Les adeptes de la différence sont des conservateurs. Le discours conservateur s'ancre sur le déni de la différence. Qu'est-ce que la différence? C'est la différance - le fait de différer le fond, soit l'unité, pour mieux affirmer une réalité apparente, superficielle - mensongère. La différance de Derrida est un concept typiquement conservateur et mensonger - aux antipodes de ses convictions autoproclamées et branchées de gauchiste non marxiste.
Le négatif et le déni sont les expressions de la violence, de la destruction et de la contradiction. Raison pour laquelle l'opposant superficiel conforte quant au fond l'objet contre lequel il s'oppose. Le promoteur transi de la différence promotionne en réalité le conservatisme ontologico-politique en accordant son intérêt à des vétilles, des broutilles et des cédilles. Mais la supercherie de la différence ne peut constituer en aucun cas une pensée construite. Je veux dire : c'est une pensée oligarchique, mais c'est une pensée de victime (soutenant de manière insoutenable son bourreau). Penser la différence sérieusement implique que l'on y ajoute une valeur qui tourne autour de l'unité.
Deleuze, un postmoderne affiché, plus naïf et pur que Derrida par de nombreux aspects, liait la différence à la répétition. La répétition est le concept dégénéré et réducteur du même (de l'unité). Ceux qui se contentent d'affirmer la différence pure en pensant produire une valeur tombent dans le piège qu'évite un Deleuze - vont encore plus loin qu'un Deleuze. Ce sont des mentalités vulgaires, dans un sens péjoratif, puisqu'ils produisent de la pensée médiocre (destructrice) au service de ceux qui les exploitent (antienne vieille comme le monde).
Un adepte de la différence pure croit avoir résolu le problème et consacrer ses loisirs à autre chose, aux choses enfin importantes, s'amuser et penser son existence en termes privés et égoïstes, mais il a empiré le problème qu'il entend avoir résolu. Car le problème, c'est que la différence pure exprime un slogan très répandu, mais qui ne désigne que la partie la plus superficielle du réel. Définir le réel comme la différence, c'est se condamner à le définir de manière superficielle, vulgaire et médiocre.
C'est surtout accorder implicitement que les valeurs que l'on défend sont condamnées à la superficialité et à la partialité partielle (parcellaire); tandis que fondamentalement le non-dit et le déni reviennent à soutenir ce dont on ne parle pas (voire qu'on critique). Une critique du système libéral qui se contenterait de critiquer de manière différente le système n'aboutit jamais qu'à une critique superficielle du libéralisme qui fondamentalement est d'obédience libérale. Un critique superficiel du libéralisme est un libéral pernicieux. Les plus fidèles soutiens du système sont ceux qui le critiquent superficiellement.
D'ailleurs, cette critique est exclusivement négative. Le déni (le non-dit) est négatif. La positivité superficielle implique une négativité fondamentale. Ce que l'on affirme superficiellement n'existe pas parce qu'il se trouve immédiatement dissout dans la négativité fondamentale du propos. Toute affirmation de la différence pure n'existe pas et se trouve détruite par ce qu'elle soutient négativement et fondamentalement.
Ontologiquement, cette posture indique son positionnement nihiliste (qui consiste non à appréhender le nihilisme, mais à répercuter une attitude vieille comme l'homme). Cette attitude ressortit de la posture démagogique, selon laquelle tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Il s'agit pour l'affirmateur de la différence pure de satisfaire au contentement de tout le monde. Position sans doute enfantine et puérile, où l'on a peur de déplaire aux parents. Position qui devient inquiétante et perverse dès qu'on sort de l'enfance, et intenable quand on accède à l'exercice de la raison.
Position d'éternel adolescent, avec ce néologisme d'adulescent : on ne sort pas de l'expression du désir et l'on affirme un désir monstrueux, capricieux et colérique (caractériel) dès qu'on le contrarie. Posture qui n'est pas tenable. Elle ne tiendrait d'ailleurs pas longtemps si elle ne se trouvait pas manipulée par les tenants de la mentalité oligarchique.
L'oligarchie est une manière de concevoir le monde viscéralement inégalitariste, qui implique qu'un petit nombre domine et que ce soit eux qui représentent et pour certains édictent les valeurs de la caste dominante. L'oligarchie ne peut subsister sans qu'elle promeuve des théoriciens. Dans la théorie oligarchique, il est important que la culture (supérieure aux contres-cultures) soit réservée aux dominateurs, aux maîtres, aux oligarques.
Les innombrables chapelles de sous-culture sont dévolues aux moutons, au peuple, au grand nombre, à tous ceux qui sacrifient (dans un sens victimaire et religieux) à la différence pure. Il est normal que la majorité (la plèbe, dirait un Nietzsche) pense de manière vulgaire et médiocre, car la culture n'est accessible qu'à la minorité. Mais quelle est cette conception de la culture authentique et inégalitariste?
C'est l'obtention d'un savoir riche et fécond, nullement de la connaissance. La culture oligarchique réduit la connaissance au sous-savoir, tandis que la contre-culture est tenue pour un sous-savoir dégénéré (il l'est malheureusement le plus souvent). La cas le plus fameux du savant oligarchique (du théoricien oligarchique) est cet Aristote, qui montre qu'on peut être un savant prodigieux et un connaisseur nul, lui qui estimait que le réel étant fini, il serait sous peu connu si l'on suivait sa méthode de connaissance oligarchique. Un autre érudit oligarchique est Gorgias, emblème du sophiste, qui va encore plus loin qu'Aristote dans la réduction de la connaissance au savoir, puisque le savoir ne sert qu'à dominer (la rhétorique exprime ce parti de la domination du savoir par les mots).
Pour un oligarque, la connaissance est le savoir, et il est normal que le savoir ne soit que l'apanage d'un petit nombre (selon le système des castes). Les autres, la majorité, ne peuvent qu'accéder à des formes dégénérées de savoir, à des sous-savoirs fragmentés et peu intéressants, dont la forme théorique la plus poussée se bornera, de manière fort contradictoire, à l'unité contradictoire et oxymorique de la différence pure.
La différence pure est l'expression de la majorité de conception oligarchique. Le grand nombre adoube cette mentalité et se fait exploiter par le petit nombre, qui réduit la connaissance au savoir et qui estime que le savoir le plus important assure la domination de la majorité. Le savoir est ainsi outil de domination sociale avec une réduction du politique au social (Nietzsche ne dénonce cette position que pour promouvoir son idéal postromantique de mutation ontologique oligarchique et immanentiste).
La position oligarchique est imparable dans un espace ontologique qui n'admet que le savoir. Dès qu'on introduit dans le savoir fini l'idée d'infini, la connaissance qu'on obtient se montre bien supérieure à tout type de savoir. Le savoir oligarchique se trouve balayé par la connaissance. Mais la connaissance ne consiste pas à retomber dans les travers démagogiques du sous-savoir, soit de l'expression consternante et contradictoire de la différence pure. La connaissance consiste à expliquer qu'il existe un objet de connaissance qui est supérieur au savoir. Pas à relégitimer le sous-savoir délégitimé. Autant reviendrait relégitimer l'ignorance par rapport au savoir - la bêtise par rapport à l'intelligence.
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