En guise d''exergue anecdotique, je citerai l'histoire drolatique de ce médecin manifestement imbécile qui prescrit à chaque fois, plusieurs fois, des analyses banales de cholestérol au (jeune) patient qui se plaint de plus en plus, malheureusement avec raison, de graves douleurs au cerveau. Au final, ce patient sera déclaré atteint de sclérose en plaques par de véritables autorités médicales (en lieu et place de ce charlatanisme rappelant les personnages de médecin chez Molière, oscillant entre prétention, bêtise et folie). Où l'on voit que, si la bêtise peut se révéler mortelle, elle est toujours destructrice (surtout à une époque où le médecin a pris la place du prêtre). Le raisonnement de ce médecin est d'un point de vue médical débile : car l'on ne cherche que ce qu'on trouve et l'on ne peut trouver que du nouveau (sans quoi on ne trouve rien). Mais cette bêtise du raisonnement antimédical s'ancre sur une réalité qui est sociale : précisément le glissement du savoir vers le pouvoir. Le médical se trouve grevé de considérations sociales. Ce médecin qui jouit d'une bonne situation auprès de la bourgeoisie locale, sorte de Homais contemporain, infère de son statut bourgeois, de son salaire imposant ou du nombre de ses voitures qu'il est un homme qui jouit d'un diagnostic médical aussi pertinent que sa situation sociale est prospère. Son raisonnement serait à peu près celui-ci : vu le nombre de voitures que j'ai, je ne peux me tromper en médecine. Mon métier est le signe de ma supériorité sociale, qui devient ipso facto supériorité identitaire, quasiment d'essence divine. Il y aurait beaucoup de critiques à adresser à la formation d'un raisonnement aussi stupide, mais le principal est de comprendre que le savoir ne fait pas l'intelligence et que le savoir quand il glisse vers la finalité sociale exprime à coup sûr la bêtise. Mais j'en arrête avec ma digression et en viens à la réflection suivante.
Si l'on réfléchissait en termes de factions, on ne mettrait pas plus de quinze jours à comprendre la signification de l'existence patente de l'Empire britannique. Le problème de la compréhension tient au fait qu'on ne découvre que ce qu'on cherche. De manière moderne, la responsabilité collective se fonde sur les Etats-nations. Il est aussi illusoire de perpétuer cette tradition dans notre époque que de ne pas se rendre compte que la responsabilité des Etats-nations a glissé vers la responsabilité des factions.
C'est la principale transformation géopolitique à opérer si l'on veut ne pas subir le contresens majoritaire et grossier : penser en termes de factions, pas d'Etats-nations. Avec une précision importante : si les factions dominent les Etats-nations, c'est qu'elles les manipulent directement. Cette remarque implique une transformation critique de tous les jugements impliquant l'impérialisme américain. Car si ce sont des factions qui manipulent les Etats-nations, il est normal que le principal contresens s'opère à propos du premier Etat-nation : les Etats-Unis (jouet symbolique de la lutte entre les factions de Wall Street et l'Etat-nation constitutionnel).
A chaque fois que l'on incrimine l'impérialisme américain, on juge que la responsabilité des exactions commises par des factions financières américaines ou des groupes industriels américains dans des pays d'Amérique latine, d'Asie ou d'Afrique est imputable à la responsabilité des instituions américaines - de l'Etat-nation américain. Pourtant, si l'on juge en termes de factions, et plus d'Etat-nation, on comprend que l'Etat-nation américain est sous la coupe de l'influence des factions. Les factions ne peuvent avoir d'action que financière, car la faction exprime la réduction de l'Etat-nation politique et républicain à la faction économique et oligarchique.
Toute la duperie politique actuelle consiste à occulter que ce sont des factions financières américaines qui manipulent les décisions institutionnelles de l'Etat-nation américain. Plus grave, on occulte que ces factions américaines centrées en gros autour de Wall Street sont manipulées par les factions de l'Empire britannique, centrées autour de la City de Londres. Tant qu'on n'a pas cerné cette problématique, qui démontre le changement du principe de responsabilité penchant dangereusement vers la responsabilité oligarchique, on passe à côté de toute intelligibilité stratégique.
On pourrait se demander : pourquoi presque personne n'aborde cet état de faits? N'est-ce pas le signe que c'est une interprétation erronée et que ce sont bien des Etats-nations qui dérivent, malgré leurs généreux principes inscrits dans leur Constitution (comme c'est le cas des Etats-Unis), vers des politiques impérialistes et colonialistes? Il serait faux d'estimer que personne n'aborde ces problématiques; par contre, ces problématiques sont abordées dans leur versant géopolitique négatif, quasiment jamais dans leur positivité. Je veux dire : il existe des documents influents qui renseignement sur l'aspiration des factions à détruire le principe des Etats-nations; mais il n'est pas question de passer de la destruction négative des Etats-nations à l'affirmation positive des factions.
Je pense à ces textes produits par le théoricien britannique Cooper à propos de la disparition des Etats-nations nés de la Paix de Westphalie et remplacés par des fédérations comme l'Union européenne répondant aux principes typiquement oligarchiques de l'impérialisme postmoderne centré autour de l'Union européenne en tant que fédération économique. Je pense à la propagation volontairement séduisante et propagandiste du label Nouvel Ordre Mondial, qui pourrait être baptisé sans craindre la déformation Nouvelle Oligarchie Mondiale.
Ce nouvel ordre émane des hordes travesties en ordre - les factions. C'est le nouvel ordre oligarchique et factionnel succédant à l'ordre républicain imposé par la paix de Westphalie. Si la théorie négative est fournie par le postimpérialisme d'un Cooper, l'appellation positive se trouve masquée derrière des labels comme le NOM. Aucun ordre oligarchique ne peut s'imposer de manière positive, puisque le but est d'instaurer la domination d'un petit nombre de factions sur la majorité dépolitisée, désorganisée et individualisée - avec cette nouveauté que l'oligarchie devient mondiale, d'où l'appellation de Nouvel Ordre Mondial.
Cette supercherie qui est rarement volontaire s'appuie sur l'erreur dans la grille de lecture géopolitique : on ne prend pas en compte cette évolution récente des rapports de forces politiques indiquant un glissement entre l'Etat-nation et la faction. Evidemment, tant que les factions seront assez puissantes pour imposer leur pouvoir aux Etats-nations, elles s'arrangeront pour agir de manière masquée, soit à l'intérieur de ces Etats. C'est la raison pour laquelle on incrimine la responsabilité des Etats dominants, Etats d'Occident, Etats-Unis en premier lieu.
On confond la domination des Etats dominants avec la domination des factions dominantes - intervenant par le truchement masquant des Etats-nations dominants. On se rend compte depuis la crise actuelle que les politiques ne sont pas décidées par les représentants politiques des peuples occidentaux (dans les démocraties libérales), mais par les conseillers et les experts des factions financières, qui discutent leurs volontés aux valets politiques (on peut être un valet de haut vol, la preuve avec les politiciens en Occident) et qui sont antidémocratiques (non représentatifs).
Les factions financières dominantes ne se situent pas aux Etats-Unis, mais à la City de Londres. Si l'Etat britannique se trouve sous la coupe de ces factions, c'est le même schéma que pour les Etats-Unis : les factions gouvernent les institutions. L'hypocrisie des factions ne se limitent pas à agir derrière les Etats, mais à utiliser les Etats dominants alors que la caractéristique de ces factions est d'agir de manière apatride. Les factions de la City de Londres ne sont pas britanniques, ou américaines. Les financiers qui agissent à l'intérieur des conglomérats ne sont pas de telle nationalité, mais utilisent l'identité nationale pour des agissements factionnels.
Il s'agit d'une usurpation d'identité à laquelle souscrivent la plupart des gens. Non pas que les gens mentent, pas même qu'ils soient avant tout (surtout) de mauvaise foi (ce qui est plus souvent le cas cependant); mais qu'ils éprouvent les pires difficultés à intégrer le changement. La vraie raison tient à la peur. Et le sentiment irrationnel de la peur se produit face au changement. Les gens ont peur parce qu'ils ont peur de perdre leur ordre, de perdre leurs repères, de perdre leur certitude - pour de l'inconnu.
Cette peur du changement constitue le fond du conservatisme politique : mais si le changement est l'essence de l'Etre pour les monothéistes (et les ontologues qui leur sont le plus proches, les néo-platoniciens), il instaure pour les suiveurs travestis ne rebelles de nos Etats-nations d'Occident la pire des menaces. Non pas que le changement menace leur existence de plus en plus précaire, mais que le changement contrecarre leur immobilisme psychologique : plus l'on est victime, plus l'on se meut dans le statique ontologique. On ne parvient pas à identifier les factions car l'on participe de leur édification.
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