la ligne de Voltaire que l'avenir et la pérennité de l'humanité se situent dans la restauration du vrai progressisme et de la vraie laïcité.
Tous ces sites font un excellent travail, à tel point qu'on peut parler d'une renaissance de l'esprit du journalisme grâce à l'outil Internet et à la liberté qu'il occasionne. Dans le fond cependant, c'est recommencer les mêmes erreurs avec la candeur ou l'innocence que l'on peut changer le cours des choses. L'immanentisme ne peut mener qu'à la destruction. Il ne faudrait pas sombrer dans le travers hallucinatoire et fantasmatique/fantomatique consistant à dupliquer le bon immanentisme du mauvais.
Un certain idéalisme consiste à constater sévèrement que l'esprit de l'immanentisme s'est égaré et que sa restauration est possible. Quel serait ce faux esprit perdu? En gros, ce serait l'idée d'un progrès possible du réel grâce à la Raison, soit le fait d'estimer béatement que le désir humain possède les moyens d'être maître et possesseur de la nature. La nature entendue comme fini, certainement : et c'est la technique. La nature entendue comme réel, certainement pas : le réel n'est pas le fini, qu'on se le tienne pour dit.
Dans ce maëlstrom de prétention et de démesure, le journalisme pense que l'on peut opposer la vérité contre le mensonge en accréditant la thèse de l'immanentisme selon laquelle le réel est fini et le réel est factuel. C'est en souscrivant aux postulats de l'immanentisme que le journalisme restaurationniste (pour reprendre l'exemple d'une démarche typiquement immanentiste ayant débouché sur le sionisme chrétien) prétend réformer durablement et positivement le journalisme renégat.
Soyons bien clair : le journalisme restaurationniste ne peut engendrer que les mêmes travers auxquels le journalisme est parvenu. C'est peut-être la raison de la colère incompréhensible du journalisme officiel contre le journalisme contestataire, appelé citoyen ou amateur - à tort. Dans le fond, les journalistes accrédités et encartés ne sentent que trop qu'ils ont fait de leur mieux et qu'ils sont dépassés par une mentalité qu'ils ne parviennent à définir, et ce pour une raison simple : c'est que cette mentalité est indéfinissable.
C'est la mentalité de l'immanentisme, qui ne peut à partir des même causes qu'engendrer les mêmes effets. Le journalisme ne peut mener qu'au journalisme. Répétons-le pour finir : le propos n'est pas de supprimer le journalisme, ou la banque, ou la finance, ou la médecine. Le but est de supprimer l'immanentisme et de redonner à ces catégories leur vraie place. Un médecin qui est paré d'un statut de prêtre est un être en souffrance, à qui l'on demande constamment de faire plus que ce qu'il peut.
Un journaliste est tout à fait à sa place quand il s'agit de se montrer au plus près des faits et quand il est question de restaurer les faits. Dans ce cas, le journaliste est même dans la position noble et difficile du contre-pouvoir en butte aux agressions du pouvoir officiel. Meyssan ainsi en sait quelque chose. Dès que le journaliste est sommé par la mentalité immanentiste de penser, il sombre dans le réductionnisme ontologique, qui consiste à croire, on qu'on pense à partir de fiats, mais qu'on pense en produisant des faits, en rapportant la pensée à des faits.
Qu'un penseur fasse du journalisme, rien à redire. Mais qu'un journaliste pense à parti de son journalisme et avec le journalisme, c'est donner la mesure et la dimension de l'immanentisme, qui attend de la pensée qu'elle suive le cours de la peau de chagrin. Et quand la peau de chagrin, après s'être réduite constamment, finit tout simplement par s'étioler, c'est le système qui sombre. La pensée aussi, à force de se dépenser en impensé et en déni de pensée.

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